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Droit du travail - relations collectives
Seul un accord d’entreprise peut mettre en place des représentants de proximité
Les représentants de proximité ne peuvent être mis en place que par l’accord d’entreprise déterminant le nombre et le périmètre des établissements distincts. Par conséquent, un accord d’établissement les instaurant doit être annulé, entraînant la caducité des mandats des personnes ainsi désignées.
Soc. 1er juin 2023, n° 22-13.303 B
Avant l’ordonnance du 22 septembre 2017 la représentation du personnel était assurée par trois instances distinctes : les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le CHSCT. Chaque instance disposait de son propre cadre d’implantation permettant en particulier une certaine proximité des salariés avec les porte-parole qu’étaient les délégués du personnel. Désormais, une seule instance, le CSE, assure l’ensemble des missions. Certains syndicats ont alors dénoncé un risque d’éloignement de l’instance de représentation du personnel. A la dernière minute, le projet d’ordonnance a proposé d’ouvrir la faculté de mettre en place des représentants de proximité, non pas élus par le personnel mais désignés par les membres du CSE. L’objectif est alors d’assurer une meilleure représentation du personnel en particulier lorsque la structure est éparpillée entre différents sites, éloignés géographiquement ou dont les activités sont très différentes, sans pour autant avoir un CSE d’établissement à ce niveau. Les réclamations ou revendications des salariés seront alors sans doute mieux relayées par des représentants rattachés à chaque site.
Reste que le législateur laisse aux interlocuteurs sociaux le soin de décider s’il y a lieu ou non de créer cette instance et qu’aucune disposition supplétive n’est prévue. Selon l’article L. 2313-7 du Code du travail, « l’accord d’entreprise, défini à l’article L. 2313-2, peut mettre en place des représentants de proximité » et prévoit ses modalités de fonctionnement. Cette technique législative, qui consiste à renvoyer à un autre article, est courante en droit du travail. Elle est toutefois non seulement pénible pour le lecteur mais source de difficultés juridiques, comme l’atteste l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 1er juin 2023.
Au sein de la SNCF, la mise en place des instances de représentation du personnel a suscité un important contentieux en raison de la réduction drastique du nombre de représentants. La Cour de cassation a notamment été appelée à se prononcer sur la division de la structure en établissements distincts. (Soc. 19 déc. 2018, n° 18-23.655). En l’espèce, il ne s’agissait plus de ce découpage mais de la mise en place de représentants de proximité. A défaut d’arriver à la conclusion d’un accord sur ce sujet au niveau de l’entreprise, certains syndicats ont tenté de négocier au niveau des établissements distincts. C’est ainsi qu’à l’issue des élections dans l’établissement « Gares et connexions », l’UNSA, représentative à ce niveau, a conclu avec la direction un accord prévoyant la désignation de 25 représentants de proximité. Ces derniers ont été désignés lors de la première réunion du CSE d’établissement et, au regard des règles choisies, 21 étaient reliés à l’UNSA et 4 à la CGT. C’est alors un syndicat concurrent, la fédération Sud Rail, qui a saisi le tribunal judiciaire pour demander l’annulation de l’accord d’établissement et par voie de conséquence, l’annulation des désignations des différents représentants de proximité. Débouté de sa demande, Sud Rail a déposé un pourvoi en cassation. La Cour régulatrice, retenant une lecture littérale du texte, censure la décision des juges du fond en estimant que seul un accord d’entreprise, non un accord d’établissement, pouvait mettre en place les représentants de proximité.
La solution n’avait rien d’évidente. L’article L. 2313-7 du Code du travail renvoie en effet à l’article L. 2313-2, qui lui-même renvoie à l’article L. 2232-12. Deux lectures sont alors possibles. La première consiste à considérer que ce système de renvoi vise simplement à identifier les conditions de validité de l’accord, non le niveau où il doit être conclu. En effet l’article L. 2232-11 précise que « Sauf disposition contraire, les termes “convention d'entreprise” désignent toute convention ou accord conclu soit au niveau du groupe, soit au niveau de l'entreprise, soit au niveau de l'établissement ». Cette équivalence terminologique laisse dès lors entendre que l’accord d’entreprise évoqué par l’article L. 2313-7 peut indifféremment être un accord d’entreprise stricto sensu ou un accord d’établissement. Il faut simplement que cet accord respecte la majorité stricte prescrite par l’article L. 2232-12 du Code du travail. Autrement dit, un référendum ne pourrait pas pallier l’absence de majorité à hauteur de 50 %. La seconde lecture implique au contraire de voir dans l’article L. 2313-7 une « disposition contraire » au sens de l’article L. 2232-11. Autrement dit, un seul type d’accord collectif, celui énoncé à l’article L. 2313-2, permet la mise en place des représentants de proximité. Il s’agit donc uniquement de l’accord d’entreprise découpant l’entreprise en établissement distinct. C’est cette seconde lecture qui est retenue par la Cour de cassation. Toutefois, consciente que sa solution est assez restrictive et prive de représentants de proximité toutes les entreprises où aucun accord d’entreprise relatif au découpage en établissements n’a été trouvé (comme c’est le cas à la SNCF), la Cour ajoute que lorsque le nombre et le périmètre des établissements ont été déterminés par décision unilatérale de l’employeur ou par l’autorité administrative, alors un accord d’entreprise à la majorité stricte peut tout de même prévoir « pour l’ensemble de l’entreprise la mise en place de représentants de proximité rattachés aux différents comités sociaux et économiques d’établissement ».
L’objectif recherché est assez clair : il s’agit d’assurer une certaine cohérence d’ensemble et une homogénéité de la représentation du personnel au niveau de l’entreprise. A défaut, selon la qualité du dialogue social au niveau des établissements, certains seraient dotés de représentants de proximité et d’autre non. La solution permet également d’éviter de sérieuses difficultés pour résoudre un conflit si un accord conclu au niveau de l’établissement adopte des dispositions inconciliables avec l’accord d’entreprise.
Reste que la portée de l’arrêt est importante. Cette lecture stricte du texte implique de refuser la mise en place de représentants de proximité par accord de groupe mais également par décision unilatérale de l’employeur. Elle exige également de l’appliquer à toute formule analogue. Or la commission de santé, sécurité et condition de travail, lorsqu’elle n’est pas légalement obligatoire (C. trav., art L. 2315-36 et L. 2315-37) est, selon l’article L. 2315-41, mise en place par « l'accord d'entreprise défini à l'article L. 2313-2 ». Un accord d’établissement ne pourrait donc pas, au sein du comité social d’établissement concerné, mettre en place une telle commission. Pourtant, une telle instance vise, tout comme les représentants de proximité, à permettre une meilleure prise en compte des intérêts des salariés. Le résultat d’une négociation menée avec les syndicats majoritaires au niveau de l’entreprise vient ainsi limiter l’autonomie des négociations qui pourraient être menées avec des syndicats disposant d’une légitimité importante au niveau de l’établissement. La Cour, en retenant cette lecture d’un texte ambiguë, renforce ainsi de manière importante l’autorité d’un niveau de négociation sur un autre.
Référence :
■ Soc. 19 déc. 2018, n° 18-23.655 P : D. 2019. 19 ; RDT 2019. 119, obs. C. Wolmark.
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