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Droit de la responsabilité civile
Silence, on dort !
L’antériorité de l’activité commerciale occasionnant des nuisances sonores n’exonère pas son auteur à l’égard de ses voisins si cette activité n’est pas exercée conformément aux dispositions réglementaires en vigueur et excède les inconvénients normaux du voisinage.
Un couple avait acquis un « loft », contigu à une discothèque. Il s’agissait en fait d’un ancien hangar que les vendeurs, professionnels de l’immobilier, avaient, dans la perspective d’en réaliser la cession, transformé en maison d’habitation. Se plaignant d’importantes nuisances sonores émanant de l’établissement, les acquéreurs avaient, après expertise, assigné leurs vendeurs et l’exploitant de la discothèque en indemnisation sur le fondement du trouble anormal de voisinage.
La cour d’appel leur donna gain de cause. L’exploitant de la discothèque forma un pourvoi en cassation. Pour contester avoir été déclaré responsable in solidum avec les vendeurs des nuisances sonores subies par les acheteurs, il se prévalait, d’une part, des dispositions de l’article L. 112-16 du Code de la construction et de l’habitation qui excluent la réparation des dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou aéronautiques, lorsque de telles activités s’exerçaient antérieurement à la vente ou à la location du bâtiment, en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ; or selon le demandeur, son établissement existait avant la transformation du hangar voisin en loft, et avant la cession de celui-ci aux défendeurs, et était exploité conformément à réglementation qui lui était alors applicable. D’autre part, il rappelait qu’à supposer qu’il ne se soit pas valablement mis en conformité avec la réglementation devenue applicable depuis la transformation, l’existence d’un trouble anormal du voisinage ne peut se déduire de la seule violation de dispositions réglementaires.
La Cour de cassation rejette son pourvoi : « Mais attendu qu’ayant retenu, d’une part, que (les acheteurs) subissaient dans leur séjour et leur chambre, sur des rythmes de musique centrés en basse fréquence, un bruit nocturne important dont l’émergence était supérieure à celle autorisée par la réglementation et excessive et que, d’autre part, le trouble avait pour cause l’absence d’un mur de séparation propre à l’immeuble d’habitation, (lequel) était appuyé sur celui de la discothèque, et également un mauvais réglage du limiteur de pression acoustique installé dans cet établissement, enfin, que l’exploitation de celui-ci ne respectait pas la réglementation devenue applicable du fait de la présence contiguë d’un immeuble à usage d’habitation, la cour d’appel, qui a caractérisé un trouble anormal de voisinage imputable à l’exploitant de la discothèque et a retenu, à bon droit, que les dispositions de l’article L. 112-16 du code de la construction et de l’habitation n’étaient pas applicables, a légalement justifié sa décision ».
Voici un rappel d’un principe général de droit depuis longtemps reconnu selon lequel « nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage » (V. not., Civ. 2e, 28 juin 1995, n° 93-12.681; pour une illustration récente, V. Civ. 3e, 8 nov. 2018, n° 17-24.333).
La responsabilité encourue au titre des troubles anormaux de voisinage est une limite nécessaire à l’exercice des prérogatives inhérentes au droit de propriété, malgré le caractère absolu conféré à ce droit fondamental (Civ. 3e, 4 févr. 1971, 69-12.528 et 69-14.964 ; V. aussi C. civ., art. 651).
Il s’agit d’une cause de responsabilité objective, qui est donc susceptible d’être engagée dès lors qu’est rapportée la preuve du caractère anormal des troubles. La faute éventuelle de l’auteur des troubles est par conséquent indifférente (Civ. 3e, 4 févr. 1971, op. cit. ; Civ. 3e, 18 juin 2013, n° 12-10.249); aussi bien, l’existence d’un trouble anormal du voisinage ne peut en principe se déduire de la seule violation de dispositions légales ou réglementaires (Civ. 3e, 10 janv. 1978, n° 76-11.111 ; Civ. 3e, 24 oct. 1990, n° 88-19.383). La réparation du dommage suppose uniquement de prouver le caractère excessif du trouble invoqué au regard des inconvénients normaux du voisinage (Civ. 3e, 10 janv. 1978, n° 76-11.111 ; Civ. 3e, 24 oct.1990, n° 88-19.383 ; Civ. 3e, 14 janv. 2014, n° 12-29.545).
En cette matière, l’appréciation des juges du fond est souveraine. Ces derniers s’appuient à la fois sur des éléments objectifs et subjectifs pour juger de l’anormalité du trouble alléguée ; ainsi tiennent-ils compte à la fois des circonstances de temps et de lieu, ainsi que de la nature, de la fréquence et de l’intensité des nuisances dénoncées.
Les nuisances sonores font partie des troubles dont l’anormalité, déduites de leur puissance et/ou de leur répétition, sera d’autant plus aisée à démontrer si de surcroît le bruit est, tel qu’en l’espèce, émis la nuit. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle certaines activités ordinaires dont les effets sonores sont normalement admis en journée (aspirateur, radio, télévision, vide-ordures, instrument de musique, etc.), ne sont plus admissibles, voire interdites la nuit, celle-ci les rendant plus perceptibles du fait du faible niveau de bruit de fond. La période durant laquelle s’exercent ces activités se révèle donc, concernant ce type de nuisances, déterminant. Il est toutefois insuffisant. Plus généralement, pour constater l’anormalité du trouble, le juge doit relever une pluralité d’éléments dont la réunion caractérisera l’excès : ainsi, en l’espèce, ont également été pris en compte l’importance du niveau sonore, le dépassement des seuils réglementaires prévus, l’insuffisance de sa régulation en raison d’un réglage défaillant du limitateur de pression acoustique, l’immédiateté de sa transmission en l’absence de cloison séparative, les pièces de la maison d’habitation où le bruit émis était le plus audible (chambre, salon). Les nuisances alléguées étaient donc bien réelles puisque les niveaux sonores normatifs étaient dépassés et que les bruits perçus se révélaient excessifs au regard de ce qui peut être normalement entendu par le voisinage.
Enfin, la cause d’exonération liée à l’antériorité de l’activité (CCH, art. L. 112-16) a été écartée. Il est vrai que la jurisprudence ne la retient qu’à la condition que les activités auxquelles les nuisances sont dues se soient exercées antérieurement à la demande de permis de construire faite par le réclamant, qu’elles l’aient été en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur, et qu’elles se soient poursuivies dans les mêmes conditions (Civ. 2e, 5 janv. 1983, n° 81-11 218). Le demandeur semblait satisfaire cette condition : la discothèque était exploitée antérieurement à la décision des propriétaires du hangar de le transformer en maison d’habitation, les conditions de son exploitation s’exerçaient conformément à la réglementation à l’époque en vigueur et étaient, par la suite, demeurées inchangées (comp., pour un développement de l’activité, Civ. 2e, 16 mai 1994, n° 92-19.880).
En l’espèce, les juges ont cependant retenu que l’exploitant était, « dès l’instant où cette transformation avait eu lieu au vu d’un permis de construire régulièrement délivré, tenu de se mettre en conformité avec la réglementation en vigueur », ce qu’il n’avait pas fait. Le texte précité doit donc être interprété comme imposant à l'exploitant d'exercer et de poursuivre une activité en conformité avec les dispositions légales ou réglementaires en vigueur afin d'être exonéré de sa responsabilité pour troubles anormaux de voisinage (V. aussi Civ. 3e, 27 avr. 2000, n° 98-18.836). Autrement dit, le trouble de voisinage peut être retenu malgré l’antériorité de l’installation si, postérieurement à la demande de permis de construire ou à l’acquisition, l’activité de l’entreprise n’est pas exercée conformément aux dispositions en vigueur (Civ. 3e, 10 oct. 1984, n° 83-14.811; Civ. 2e, 5 oct. 2006, n° 05-17.602; Civ. 2e, 10 juin 2004, n° 03-10.434), et notamment aux nouvelles contraintes réglementaires imposées par la modification de son activité ou, comme en l’espèce, par la création d’un bâtiment d’habitation à proximité de l’établissement. Cette interprétation en apparence sévère pour l’exploitant mérite d’être approuvée : s’il devait être dispensé de se mettre en conformité avec la réglementation nouvelle en vigueur, cela reviendrait à priver ses victimes de toute réparation pour les troubles subis, au mépris du respect des améliorations apportées par la réglementation pour réduire les troubles susceptibles d’être causés au voisinage.
Civ. 3e, 12 sept. 2019, n° 18-18.521
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz : Trouble du voisinage
■ Civ. 2e , 28 juin 1995, n° 93-12.681 P : D. 1996. 59, obs. A. Robert ; AJDI 1995. 971 ; ibid. 972, obs. C. Giraudel ; RDI 1996. 175, obs. J.-L. Bergel ; RTD civ. 1996. 179, obs. P. Jourdain
■ Civ. 3e, 8 nov. 2018, n° 17-24.333 P : D. 2018. 2184 ; ibid. 2019. 1801, obs. N. Reboul-Maupin et Y. Strickler ; RDI 2019. 167, obs. C. Charbonneau ; RTD civ. 2019. 140, obs. W. Dross
■ Civ. 3e, 4 févr. 1971, n° 69-12.528 P et 69-14.964 P
■ Civ. 3e, 24 oct. 1990, n° 88-19.383 P : , D. 1991. 309, obs. A. Robert ; RDI 1991. 34, obs. J.-L. Bergel ; ibid. 92, chron. P. Capoulade et C. Giverdon
■ Civ. 3e, 18 juin 2013, n° 12-10.249 : AJDI 2013. 780
■ Civ. 3e, 10 janv. 1978, n° 76-11.111 P
■ Civ. 3e, 24 oct. 1990, n° 88-19.383 : D. 1991. 309, obs. A. Robert ; RDI 1991. 34, obs. J.-L. Bergel ; ibid. 92, chron. P. Capoulade et C. Giverdon
■ Civ. 3e, 14 janv. 2014, n° 12-29.545
■ Civ. 2e, 5 janv. 1983, n° 81-11 218 P
■ Civ. 2e, 16 mai 1994, n° 92-19.880 P
■ Civ. 3e, 27 avr. 2000, n° 98-18.836 P
■ Civ. 3e, 10 oct. 1984, n° 83-14.811 P
■ Civ. 2e, 5 oct. 2006, n° 05-17.602 P : RDI 2007. 124, obs. F. G. Trébulle
■ Civ. 2e, 10 juin 2004, n° 03-10.434 P : D. 2004. 2477 ; ibid. 2005. 185, obs. P. Delebecque, P. Jourdain et D. Mazeaud ; RDI 2004. 348, obs. F. G. Trébulle ; RTD civ. 2004. 738, obs. P. Jourdain
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