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[ 19 novembre 2019 ] Imprimer

Droit des biens

Servitude légale : un passage obligé

L’acquéreur d’une parcelle enclavée ne peut se voir opposer la renonciation d’un précédent propriétaire au bénéfice de la servitude légale de passage conventionnellement aménagée.

Plusieurs parcelles avaient été issues de la division d’un fonds par son propriétaire. Deux d’entre elles était devenues la propriété d’un couple, une autre, celle d’un particulier, et celles restantes avaient été acquises par une SCI. Or le couple avait assigné les deux autres propriétaires en désenclavement de leur fonds pour demander, à titre principal, un passage par la parcelle détenue par le particulier et, à titre subsidiaire, la désignation d’un expert chargé d’examiner la possibilité d’un éventuel passage par la propriété de la SCI. 

La cour d’appel rejeta l’ensemble des demandes, au motif que le précédent propriétaire des parcelles, dont il avait fait l’acquisition au moment de la division du fonds originel et dont le couple était désormais propriétaire, avait volontairement enclavé celles-ci en renonçant expressément au bénéfice de la servitude de passage qui lui avait, deux ans auparavant, été consentie par l’héritière du premier propriétaire du fonds ensuite divisé.

Au visa des articles 682 et 684 du Code civil, la Cour de cassation casse cet arrêt ; l’acquéreur d’une parcelle enclavée ne pouvant se voir opposer la renonciation d’un précédent propriétaire au bénéfice de la servitude légale de passage conventionnellement aménagée.

Aux termes de l’article 682 du Code civil, « (l)e propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue, ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner », et selon l’article 684 du même code, « (s)i l'enclave résulte de la division d'un fonds par suite d'une vente, d'un échange, d'un partage ou de tout autre contrat, le passage ne peut être demandé que sur les terrains qui ont fait l'objet de ces actes. Toutefois, dans le cas où un passage suffisant ne pourrait être établi sur les fonds divisés, l'article 682 serait applicable ».

Les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour apprécier, d’après l’état des lieux et les circonstances de la cause, si un fonds est ou non enclavé (Civ. 3e, 5 mars 1974, n° 72-13.092) afin, notamment, de déterminer l’origine légale ou conventionnelle d’une servitude de passage, celle-ci emportant un certain nombre de conséquences. Si les plus connues résident dans la disparition de cet état d’enclave (C. civ., art. 685-1, Civ. 3e, 27 févr. 1974, n° 72-14.016), d’autres, tout aussi importantes, portent sur le domaine et le régime applicable à ce droit de passage. C’est dans l’illustration de ces dernières que se trouve l’intérêt de l’arrêt rapporté. 

En l’espèce, l’état d’enclave, fruit d’une opération volontaire, était de ce fait caractérisé. Il résultait, plus particulièrement, de la division d’un fonds par son propriétaire originel, en sorte que l’article 684 pouvait trouver application, peu important, par ailleurs, que les propriétaires du fonds issu de la division, et sur lequel un passage pouvait être obtenu, n’aient pas été les auteurs des propriétaires du fonds enclavé (TGI Aix en Provence, 15 mars 1974). 

Or il se déduit des dispositions de l’article 684 alinéa 1er précité que le fondement de la servitude, en cas d’état d’enclave consécutif à la division d’un fonds, est un fondement légal. En conséquence, le propriétaire du fonds issu de la division, sur lequel le passage est réclamé, ne saurait invoquer, pour refuser au propriétaire du fonds enclavé l’existence d’une servitude légale, une renonciation de leur auteur commun au bénéfice de cette servitude (Civ. 3e, 21 juin 1983, n° 82-12.891). Aussi bien l’acquéreur d’une parcelle enclavée ne peut se voir opposer la renonciation de l’auteur de la division antérieure au bénéfice de la servitude légale de passage conventionnellement aménagée (Civ. 3e, 23 janv. 2008, n° 06-20.544). Tel est le rappel auquel procède la décision rapportée, dans l’hypothèse d’une renonciation effectuée par un précédent propriétaire. Sa renonciation à la servitude conventionnelle de passage qui lui avait été octroyée ne pouvait donc être opposée aux actuels propriétaires du fonds enclavé à l’effet de les priver du bénéfice de la servitude légale de passage. 

Cette règle issue du droit des biens trouve également un fondement en droit commun des contrats, le principe de la relativité contractuelle (art. 1165 et 1199 nouv.), qui restreint l’effet des conventions au cercle des parties contractantes et interdit en conséquence qu’il s’étende, à leur détriment, aux tiers, pouvant également justifier la solution.

Quoique le point n’était pas en l’espèce soulevé, il est tout de même et enfin à noter que l’obligation d’indemnisation, telle qu’elle est prévue à l’article 682 du Code civil qui vise l’enclavement en soi, existe à l’identique lorsque l’indemnité est demandée, sur le fondement de l’article 684, en contrepartie de la servitude de passage pour cause d’enclave lorsque celle-ci résulte de la division du fonds, les actes de vente ou de partage à la suite desquels le fonds a été divisé n’ayant pas pour effet de modifier le fondement légal de la servitude (Civ. 3e, 15 oct. 2013, n° 12-19.563 ; Civ. 3e, 21 juill. 1999, n° 97-10.900).

Civ. 3e, 24 oct. 2019, n° 18-20.119

Références 

■ Fiches d’orientation Dalloz : Servitude (notion), Servitude (Régime)

 Civ. 3e, 5 mars 1974, n° 72-13.092 P

■ Civ. 3e, 27 févr. 1974, n° 72-14.016 P

■ TGI Aix en Provence, 15 mars 1974: D. 1975.298, note Bihr

■ Civ. 3e, 21 juin 1983, n° 82-12.891 P

■ Civ. 3e, 23 janv. 2008, n° 06-20.544 P: D. 2008. 2407, note A. Penneau ; ibid. 2458, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; RDI 2008. 330, obs. E. Gavin-Millan-Oosterlynck

■ Civ. 3e, 15 oct. 2013, n° 12-19.563

■ Civ. 3e, 21 juill. 1999, n° 97-10.900

 

Auteur :Merryl Hervieu

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