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Droit des obligations
S’informer pour informer
Mots-clefs : Vente, Vendeur professionnel, Obligation de conseil, Obligation de se renseigner
La bonne exécution de l’obligation de conseil du vendeur professionnel suppose que ce dernier se soit au préalable renseigné sur les besoins spécifiques de l’acheteur.
L’acheteur d’un véhicule d’occasion, à qui la venderesse avait précisé qu’il avait été réparé selon les « normes constructeurs », apprend par la suite que la réparation du véhicule avait en fait consisté en la remise en ligne de la caisse sur marbre. Il assigne alors la venderesse afin de voir prononcer l’annulation de la vente.
En appel, sa demande est rejetée au motif que la venderesse n’avait pas manqué à son obligation d’information et de conseil dès lors qu’elle « ne pouvait pas deviner que [l’acheteur] faisait une question de principe de ce que les réparations avaient été réalisées sans passage au marbre et qu’en l’absence d’interrogation sur ce point, elle n’était pas tenue de détailler les réparations qu’elle lui avait signalées ».
Cet arrêt est cassé, ce qui ne surprend guère au regard de l'importance croissante de l'obligation de conseil qui pèse sur les professionnels.
La première chambre civile retient ici que l'obligation de conseil du vendeur professionnel imposait à la venderesse de se renseigner sur les besoins précis de l’acheteur afin de pouvoir l'informer, au regard de la nature et de l’importance des réparations effectuées sur le véhicule, de l’adéquation de celui-ci à l’utilisation qu’il projetait et aux qualités qu’il en attendait. Aussi précise-t-elle qu’il revenait à la venderesse de démontrer qu'elle s'était acquittée de cette obligation puisqu’en effet, le vendeur légalement ou contractuellement tenu d'une obligation particulière d'information ou de conseil, a la charge de prouver qu’il s’en est acquitté (Civ. 1re, 25 févr. 1997).
Ainsi cette décision prolonge celles, récentes, affirmant que l'obligation de conseil du vendeur professionnel lui impose « de se renseigner sur les besoins de l'acheteur afin d'être en mesure de l'informer quant à l'adéquation de la chose proposée à l'utilisation qui en est prévue » (Civ. 1re, 28 oct. 2010 ; Civ. 1re, 28 juin 2012 ; Civ. 1re, 20 déc. 2012).
Certes, en principe, pour être rendu débiteur d'une obligation d'information, un contractant doit avoir connaissance tant du contenu que de l'importance de l'information pour son cocontractant. Or, concernant la connaissance du contenu de l'information, cette exigence repose sur l'évidence que l'on ne peut être tenu de révéler ce que l'on ignore. Aussi logique soit-elle, cette règle comporte cependant, au détriment des professionnels, deux exceptions.
La première réside dans la présomption irréfragable de connaissance, par le professionnel, de l'information, dès lors que celle-ci entre dans le domaine de sa spécialité. Cette technique est désormais bien connue en matière de vente, où une jurisprudence constante assimile le vendeur professionnel à un vendeur de mauvaise foi, c'est-à-dire à celui qui connaissait les vices cachés de la chose vendue (Civ. 1re, 21 nov. 1972). Mais ce procédé classique tend aujourd'hui à déborder de son domaine initial : la présomption n'est plus cantonnée à la seule garantie des vices cachés et recouvre d'autres manifestations de l'obligation d'information, en sorte que le vendeur professionnel ne pourra pas invoquer son ignorance pour échapper à l'annulation ou à la responsabilité sanctionnant une insuffisance d'information (Civ. 1re, 19 janv. 1977).
Quant à la seconde exception, au cœur de la décision rapportée, elle est fondée sur l'obligation, à la charge du professionnel, de s'informer pour informer. En effet, la Cour de cassation pose en principe que « celui qui a accepté de donner des renseignements a lui-même l'obligation de s'informer pour informer en connaissance de cause » (Civ. 2e, 19 oct. 1994 ; Civ. 2e, 19 juin 1996).
Or, il ressort de la jurisprudence récente relative à cette obligation que l’objet de celle-ci ne se limite pas aux évolutions techniques propres au domaine de spécialité du contractant professionnel, ni même encore aux seules qualités substantielles de l'objet du contrat. Découlant de l’obligation de conseil, l’obligation de se renseigner impose au contractant de s’enquérir des besoins spécifiques de son cocontractant ce qui, d’ailleurs, rejoint la deuxième condition de l’existence d’une obligation d’informer : la connaissance, par son débiteur, de l'importance que revêt l'information pour son créancier.
La règle est logique : seul doit s’exprimer celui qui sait que l'information est déterminante pour l'autre partie. Elle a toutefois été progressivement durcie par les juges. Se contentant au départ d'énoncer, in abstracto et par référence à une connaissance déduite de l'opinion commune, que l'information était nécessaire pour permettre à l'utilisateur « de faire du produit un usage correct, conforme à sa destination » (Civ. 1re, 23 avr. 1985), les juges se réfèrent désormais à une connaissance effective, acquise in concreto, résultant soit des circonstances (v. par ex., Civ. 1re, 10 juin 1980), soit, surtout, des indications du cocontractant, que le débiteur de l’obligation d’information doit chercher à obtenir sans attendre que son cocontractant prenne l’initiative de les lui communiquer.
Cette évolution marque donc un alourdissement de l'obligation d’informer du contractant professionnel, le défaut d'information donné par son cocontractant sur ses besoins et attentes spécifiques ne le dispensant plus d’exécuter son devoir d’informer, recouvrant celui, préalable, de se renseigner lui-même.
Civ. 1re, 11 déc. 2013, n°12-23.372
Références
■ Civ. 1re, 25 févr. 1997, Bull. civ., I, n° 75.
■ Civ. 1re, 28 oct. 2010, n° 09-16.913, Dalloz Actu Étudiant 22 nov. 2010.
■ Civ. 1re, 28 juin 2012, n° 11-17.860.
■ Civ. 1re, 20 déc. 2012, n° 11-27.129.
■ Civ. 1re, 21 nov. 1972, JCP G 1974. II. 17890, note J. Ghestin.
■ Civ. 1re, 19 janv. 1977, Bull. civ. I, n° 40.
■ Civ. 2e, 19 oct. 1994, D. 1995. Jur. 499, note A.-M. Gavard-Gilles.
■ Civ. 2e, 19 juin 1996, Bull. civ., II, n° 161, RTD civ. 1997. 144, note P. Jourdain.
■ Civ. 1re, 23 avr. 1985, D. 1985. Jur. 558, note S. Dion.
■ Civ. 1re, 10 juin 1980, Bull. civ. I, n° 179.
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