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Droit des biens
Servitude de tour d’échelle : rappel des conditions
À défaut d’accord entre les propriétaires de fonds contigus, la servitude de tour d’échelle peut être obtenue en justice à la condition d’établir l’impérieuse nécessité d’accéder au fonds voisin pour effectuer des travaux indispensables à la conservation de sa propriété.
La décision rapportée permet de rappeler l’existence reconnue en jurisprudence d’une servitude depuis longtemps délaissée par la loi, malgré son importance pratique : la servitude de tour d’échelle, dont le nom emprunte à l’usage, qui existait dans l’ancien droit, consistant à autoriser le propriétaire d’un mur ou d’un bâtiment contigu à un fonds voisin d’y installer les échelles nécessaires à l’exécution de travaux indispensables à la conservation de son immeuble.
En l’espèce, un propriétaire s’opposait à ce que son voisin, propriétaire de l’immeuble contigu au sien, accédât à son fonds, et plus particulièrement à la bande de terrain située entre leurs deux habitations, ce que ce dernier lui demandait depuis de nombreux mois à l’effet d’achever les travaux de crépissage entrepris sur sa villa. Face à la persistance de ce refus, le voisin finit par assigner en justice le propriétaire aux fins d’être autorisé à accéder à son fonds et d’obtenir, au surplus, l’octroi de dommages-intérêts.
Par un arrêt confirmatif, la cour d’appel accueillit ses demandes, lui accordant d’une part un accès provisoire au fonds contigu au sien et, d’autre part, une somme de 600 euros à titre de dommages-intérêts, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle.
Au soutien du pourvoi qu’il forma devant la Cour de cassation, le propriétaire du fond servant, condamné au nom du tour d’échelle à laisser son voisin accéder à son terrain, dénonçait l’atteinte ainsi portée à son droit de propriété, que le caractère accessoire des travaux, effectués par le propriétaire du fonds dominant à des fins purement esthétiques, ne justifiait pas.
Rappelant les conditions de constitution du tour d’échelle, la Haute Juridiction rejette le pourvoi en ces termes : « Mais attendu qu’ayant constaté que les travaux étaient nécessaires à la finition de l’ouvrage et qu’il n’existait qu’une seule possibilité de pose d’un échafaudage sur une bande de terrain située entre les deux habitations en vue de crépir le mur de la villa appartenant à M. K..., la cour d’appel, abstraction faite du motif surabondant relatif à l’intérêt visuellement esthétique que cette intervention présentait pour M. V..., en a souverainement déduit que la demande devait être accueillie ».
D’origine prétorienne, la servitude de tour d’échelle consiste dans le droit du propriétaire de disposer d’un accès temporaire au fonds d’une propriété contiguë à la sienne pour effectuer les travaux nécessaires à la conservation de son bien (Civ. 1re, 14 déc. 1955). S’opposer au tour d’échelle, c’est-à-dire refuser à son voisin, propriétaire contigu d’un ouvrage à entretenir, l’accès à sa propriété sans motifs sérieux et légitimes, caractérise une faute délictuelle consistant dans un abus du droit de propriété (Civ. 3e, 15 avr. 1982, n° 80-17.108). Cependant, pour sanctionner un tel refus sur le fondement de la responsabilité civile comme pour obtenir, si cette servitude n’a pu être établie par accord amiable ou conventionnel entre les parties, son autorisation judiciaire, encore faut-il que le demandeur à ce droit d’accès remplisse deux conditions, ici rappelées : le caractère indispensable des travaux, et l’impossibilité de les réaliser autrement qu’en accédant au fonds voisin.
■ Le caractère indispensable des travaux
Le propriétaire de l’ouvrage à entretenir doit d’abord pouvoir justifier de l’impérieuse nécessité d’effectuer les travaux, c’est-à-dire démontrer que de leur réalisation dépend la conservation de la construction existante (v. pour le refus d’étendre cette servitude à l’édification d’une construction nouvelle ; Rép. min. n° 75162: JO 9 janv. 2007, p. 391 ; Paris, 6 juin 2012, n° 11/22095).
Cette nécessité avérée, le propriétaire du fonds servant devra laisser son voisin, en vertu des obligations normales de voisinage, accéder à son fonds le temps que ce dernier y effectue les réparations indispensables à l’entretien de sa propriété. Il est à noter que la nature des travaux, en revanche, importe peu ; il peut tout autant s’agir de travaux de rénovation, de réparation ou d’entretien, voire même de construction dès lors que le bâtiment en travaux est en voie d’achèvement, donc sur le point de devenir une construction existante (Rennes, 8 janv. 2019, n° 18/02948). Comme le confirme la décision rapportée, de simples travaux de finition peuvent également se révéler indispensables si par l’achèvement de l’ouvrage que vise leur entreprise, ils s’imposent pour résoudre les problèmes observés dans la partie neuve de la construction comme peut l’être, par exemple, « la réalisation d’un enduit extérieur qui constitue la solution appropriée au traitement des problèmes d’humidité constatés dans la partie nouvellement construite » (Nîmes, 4 sept. 2014, n° 13/04663). De même, en l’espèce, le juge des référés avait considéré les travaux envisagés comme impératifs et urgents, dans la mesure où il était établi que la construction qui en était l’objet était achevée, que le passage sur le fonds voisin était demandé depuis 18 mois, et que le ravalement de façade, qui avait outre une fonction esthétique celle d’assurer l’étanchéité de l’immeuble, s’imposait pour assurer la conservation de la construction neuve, ainsi que du mur séparatif.
■ Le caractère indispensable de l’accès au fonds voisin
En l’espèce « (…) il n’existait qu’une seule possibilité » de réaliser les travaux projetés : l’accès à la propriété voisine. En soulignant cette absence d’alternative, la Cour de cassation rappelle la seconde condition à satisfaire pour bénéficier de la servitude de tour d’échelle, l’impératif de passer sur le fonds voisin. Le passage sur la propriété du voisin doit être, matériellement, inévitable. Le motif pris d’une volonté d’économie par un accès gratuit chez le voisin, ou d’une simple commodité offerte par une proximité géographique, serait partant irrecevable.
La réunion, telle qu’en l’espèce, de ces deux conditions cumulatives justifie d’autoriser judiciairement le demandeur à accéder au fonds voisin. La portée de cette autorisation est toutefois relative : en effet, elle est toujours provisoire et limitée à la seule réalisation des travaux indispensables prévus, quitte à ce que le juge en détermine les modalités d’exécution (fréquence et assiette du passage). En revanche, comme en témoigne cette affaire, il n’est pas rare que le juge octroie en même temps que cette autorisation de passage des dommages-intérêts au profit du propriétaire du fonds dominant, à la condition que le refus que lui opposait le propriétaire du fonds servant soit constitutif d’un abus (Civ. 3e, 20 janv. 1999, n° 96-18.200).
Civ. 3e, 26 mars 2020, n° 18-25.996
Références
■ Civ. 1re, 14 déc. 1955: D. 1956, jurispr. p. 283
■ Civ. 3e,15 avr. 1982, n° 80-17.108 P
■ Paris, 6 juin 2012, n° 11/22095
■ Rennes, 8 janv. 2019, n° 18/02948
■ Nîmes, 4 sept. 2014, n° 13/04663
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