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Droit des successions et des libéralités
Soustraction à l’administration légale des biens légués à un mineur
Mots-clefs : Succession, Testament, Administration légale, Tiers administrateur, Enfant mineur, Réserve héréditaire
La réserve héréditaire n’exclut pas le droit du disposant de soustraire à l’administration légale les biens qu’il lègue à un mineur.
Par testament, un père prévoit qu’à son décès, son épouse, avec laquelle il se trouve en instance de divorce, sera privée de ses droits d’administration légale et de jouissance sur les biens revenant à leur fils, lesquels seront confiés, en cas de minorité de l’enfant au moment du décès du testateur, à la sœur de ce dernier ou, à défaut, à son frère. Au décès du testateur, et conformément à ses vœux, une ordonnance du juge des tutelles désigne sa sœur en qualité d’administratrice légale des biens dépendant de la succession, échus au fils mineur. La mère fait en vain appel de l’ordonnance. Elle se pourvoit alors en cassation, reprochant à la cour d’appel ayant confirmé l’ordonnance du juge d’avoir dénaturé les termes clairs et précis du testament litigieux et méconnu la règle selon laquelle les biens transmis au mineur au titre de la réserve héréditaire ne peuvent être soustraits à la gestion parentale.
La Cour de cassation devait donc se prononcer sur la possibilité d’exclure les biens légués au mineur de l’administration légale et préciser, le cas échéant, si ces biens soustraits à l’administration d’un parent peuvent valablement se rapporter à la réserve héréditaire.
Sans équivoque, la première chambre civile rappelle les termes clairs de l’article 389-3 du Code civil, en l’espèce applicable, pour rejeter le pourvoi. Selon la Cour, ce texte, « qui permet au disposant, sans aucune distinction, de soustraire à l’administration légale des père et mère les biens qu’il donne ou lègue à un mineur, est une disposition générale qui ne comporte aucune exception pour la réserve héréditaire ». Après avoir écarté le grief de la dénaturation, par les juges du fond, de l’acte testamentaire, la Haute cour consacre ainsi la faculté du parent testateur de soustraire l’autre parent à l’administration légale des biens de leur enfant mineur, même lorsque ceux-ci portent sur la réserve héréditaire.
Sur le plan patrimonial, l’autorité parentale se traduit par le pouvoir des parents d’administrer les biens de l’enfant et par le droit d’en jouir. En effet, le mineur ne pouvant agir seul, il doit, sous réserve de quelques exceptions, être représenté par ses parents pour administrer ses biens. On parle d’administration légale. Elle est, par principe, pure et simple, c’est-à-dire dévolue aux deux parents jusqu’à la majorité de l’enfant, à moins que l’un d’eux soit privé de l’exercice de l’autorité parentale. Comme le rappelle l’arrêt rapporté, certains biens sont toutefois exclus de l’administration légale. L’hypothèse est expressément prévue à l’article 389-3 du Code civil : « ne sont pas soumis à l’administration légale les biens donnés ou légués au mineur sous la condition qu’ils seraient administrés par un tiers ». En l’espèce, le testament avait soumis le legs à la condition que la mère de l’enfant ne gère pas ses biens, mais que sa tante s’en charge. Celle-ci était donc désignée en qualité de tiers-administrateur.
Le texte de l’article 389-3 alinéa 3 du Code civil a en fait pour but de priver l’ex-conjoint, par anticipation, de toute ingérence dans son patrimoine à travers la gestion des biens donnés ou légués aux enfants communs. Réponse légale aux relations conflictuelles des parents, ce « droit de soustraction » est, en outre, largement entendu.
D’une part, le tiers-administrateur peut recevoir des pouvoirs plus larges que ceux des administrateurs légaux, selon les conditions prévues par la donation ou le testament pour l’exercice de sa mission. Ainsi peut-il être autorisé par le testateur ou donateur à vendre un immeuble ou à apporter en société le fonds de commerce légué, alors même que ces actes auraient été, dans le régime légal, respectivement soumis à l’accord des parents et à l’autorisation du juge des tutelles. Cela étant, à défaut de précision, le tiers a les pouvoirs d’un administrateur légal sous contrôle judiciaire, ce qui signifie que l’administrateur peut accomplir seul les actes conservatoires et les actes d’administration (C. civ., art. 389-6, al. 2) mais qu’il doit se pourvoir d’une autorisation du juge des tutelles pour accomplir les actes qu’un tuteur ne pourrait faire qu’avec une autorisation (C. civ., art. 389-6, al. 1er), c’est-à-dire les actes de disposition.
D’autre part, la Cour de cassation juge l’existence de la réserve héréditaire (C. civ., art. 913) inopérante, la clause d’exclusion pouvant porter non seulement sur la quotité disponible, mais également sur la réserve héréditaire (Civ. 1re, 10 juin 1975) car là où la loi ne distingue pas, il n’y a point lieu de distinguer, rappelle ici la Cour.
Civ. 1re, 6 mars 2013, n°11-26.728
Références
■ Code civil
« L'administrateur légal représentera le mineur dans tous les actes civils, sauf les cas dans lesquels la loi ou l'usage autorise les mineurs à agir eux-mêmes.
Quand ses intérêts sont en opposition avec ceux du mineur, il doit faire nommer un administrateur ad hoc par le juge des tutelles. À défaut de diligence de l'administrateur légal, le juge peut procéder à cette nomination à la demande du ministère public, du mineur lui-même ou d'office.
Ne sont pas soumis à l'administration légale les biens qui auraient été donnés ou légués au mineur sous la condition qu'ils seraient administrés par un tiers. Ce tiers administrateur aura les pouvoirs qui lui auront été conférés par la donation ou le testament ; à défaut, ceux d'un administrateur légal sous contrôle judiciaire. »
« Dans l'administration légale sous contrôle judiciaire, l'administrateur doit se pourvoir d'une autorisation du juge des tutelles pour accomplir les actes qu'un tuteur ne pourrait faire qu'avec une autorisation.
Il peut faire seul les autres actes. »
« Les libéralités, soit par actes entre vifs, soit par testament, ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s'il ne laisse à son décès qu'un enfant ; le tiers, s'il laisse deux enfants ; le quart, s'il en laisse trois ou un plus grand nombre.
L'enfant qui renonce à la succession n'est compris dans le nombre d'enfants laissés par le défunt que s'il est représenté ou s'il est tenu au rapport d'une libéralité en application des dispositions de l'article 845. »
■ Civ. 1re, 10 juin 1975, n°73-11.265.
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