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[ 15 octobre 2015 ] Imprimer

Droit des biens

Servitude conventionnelle : pas d’extinction en cas d’interruption de la prescription

Mots-clefs : Biens, Servitude conventionnelle, Servitude de passage, Extinction, Non-usage, Délai trentenaire, Prescription extinctive ; Interruption ; Demande en justice

Le propriétaire qui demande le rétablissement d’une servitude de passage moins de trente après un jugement en ayant modifié l’assiette doit voir sa demande accueillie, le délai trentenaire de prescription pour non-usage ayant été interrompu par cette décision de justice.

Une société propriétaire d'un fonds avait assigné ses voisins, propriétaires d'une parcelle, en reconnaissance d'une servitude de passage au profit de son fonds et en rétablissement de celle-ci. Ces derniers s’étaient opposés à cette demande en se prévalant de l'extinction de cette servitude du fait de son non-usage par la société, pendant trente ans. En appel, les juges rejetèrent cette demande au motif, d’une part, que l'assiette de la servitude conventionnelle de passage avait été modifiée par un jugement en date du 9 mai 1979 et, d’autre part, que la société avait demandé le rétablissement de la servitude moins de trente ans après ce jugement, le délai de prescription pour non-usage avait ainsi été interrompu. Le pourvoi formé par les voisins de la société propriétaire du fonds reposait sur la contestation du point de départ du délai, trentenaire, de la prescription extinctive. Selon eux, ce dernier doit être fixé au dernier jour d’exercice de la servitude, et non pas au jour du jugement en ayant modifié l’assiette. Leur pourvoi est rejeté par la Cour, les juges du fond ayant exactement déduit de l’effet interruptif de la prescription attaché au jugement rendu que la servitude de passage sur le fonds appartenant à la société propriétaire du fonds dominant n'était pas éteinte. 

Droit démembré du droit de propriété en ce qu’il ne confère à son titulaire qu’une partie des prérogatives attachées à ce droit fondamental, la servitude se définit comme une charge imposée à un immeuble (le fonds servant) pour l’usage et l’utilité d’un autre immeuble (le fonds dominant) (C. civ., art. 637). 

Ainsi une servitude de passage permet-elle au propriétaire d’un terrain (le fonds dominant) de passer sur le terrain de son voisin (le fonds servant) (V. A. Marais, Introduction au droit, Vuibert, n° 49). 

Les servitudes du fait de l'homme, qui sont le fait de particuliers (que l’on oppose aux servitudes légales, lesquelles sont établies par la loi), ont pour point commun de s’éteindre par le non-usage trentenaire, qu'elles soient continues (s’exerçant sans le fait de l’homme, comme les servitudes de vue) ou discontinues (nécessitant au contraire un fait de l’homme, comme une servitude de passage), apparentes (se matérialisant par des faits extérieurs, comme une fenêtre pour une servitude de vue) ou non apparentes (non extériorisées, comme une servitude de ne pas bâtir) (C. civ., art. 706 et 707 ; Civ. 3e, 10 oct. 1984, n° 83-14.443, à propos d’une servitude de puisage ; Civ. 3e, 17 nov. 1992, n° 91-12681, à propos d’une servitude de passage Civ. 3e, 27 févr. 2002 ; 00-13.907 et 00-14.942, à propos d’une servitude de ne pas bâtir)

Mais si la durée de trente ans du délai de prescription extinctive est commune à l’ensemble des servitudes conventionnelles, leur point de départ, lui, varie selon la continuité ou non de la servitude. En effet, selon l’article 707 du Code civil, « (l)es trente ans commencent à courir, selon les diverses espèces de servitudes, ou du jour où l’on a cessé d’en jouir, lorsqu’il s’agit de servitudes discontinues, ou du jour où il a été fait un acte contraire à la servitude, lorsqu’il s’agit de servitudes continues ». 

La servitude litigieuse étant discontinue, le point de départ du délai de prescription extinctive était donc fixé au jour du dernier acte de son exercice. Les auteurs du pourvoi avaient d’ailleurs tenté d’invoquer cette règle pour reprocher à la cour d’appel d’avoir fixé le point de départ de la prescription au jour du jugement ayant modifié l’assiette de la servitude, et non au jour où celle-ci avait cessé d’être exercée. De surcroît, les circonstances de l’affaire leur étaient favorables : en effet, le défendeur au pourvoi se trouvait dans l’impossibilité de rapporter la preuve, dont il avait la charge, que la servitude de passage dont il sollicitait la reconnaissance avait été exercée depuis moins de trente ans, ayant admis ignorer si les propriétaires antérieurs à l’acquisition de son fonds avaient usé de cette servitude, et lui-même n’en ayant pas la possession actuelle. Cependant, il ne faisait pas de doute que ce dernier avait demandé le rétablissement de la servitude moins de trente ans après qu’un jugement en ait modifié l’assiette et qu’il avait, ainsi, interrompu la prescription pour non-usage. En effet, l’article 2241 du Code civil prévoit que « (l)a demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription (…) ». 

Comme l’ensemble des règles visant à régir la prescription extinctive des droits personnels (C. civ., art. 2233 à 2246), mais qui se trouvent en vérité également applicables à celle des droits réels (prescriptibles), l’introduction d’une demande en justice, comme toutes les autres causes ordinaires d’interruption de la prescription (H., L. et J. Mazeaud par F. Chabas, t. II, 2e vol., Leçons de droit civil, Les obligations, Théorie générale, t. II, Vol.1, Montchrestien, Paris, 9e éd. 1998, n° 1730), produit également cet effet interruptif sur la prescription des droits réels, comme les servitudes du fait de l'homme (C. Aubry et C. Rau par P. Esmein et A. Ponsard, Droit civil français, t. III, 7e éd. 1968, § 255, n° 76, p. 130. H., L. et J. Mazeaud par F. Chabas, t. II, 2e vol., Leçons de droit civil, Les obligations, Théorie générale, t. II, 1er Vol., Montchrestien, Paris, 9e éd. 1998., n° 1730).

Civ. 3e, 15 septembre 2015, n° 12-12.979

Références

■ Code civil

Article 637

« Une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire. »

Article 706

« La servitude est éteinte par le non-usage pendant trente ans. »

Article 707

« Les trente ans commencent à courir, selon les diverses espèces de servitudes, ou du jour où l'on a cessé d'en jouir, lorsqu'il s'agit de servitudes discontinues, ou du jour où il a été fait un acte contraire à la servitude, lorsqu'il s'agit de servitudes continues. »

Article 2233

« La prescription ne court pas : 

1° A l'égard d'une créance qui dépend d'une condition, jusqu'à ce que la condition arrive ; 

2° A l'égard d'une action en garantie, jusqu'à ce que l'éviction ait lieu ;

3° A l'égard d'une créance à terme, jusqu'à ce que ce terme soit arrivé. »

Article 2234

« La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. »

Article 2235

« Elle ne court pas ou est suspendue contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle, sauf pour les actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, pensions alimentaires, loyers, fermages, charges locatives, intérêts des sommes prêtées et, généralement, les actions en paiement de tout ce qui est payable par années ou à des termes périodiques plus courts. »

Article 2236

« Elle ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu'entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité. »

Article 2237

« Elle ne court pas ou est suspendue contre l'héritier acceptant à concurrence de l'actif net, à l'égard des créances qu'il a contre la succession. »

Article 2238

« La prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d'un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d'accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation. La prescription est également suspendue à compter de la conclusion d'une convention de procédure participative ou à compter de l'accord du débiteur constaté par l'huissier de justice pour participer à la procédure prévue à l'article 1244-4.

Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter de la date à laquelle soit l'une des parties ou les deux, soit le médiateur ou le conciliateur déclarent que la médiation ou la conciliation est terminée. En cas de convention de procédure participative, le délai de prescription recommence à courir à compter du terme de la convention, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois. En cas d'échec de la procédure prévue au même article 1244-4, le délai de prescription recommence à courir à compter de la date du refus du débiteur, constaté par l'huissier, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois. »

Article 2239

« La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès.

Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée. »

Article 2240

« La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription. »

Article 2241

« La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure. »

Article 2242

« L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance. »

Article 2243

« L'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance, ou si sa demande est définitivement rejetée. »

Article 2244

Le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée.

Article 2245

« L'interpellation faite à l'un des débiteurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d'exécution forcée ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers.

En revanche, l'interpellation faite à l'un des héritiers d'un débiteur solidaire ou la reconnaissance de cet héritier n'interrompt pas le délai de prescription à l'égard des autres cohéritiers, même en cas de créance hypothécaire, si l'obligation est divisible. Cette interpellation ou cette reconnaissance n'interrompt le délai de prescription, à l'égard des autres codébiteurs, que pour la part dont cet héritier est tenu.

Pour interrompre le délai de prescription pour le tout, à l'égard des autres codébiteurs, il faut l'interpellation faite à tous les héritiers du débiteur décédé ou la reconnaissance de tous ces héritiers. »

Article 2246

« L'interpellation faite au débiteur principal ou sa reconnaissance interrompt le délai de prescription contre la caution. »

■ Civ. 3e, 10 oct. 1984, n° 83-14.443Bull. civ. III n° 168 ; D. 1984. 428, obs. A. Robert.

■ Civ. 3e, 17 nov. 1992, n° 91-12.681.

 Civ. 3e, 27 févr. 2002, n° 00-13.907 et 00-14.942, Bull. civ. III, n° 52, D. 2002. 1238; AJDI 2002. 775, obs. P. Capoulade ; RDI 2002. 307, obs. F. G. Trébulle.

 

Auteur :M. H.


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