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Droit pénal général
Seule la CARPA est habilitée à tirer profit des indemnités versées aux victimes
Mots-clefs : Abus de confiance, Préjudice, Avocat, CARPA
Constitue un abus de confiance, pour un avocat, le fait de déposer les fonds reçus pour le compte de ses clients sur un compte autre que celui ouvert au nom de la CARPA, en violation de l’article 240 du décret du 27 novembre 1991, organisant la profession d’avocat, peu important qu’un accord existe ou non sur ce point avec l’auteur de la remise.
Les maniements des fonds par les avocats sont soumis à une réglementation précise. Ainsi, l’avocat qui reçoit des fonds pour le compte de ses clients a-t-il l’obligation de les déposer auprès d’une caisse créée obligatoirement à cette fin pour chaque barreau (Caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats - CARPA), les avocats ne pouvant procéder aux règlements pécuniaires que par l’intermédiaire de la caisse, et les fonds devant être reversés à leurs bénéficiaires, dès justification de l’encaissement définitif et dans le respect de la convention de bonne fin. Le non-respect de cette obligation constitue un abus de confiance au sens de l’article 314-1 du Code pénal. C’est ce qu’illustre l’arrêt du 23 mai 2013.
En l’espèce, une enquête déontologique menée par l’ordre des avocats du barreau de Valenciennes a mis en évidence qu’une avocate, avait fait déposer une somme totale de 1 596 878 euros, correspondant à des indemnisations au profit de victimes de l’amiante qu’elle avait défendues, sur un compte ouvert dans un établissement bancaire au nom de la société civile professionnelle dont elle était l'associée et la gérante et non au nom de la CARPA, comme le prévoit l’article 240 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d’avocat.
Condamnée par la cour d’appel pour abus de confiance au préjudice de la CARPA à un an d’emprisonnement avec sursis, 30 000 euros d’amende, deux ans dont dix-huit mois avec sursis d’interdiction professionnelle, elle s’est pourvue en cassation. Contestant sans succès le raisonnement tenu, la prévenue soutenait notamment à l’appui de son pourvoi que « n’entre pas dans les prévisions de l’article 314-1 du code pénal, et ne constitue qu’une faute disciplinaire, le fait, pour un avocat, de s’abstenir de faire transiter sur le compte CARPA des fonds lui ayant été remis à destination de ses clients, par chèque à l’ordre de la société civile professionnelle ou virement direct sur le compte de la société civile professionnelle, dès lors qu’il n’est pas contesté que ces sommes ont bien été remises au destinataire convenu, qui n’était pas la CARPA ».
Le délit d’abus de confiance, prévu et réprimé par l’article 314-1 du Code pénal se définit comme « le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a accepté à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé ». L’infraction suppose pour être constituée la réunion de plusieurs éléments :
– une remise à titre précaire ;
– un détournement ;
– un préjudice ;
– et un élément moral.
Pour la cour d’appel, l’ensemble de ces éléments était caractérisé en l’espèce.
La condition de remise à titre précaire est remplie, les fonds correspondants aux indemnités des victimes n’étant remis qu’à charge pour l’avocat de les verser au compte ouvert auprès de la CARPA.
Par ailleurs, le fait de ne pas verser les sommes remises à la CARPA, en application de la réglementation de la profession d’avocat, caractérise l’élément matériel de détournement. Peu importe, selon les juges « qu’elle ne les ait pas utilisés à son profit dès lors que les sommes ont généré, au seul bénéfice de la société civile professionnelle, des produits financiers, qui n’ont pas été affectés à l’usage auxquels ils sont destinés ». Les choses sont remises « à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé ». Dès lors que des dispositions légales prévoient que le détenteur de la chose ne peut librement en disposer, l’acte de détournement est constitué.
L’abus de confiance suppose, en outre, une intention frauduleuse : la mauvaise foi de l’auteur du détournement. Celle-ci se déduit classiquement des faits, des circonstances du détournement (Crim. 12 avr. 1967). À ce titre, la jurisprudence, admet que la qualité particulière de l'auteur constitue, dans cette perspective, une donnée déterminante (Crim. 30 juin 2010). Ainsi, en l’espèce, les juges relèvent-ils que les « agissements résultent d’une volonté consciente de la prévenue, avocate d’expérience, qui ne pouvait ignorer la nature et l’étendue de ses obligations en matière de maniement de fonds ».
Reste alors le dernier élément de l’infraction : l’existence d’un préjudice, lequel peut-être matériel ou moral. La jurisprudence est traditionnellement peu exigeante sur ce point, admettant même que l'abus de confiance soit constitué du seul fait de l'exécution du détournement (Crim. 11 oct. 2006). En principe, le profit éventuellement réalisé par l'auteur de l'infraction, comme en l’espèce, est indifférent. Il suffit que l'acte de détournement soit susceptible de priver le propriétaire ou le possesseur de ses droits sur la chose (Crim. 15 mai 1968 ; Crim. 9 avr. 1973). En l’espèce, le préjudice retenu par les juges du fonds est constitué par « un manque à gagner à la CARPA de Valenciennes », ces fonds ayant séjourné sur le compte professionnel de la société civile professionnelle.
La chambre criminelle ne remet pas en cause l’appréciation des éléments constitutifs de l’infraction. Elle rejette le pourvoi affirmant au contraire « qu’entre dans les prévisions de l’article 314-1 du code pénal le fait, pour un avocat, de déposer les fonds reçus pour le compte de ses clients sur un compte autre que celui ouvert au nom de la CARPA, en violation de l’article 240 du décret précité du 27 novembre 1991, organisant la profession d’avocat, peu important qu’un accord existe ou non sur ce point avec l’auteur de la remise ».
Cet arrêt rappelle avec force que le non-respect par les avocats des règles qui régissent leur profession, et notamment le maniement des fonds, les expose à la rigueur de la loi pénale, sans préjudice de la faute disciplinaire.
Crim. 23 mai 2013, n°12-83.677 F-P+B
Références
« L'abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé.
L'abus de confiance est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375000 euros d'amende. »
■ Article 240 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat
« Les fonds, effets ou valeurs mentionnés à l'article 53-9° de la loi du 31 décembre 1971 précitée, reçus par les avocats, sont déposés à un compte ouvert au nom de la caisse des règlements pécuniaires des avocats dans les écritures d'une banque ou de la caisse des dépôts et consignations. »
■ Crim. 12 avr. 1967, n°69-91.982, Bull. crim. n° 115.
■ Crim. 30 juin 2010, n°10-81.182, Dalloz actualité 09 septembre 2010 S. Lavric.
■ Crim. 11 oct. 2006, Dr. pénal 2007. Comm. 1, obs. Véron.
■ Crim. 15 mai 1968, n°67-91.368, D. 1968.594.
■ Crim. 9 avr. 1973, n°72-93.214, D. 1975. 257, note M. Delmas-Marty.
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