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Droit pénal général
Steaks hachés avariés. Obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Faute délibérée
Constituent des obligations particulières de prudence ou de sécurité les prescriptions d’un règlement de l’Union européenne en matière sanitaire dont la violation de façon manifestement délibérée caractérise la faute délibérée.
La faute délibérée, définie comme une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, fut d’abord introduite lors de la création du délit de risques causés à autrui (C. pén., art. 223-1). Puis, elle fut reprise dans le cadre des infractions d’atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité physique de la personne, devenant tour à tour, condition de la responsabilité pénale des personnes physiques, auteurs indirects (C. pén., art. 121-3, al. 4), ou circonstance aggravante de ces infractions (C. pén., art. R. 625-3 ; 222-20 ; 222-19, al. 2 ; 221-6 , al. 2).
Une telle faute ne peut être retenue sans un support préalable textuel contenant une obligation particulière de prudence ou de sécurité. Dès lors, pour entrer en voie de condamnation, les juges doivent rechercher le texte édictant une obligation particulière de prudence ou de sécurité qui aurait été violée de façon manifestement délibérée (Crim. 22 sept. 2015, n° 14-84.355). Ils ne peuvent relever à la charge d’un individu « un manquement à une obligation de sécurité prévue par la loi, sans préciser la source et la nature de cette obligation » (Crim. 18 juin 2002, n° 01-86.539).
Identifier l'origine textuelle de l'obligation dont la violation est retenue ne suffit pas. L’obligation visée par le texte doit se trouver dans la loi ou le règlement. S’agissant de la notion de règlement, celle-ci renvoie d’une part, à la conception constitutionnelle de la réglementation (Aix en Provence, 22 nov. 1995; Crim. 10 mai 2000, n° 99-80.784) et d’autre part, ne vise que les actes à caractère général, et non les actes individuels.
L’affaire soumise à la chambre criminelle sur fond de viande hachée avariée illustre que l’obligation particulière peut être décrite, non au sein des règles nationales mais d’un règlement de l’Union européenne.
Au mois de juin 2011, seize enfants du département du Nord ont présenté les symptômes d’un syndrome hémolytique et urémique, dû à la bactérie E-coli O157H7, susceptible d’engendrer une insuffisance rénale aigüe. Les investigations ont établi qu’ils avaient consommé de la viande hachée élaborée le 11 mai 2011. Ce jour-là, sur les 13 unités de production fabriquées, seules 3 avaient fait l’objet d’une recherche en E-coli dont l’une avait donné un résultat non satisfaisant dépassant le seuil de déclenchement de la recherche d’E-coli O157H7, en application du plan de maîtrise sanitaire validé par l’administration (PMS 2). L’enquête a encore mis en évidence qu’aucune recherche de cette nature n’avait été effectuée, seules de nouvelles analyses en E-Coli ayant été réalisées, en application d’un PMS 3 jamais approuvé par l’administration.
A l’issue de l’information judiciaire ouverte sur ces faits, le gérant de la société qui élaborait ces produits a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir, par la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, causé une incapacité totale de travail supérieure à trois mois au préjudice d’un enfant et une incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois au préjudice de quinze autres enfants. Il a également été poursuivi notamment pour tromperie sur les qualités substantielles de steaks hachés dont la consommation est dangereuse pour la santé de l’homme, pour mise sur le marché de produits d’origine animale dangereux et détention de denrées servant à l’alimentation de l’homme falsifiées, corrompues ou toxiques nuisibles à la santé de l’homme. Les premiers juges comme les juges d’appel l’en ont déclaré coupable et condamné à trois ans d’emprisonnement dont un an avec sursis et 50 000 euros d’amende, à une interdiction professionnelle définitive, à une interdiction définitive de gérer une entreprise commerciale, a ordonné une mesure de confiscation et une mesure de publication. Les juges puis l’ont également déclaré responsable des préjudices subis par les parties civiles et l’ont condamné à les indemniser.
A l’appui de son pourvoi, le prévenu rejetait à la fois le caractère particulier de l’obligation et la source de l’obligation. Ainsi, il soutenait « que le règlement (CE) n° 178/2002 du 28 janvier 2002, qui établit les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, notamment en matière de sécurité des denrées alimentaires, constitue une norme générale et n’institue dès lors pas une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ». Par ailleurs, il contestait le raisonnement de la cour d’appel qui était entrée en voie de condamnation du chef de blessures involontaires, « motif pris que [le prévenu] n’avait pas respecté le plan de maîtrise sanitaire n°2 de la Société, pour en déduire qu'il avait violé de façon manifestement délibérée les obligations de prudence et de sécurité prévues par le règlement (CE) n° 178/2002, en mettant sciemment sur le marché un produit alimentaire potentiellement dangereux, sans faire réaliser les analyses qui s’imposaient, après avoir exactement énoncé qu’un Plan de Maîtrise Sanitaire ou une autorisation individuelle ne pouvaient constituer une loi ou un règlement au sens de l’article 121-3 du code pénal ».
L’argumentation pouvait paraitre séduisante. En effet, en matière de viandes hachées, le règlement européen prévoit que les matières premières ne peuvent provenir que d'ateliers de découpe agréés. L’agrément délivré par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations suppose que le professionnel a mis en place des contrôles de conformité des produits qu'il réceptionne et qu'il fabrique en établissant un plan de maîtrise sanitaire qui doit obligatoirement prendre en compte le risque lié à la contamination par la bactérie E-Coli et par la bactérie E-Coli 0157H7 et être approuvé par l'administration. Comme le soulignaient les juges du fond, à juste titre, un plan de maîtrise sanitaire ou une autorisation individuelle ne peut être considéré comme un acte administratif à caractère général et impersonnel (V. déjà dans le même sens pour un arrêté préfectoral déclarant un immeuble insalubre et imposant des travaux au propriétaire : Crim. 10 mai 2000, n° 99-80.784 ou pour un arrêté préfectoral autorisant une installation classée et imposant à son exploitant des conditions de fonctionnement : Crim. 30 oct. 2007, n° 06-89.365).
La chambre criminelle écarte pourtant l’argument. Les obligations particulières méconnues trouvent leur source non dans la méconnaissance du PMS mais dans le règlement lui-même. Elle admet ainsi que « constituent des obligations particulières de prudence ou de sécurité les prescriptions des articles 14, 17 et 19 du règlement CE n° 178/2002 du Parlement et du Conseil du 28 janvier 2002 aux termes desquels notamment, d’une part, lorsqu'une denrée alimentaire dangereuse fait partie d'un lot ou d'un chargement de denrées alimentaires de la même catégorie ou correspondant à la même description, il est présumé que la totalité des denrées alimentaires de ce lot ou chargement sont également dangereuses, sauf si une évaluation détaillée montre qu'il n'y a pas de preuve que le reste du lot ou du chargement soit dangereux, d’autre part, dans une telle situation l’exploitant doit retirer les denrées du marché, enfin, les exploitants du secteur alimentaire veillent, à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution dans les entreprises placées sous leur contrôle, à ce que les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux répondent aux prescriptions de la législation alimentaire applicables à leurs activités et vérifient le respect de ces prescriptions ».
La faute délibérée peut donc exister avec comme support préalable une obligation se trouvant un règlement de l’Union européenne. Acte de portée générale, obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre, le règlement régit les rapports des justiciables des États membres et à ce titre peut contenir des obligations « particulières », fixant de manière objective l'attitude à adopter (Aix en Provence, 22 nov. 1995, préc.).
Crim. 31 mars 2020, n° 19-82.171
Références
■ Crim. 22 sept. 2015, n° 14-84.355 P: D. actu. 8 oct. 2015, obs. Fonteix; RSC 2015. 854, obs. Mayaud ; Dr. pénal 2015, n° 157, obs. Conte
■ Crim. 18 juin 2002, n° 01-86.539 P: AJDA 2002. 806 ; D. 2003. 240, et les obs., note F. Gauvin ; ibid. 244, obs. G. Roujou de Boubée ; RSC 2002. 814, obs. Y. Mayaud ; ibid. 2003. 92, obs. B. Bouloc
■ Aix en Provence, 22 nov. 1995 : D. 1996. 405, note Borricand
■ Crim. 10 mai 2000, n° 99-80.784 P : D. 2000. 190 ; RDI 2000. 619, obs. G. Roujou de Boubée
■ Crim. 30 oct. 2007, n° 06-89.365 P : D. 2008. 2397, obs. Trébulle; ibid. 2009. 128, obs. Mirabail; AJ pénal 2008. 91, obs. Lavric; Gaz. Pal. 2007. 2. Somm. 4136, note M. B.; Dr. pénal 2008, n° 65, obs. Robert; RSC 2008. 75, obs. Mayaud
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