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Procédure civile
Spécificité de la force majeure « procédurale »
Selon l'article 910-3 du Code de procédure civile, constitue un cas de force majeure la circonstance non imputable au fait de la partie qui l'invoque et qui revêt pour elle un caractère insurmontable. Par conséquent, ne donne pas de base légale à sa décision la cour d'appel déclarant caduque une déclaration d'appel, aux motifs que la durée de l'indisponibilité de l'avocat a été inférieure à celle du délai pour conclure et que le cabinet était en outre composé de deux avocats, alors qu'il résultait de ses propres constatations que l'avocat avait remis un certificat médical établissant qu'il s'était trouvé dans l'incapacité d'exercer sa profession pendant la période au cours de laquelle le délai de dépôt du mémoire avait expiré.
Civ. 2e, 17 mai 2023, n° 21-21.361 B
La Cour de cassation a rendu, le 17 mai dernier, une décision notable sur la notion de force majeure, dont elle confirme l’approche processualiste qui renouvelle, pour l’assouplir, la définition civiliste classique de cette cause d’exonération. En effet, c’est à notre connaissance pour la première fois qu’elle qualifie de cas de force majeure le problème médical rencontré, en l’espèce, par l’avocat de la demanderesse au pourvoi, ce dernier ayant pour cette raison été empêché de conclure dans les trois mois de la déclaration d’appel. Or la sanction normalement prévue dans cette hypothèse par l’article 908 du Code de procédure civile, soit la caducité de la déclaration d’appel, peut être écartée en cas de force majeure, selon l’article 910-3 du même code, lequel ne définit cependant pas la notion. En l’absence de précision légale, la cliente de l’avocat s’employa alors à démontrer que l’accident médical subi par ce dernier, ayant été victime d’une fracture de la main, était constitutif d’un cas de force majeure. Dans cette perspective, avaient été versés aux débats un certificat d’hospitalisation et un certificat médical attestant de l’incapacité de l’avocat à travailler trois mois durant, soit pendant le délai légalement prévu pour conclure. Ces faits étaient-ils constitutifs de la force majeure ? La cour d’appel répondit par la négative au motif que l’irrésistibilité n’étant pas établie, les conditions de la force majeure n’étaient pas toutes réunies. Pour les juges du fond, compte tenu de l’emplacement de la fracture, rendant celle-ci peu handicapante, de la très courte durée d’hospitalisation (une journée) et du fait que l’avocat aurait pu être suppléé par son associé, il n’était pas démontré que la fracture subie par l’avocat de l’appelante ait constitué un empêchement à l’exécution, c.-à-d. au dépôt des conclusions dans les délais légaux. La décision est censurée par la Cour de cassation. Celle-ci rappelle tout d’abord, au visa de l’article 910-3, qu’en matière procédurale, constitue un cas de force majeure « la circonstance non imputable au fait de la partie qui l'invoque et qui revêt pour elle un caractère insurmontable ». Ensuite, elle reproche aux juges du fond d’avoir exclu la force majeure au motif que la durée d’indisponibilité de l’avocat avait été inférieure à celle du délai pour conclure, alors même que ce dernier avait été arrêté par son médecin « entre le 15 février et le 15 avril 2021, soit pendant la période au cours de laquelle le délai de dépôt du mémoire avait expiré ». Autrement dit, peu importait la durée, même très brève, de l’hospitalisation. Ce qui se révélait décisif était la durée de l’empêchement de l’avocat telle qu’elle avait été prévue par son arrêt de travail. On peut enfin relever, en creux, l’indifférence à la circonstance que le cabinet ait été composé de deux avocats ; l’associé de l’avocat blessé étant pénaliste et surchargé, il ne pouvait pas, selon le pourvoi, suppléer son associé pour rendre des conclusions en droit social.
La jurisprudence est venue préciser l’approche processualiste de la notion de force majeure prévue par l’article 910-3 du code de procédure civile. Dans un premier arrêt de principe du 25 mars 2021, la Cour de cassation l’a pour la première fois définie comme la circonstance non imputable au fait de la partie qui l’invoque et qui revêt pour elle un caractère insurmontable (Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 20-10.654). La notion différait donc en partie de celle retenue en droit civil, notamment par l’inexistence du critère de l’imprévisibilité (sur les critères de la force majeure, v. Cass., ass. plén., 14 avr. 2006, nos 04-18.902 et 02-11.168). En l’espèce, ce critère est à nouveau évincé, l’imprévisibilité n’étant pas mentionnée, ce qui est par ailleurs admissible en matière extracontractuelle. La procédure civile a donc sa propre définition de la force majeure, constituée par les seuls critères liés à l’extériorité et à l’irrésistibilité de l’événement. De manière plus souple qu’en droit civil, constitue donc un cas de force majeure la circonstance insurmontable et non imputable à la partie qui s’en prévaut. Si la définition de la force majeure procédurale est claire, elle est toutefois rarement retenue en jurisprudence, principalement en ce qui concerne l’état de santé de l’avocat, cause la plus fréquemment invoquée. L’avocat étant censé être toujours guidé par le souci de l’interruption du délai, la jurisprudence dominante se montre en conséquence rétive à assimiler l’empêchement à conclure dans les délais, même causé par des ennuis de santé non imputables à sa victime, à un cas de force majeure. Pour le dire autrement, c’est le caractère insurmontable de l’événement qui peine à être retenu. Dans l’arrêt précité du 25 mars 2021, où était discuté le fait de savoir si les conclusions, dont l’absence de notification dans le délai imposé n’était déjà pas justifiée par un certificat médical de l’avocat prétendument empêché pour raisons de santé, pouvaient être retardées dans l’attente d’un rapport d’expertise invoqué comme absolument nécessaire pour conclure, la Cour avait écarté la force majeure au motif qu’il suffisait à l’avocat de conclure en concentrant ses prétentions, quitte à viser dans ses écritures l’attente de ce rapport d’expertise, d’autant plus que cette carence ne l’avait pas empêché de conclure en première instance. Autrement dit, l’avocat malade avait sans doute été en difficulté, mais non dans l’impossibilité, de conclure dans le délai imparti. La pluralité d’associés exerçant dans le même cabinet que l’avocat empêché est également une circonstance susceptible d’entraver la caractérisation d’un cas de force majeure. Ainsi la Cour l’a-t-elle déjà exclu au détriment de l’avocat empêché pour des raisons de santé en raison de l’aide dont il avait pu bénéficier au sein de son cabinet (une trentaine de personnes, une équipe dédiée en droit social), relevant que l’importance des dossiers, du travail accompli, des pièces communiquées et la complexité de la procédure étaient autant d’éléments qui attestaient de l’aide dont l’avocat avait pu bénéficier en amont de la notification qu’il avait adressé le jour même de son rétablissement (Civ. 2e, 2 déc. 2021, n° 20-18.732). De ces premières décisions, que confirme l’arrêt rapporté, résultent deux conditions constitutives de la force majeure procédurale susceptible d’être invoquée par l’avocat : la preuve d’un état de santé constitutif d’un empêchement de procéder à la notification des conclusions dans le délai imparti pour conclure (trois mois ou un mois selon que la procédure est soumise à la voie classique ou à bref délai) et, condition cumulative, que personne ne pouvait le suppléer durant ce temps précis. Or en l’espèce, l’avocat avait pu produire un certificat médical établissant son incapacité de travail pour une durée allant au-delà du délai légal requis pour le dépôt des conclusions, dont l’expiration se trouvait ainsi justifiée. En outre, l’impossibilité qu’il fût suppléé était également établie. En de telles circonstances, la force majeure, dont l’appréciation reste éminemment casuistique, devait cette fois être retenue.
Références :
■ Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 20-10.654 P
■ Cass., ass. plén., 14 avr. 2006 nos 04-18.902 et 02-11.168 P : D. 2006. 1577, obs. I. Gallmeister, note P. Jourdain ; ibid. 1566, chron. D. Noguéro ; ibid. 1929, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RTD civ. 2006. 775, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 2e, 2 déc. 2021, n° 20-18.732 B : D. 2021. 2239 ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero.
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