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[ 16 novembre 2023 ] Imprimer

Droit de la famille

Stock-options : des biens propres à l’époux commun en biens, sauf si leur option est levée pendant le mariage

Dans un arrêt rendu le 25 octobre dernier, la Cour de cassation rappelle que seule l'action acquise par exercice de l'option durant le mariage entre dans la communauté.

Civ. 1re, 25 oct. 2023, n° 21-23.139

Les articles L. 225-177 et suivants du Code de commerce permettent aux sociétés par actions d’attribuer à leurs salariés ou mandataires sociaux des options de souscription ou d'achat d'actions, plus souvent appelées « stock-options ». Celles-ci ont été conçues comme un supplément de rémunération pour le salarié ou mandataire social, dont l’objectif consiste à ce qu'au jour de la levée des options, la valeur réelle des actions soit supérieure au prix de souscription, et qu’il profite ainsi d'une plus-value d'acquisition. 

Le mécanisme des stock-options se divise en deux temps correspondant, au plan civil, à celui applicable à la promesse unilatérale de vente : dans un premier temps, le bénéficiaire est simplement titulaire d’un droit d’option ; ce n’est que dans un second temps, s'il choisit de lever les options, que le bénéficiaire deviendra propriétaire des actions. 

Depuis longtemps, ce mécanisme fait naître des difficultés d’articulation avec le droit des régimes matrimoniaux, en particulier lorsque le bénéficiaire des stock-options est un époux commun en biens. En outre, la Cour de cassation a tardé à se prononcer à la fois sur la nature de ces stock-options mais aussi sur le sort des actions résultant de la levée des options, dans un régime communautaire. Par un arrêt de principe rendu le 9 juillet 2014 (13-15.948), la Cour de cassation prit enfin position : en raison de leur attribution exclusive au conjoint bénéficiaire, les stock-options constituent des biens propres par nature ; en revanche, les actions acquises durant le mariage par l’exercice effectif des droits d’option sont communes. C’est au rappel de cette solution de principe que procède la Cour dans la décision rapportée.

Au cas d'espèce, un couple marié sous le régime légal divorce. Durant le mariage, des stock-options avaient été conférées au mari. Or celui-ci n’en a levé qu’une partie avant la dissolution de l'union. Cependant, l’épouse entend faire intégrer à l’actif de la communauté la valeur de l’ensemble des stock-options détenues par son ex-mari, même celles non encore levées au jour de l’ordonnance de non-conciliation. C’est évidemment autour de celles-ci que le litige s’est cristallisé entre les époux à l'occasion de la liquidation de la communauté.

En appel, les juges ont retenu que seules les actions levées au jour de l’ordonnance de non-conciliation devaient intégrer l’actif de la communauté. À l’appui de son pourvoi en cassation, l’épouse soutenait au contraire que la valeur de la totalité des stock-options était commune, même celles non encore levées donc, dès lors que ces dernières avaient été attribuées au mari pendant le mariage : considérant que les stock-options s’assimilent à des gains et salaires perçus par l’un des époux durant le mariage, qui sont par principe des biens communs, l’ensemble des stock-options attribuées à son ancien conjoint devaient à ce titre, selon la demanderesse, intégrer l’actif de la communauté. 

Deux questions se posaient donc à la première chambre civile de la Cour de cassation. D'une part, quelle est la nature des stock-options attribuées durant le mariage à un époux commun en biens ? D'autre part, cette qualification influe-t-elle sur celle des actions subséquentes à la levée des options ?

Confirmant la position qu’elle avait adoptée en 2014, la Haute cour juge que les stock-options constituent des biens propres par nature, mais précise que les actions issues de la levée des options au cours de l'union forment des biens communs. En ce sens, elle approuve la cour d’appel d’avoir déduit des règles qui précèdent que seules les actions levées par l’époux bénéficiaire au jour de l’ordonnance de non-conciliation devaient intégrer l’actif de la communauté. 

■ Nature des stock-options - Contre l'avis d'une partie de la doctrine, la première chambre civile de la Cour de cassation confirme, aux visas des articles 14011404 et 1589 du Code civil et de l'article L. 225-183, alinéa 2 du Code de commerce que « les droits résultant de l'attribution, pendant le mariage à un époux commun en biens, d'une option de souscription ou d'achat d'actions forment des propres par nature ». On peut d’emblée s’étonner que les stock-options, qui ne sont en vérité que des compléments de rémunération, ne soient pas qualifiées de biens communs à l’instar des gains et salaires perçus en cours d’union. C’était d’ailleurs le moyen principal de la demanderesse au pourvoi. Mais à y regarder de plus près, c’est sans nul doute l’étroitesse du lien que ces droits présentent avec leur attributaire qui justifie le refus d’une telle qualification. Figurant au visa, l’article 1404 du Code civil vise, au sein d’une liste non exhaustive des biens propres par nature, deux types de biens susceptibles de concerner les stock-options : « les créances et les pensions incessibles » et « les droits exclusivement attachés à la personne ». L’assimilation du mécanisme des stock-options à celui de la promesse unilatérale de vente, qui confère à son bénéficiaire un droit de créance contre le promettant, vient au soutien du rattachement des stock-options à la première catégorie, l’incessibilité de ces créances étant par ailleurs prévue par l'article L. 225-183, alinéa 2, selon lequel « les droits résultant des options consenties sont incessibles jusqu'à ce que l'option ait été exercée ». Créances incessibles, les stock-options seraient, par nature, des biens propres. Cependant, l'incessibilité d'une créance ne suffit pas toujours à évincer son caractère commun. Certains droits incessibles sont communs ; ainsi des salaires ou des indemnités de licenciement. De plus, l'incessibilité des stock-options n'a pas été édictée pour des raisons liées au droit des régimes matrimoniaux. Il semble dès lors peu probable que la Cour ait entendu fonder sa solution sur ce seul critère. À celui-ci doit certainement être ajouté celui tiré de l'attachement exclusif du droit à la personne. L’appartenance d'un droit à cette catégorie de biens propres par nature repose principalement sur le critère d’exclusivité du lien entre le droit et la personne de l'époux. Or le fait que les stock-options confèrent à l’époux bénéficiaire le pouvoir exclusif de lever l'option se révèle ici décisif. L’exclusivité de ce pouvoir conforte la nature personnelle du lien qui attache ces biens spécifiques à l’époux commun en biens, à l’exclusion donc de son conjoint. En outre, même dans les rapports entre époux, si les stock-options présentent potentiellement de la valeur pour les deux membres du couple, il n’en demeure pas moins que cette valeur ne peut être générée que par celui à qui elles sont attribuées. Le fait que la valeur du bien subsiste uniquement grâce à celle du travail fourni par l'un des conjoints soutient également l’exclusivité du lien entre les stock-options et l’époux bénéficiaire. 

L’étroitesse du lien que présentent ces droits avec la personne de l’époux bénéficiaire permet d’assimiler les stock-options aux « droits exclusivement attachés à la personne », leur incessibilité constituant d’ailleurs un indice de cette exclusivité. Leur possibilité d’intégration à cette catégorie légale justifie leur qualification de biens propres par nature. Encore faut-il savoir si cette qualification peut être maintenue une fois ces droits exercés, ie les options levées, durant le mariage.

■ Sort des actions issues de la levée des stock-options – En l’espèce saisie des aspects liquidatifs du mécanisme, la première chambre civile poursuit son analyse en jugeant que malgré la qualification de biens propres par nature retenue pour l’attribution de ces droits d’option, « les actions acquises par l'exercice de ces droits entrent dans la communauté lorsque l'option est levée durant le mariage ». Cette reconnaissance du caractère commun des actions issues de la levée des options pendant le mariage revient à dire que ces actions sont des « acquêts », soit des biens acquis par l’un des époux en cours d'union. Ainsi, la qualification de biens propres préalablement retenue pour les stock-options est sans incidence sur celle des actions subséquentes à la levée d’option. 

En effet, les actions issues de la levée d'options ne peuvent, quant à elles, revêtir la qualification de biens propres, que ce soit sur le fondement du premier alinéa de l’article 1406 du Code civil, car elles ne constituent pas des valeurs mobilières en raison de leur incessibilité légale (v. C. civ., art. 1406, al. 1), ou sur celui du second alinéa du même texte, parce qu’elles ne peuvent bénéficier du jeu de la subrogation réelle de plein droit nécessaire à la faculté de remplacement en biens propres des biens acquis pendant le mariage (v. C. civ., art. 1406, al. 2). Dès lors, il faut approuver la Cour de cassation d'avoir retenu leur caractère commun.

Partant, de deux choses l'une : soit les options sont levées pendant le mariage et il convient de considérer que les actions résultant de l’exercice des droits d’option constituent des biens acquis à la communauté en sorte que leur valeur devra être intégrée à l’actif de celle-ci ; soit les options ne sont pas levées à la date de dissolution du mariage, et elles conservent la nature de biens propres reconnue aux stock-options attribuées à l’époux pendant le mariage. 

Référence :

■ Civ. 1re, 9 juill. 2014, n° 13-15.948 D. 2014. 1544 ; ibid. 2434, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau ; Just. & cass. 2015. 229, rapp. X. Savatier ; ibid. 240, avis J.-P. Jean ; AJ fam. 2014. 508, obs. P. Hilt ; Rev. sociétés 2015. 43, note I. Dauriac ; RTD civ. 2014. 933, obs. B. Vareille

 

Auteur :Merryl Hervieu


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