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Droit des obligations
Subrogation et prescription : l’appel à la célérité du subrogé
L’assureur subrogé dans les droits de la victime d’un dommage ne disposant que des actions bénéficiant à celle-ci, son action contre le tiers responsable est soumise aux règles de prescription applicables à l’action directe de la victime, qui lui sont opposables.
Civ. 1re, 2 févr. 2022, n° 20-10.855
La décision rapportée offre l’occasion à la Cour de cassation de rappeler que par son effet translatif, la subrogation ne modifie pas les règles de la prescription applicables aux relations liant le créancier subrogeant au débiteur, antérieures à la transmission de la créance, et partant opposables au subrogé.
Le 20 janvier 2011, une société avait acquis un yacht donné en location, avec option d'achat, à un locataire. Le bateau ayant été détruit par un incendie survenu le 29 octobre 2011, l'assureur avait indemnisé le locataire et l’acquéreur. Le 19 avril 2013, l'assureur, invoquant un défaut de conformité, avait assigné le vendeur en résolution de la vente. La cour d’appel déclara son action irrecevable comme prescrite au motif que l’action de l’assureur subrogé est soumise à la prescription applicable à l’action de l’assuré subrogeant. Or, le point de départ de cette prescription biennale (C. Consom. anc. art. L. 211-12) était la délivrance du navire. À l’appui de l’adage contra non valentem, l’assureur se pourvut en cassation, soutenant que la prescription ne courant pas contre celui qui est empêché d'agir, la prescription de l'action fondée sur la subrogation ne peut commencer à courir avant le paiement subrogatoire intervenu, en l’espèce, ultérieurement à la date de délivrance du bien. Au visa de l'article L. 121-12 du code des assurances, qui fonde le recours subrogatoire de l’assureur, puis se référant à sa jurisprudence antérieure rendue en application des règles générales gouvernant la subrogation, la Cour de cassation rappelle que le débiteur poursuivi par un créancier subrogé dans les droits de son créancier originaire peut opposer au créancier subrogé les mêmes exceptions et moyens de défense que ceux dont il aurait pu disposer initialement contre son créancier originaire (Civ. 1re, 4 avr. 1984, n° 82-16.683 ; Civ. 1re, 18 oct. 2005, n° 04-15.295 ; Com. 11 déc. 2007, n° 06-13.592). Il en résulte que l’assureur subrogé dans les droits de la victime d'un dommage ne dispose que des actions bénéficiant à celle-ci, en sorte que son action contre le responsable est soumise à la prescription applicable à l'action directe de la victime (Civ. 1re, 4 févr. 2003, n° 99-15.717 ; Civ. 2e, 15 mars 2007, n° 06-11.509). En application de ces principes, elle en conclut que le point de départ de la prescription de l'action du subrogé est identique à celui de l'action du subrogeant (Civ. 1re, 4 févr. 2003, n° 99-15.717, préc. ; Civ. 2e, 17 janv. 2013, n° 11-25.723 ; Civ. 2e, 26 nov. 2020, n° 19-22.179 ; Com. 5 mai 2021, n° 19-14.486). Ainsi, après avoir énoncé à bon droit que l'action de la personne subrogée dans les droits de la victime d'un dommage contre le responsable est soumise à la prescription applicable à l'action de la victime et retenu qu'était applicable à l'action subrogatoire de l'assureur l'article L. 211-12 du code de la consommation, selon lequel l'action résultant du défaut de conformité se prescrit par deux ans à compter de la délivrance du bien, la cour d'appel en a exactement déduit que le point de départ du délai de prescription devait être fixé à cette date.
Le rejet du pourvoi n’allait pourtant pas de soi. Fixer le point de départ de la prescription de l’action de l’assureur subrogé au jour du paiement eût été logique, l’exercice de son recours subrogatoire dépendant du paiement des sommes dues à l’assuré, qualifiées d'indemnités d’assurance. En effet, ce n’est qu’une fois ces indemnités versées à l'assuré que l'assureur est subrogé, jusqu'à concurrence de ces indemnités, dans les droits et actions de l'assuré contre le tiers responsable du dommage et qu’il dispose d’un recours dit subrogatoire, sur le fondement de l'article L121-12 du code des assurances, qui lui permet d’obtenir le remboursement, par l'auteur du dommage, des fonds versés. Autrement dit, tant qu'il n'a pas payé, l'assureur n’est pas subrogé dans les droits de son assuré. Sans préjudice ni intérêt à agir, il reste, avant le paiement subrogatoire, sans recours contre le tiers responsable du dommage. Ainsi, fixer le point de départ de la prescription à la date du paiement subrogatoire, comme l’invoquait l’assureur, demandeur au pourvoi, était parfaitement concevable.
Cette solution n’est toutefois pas retenue en raison de l’effet translatif consubstantiel à la subrogation : le subrogé remplaçant le subrogeant dans le rapport d’obligation, le premier ne peut avoir plus de droits que le second, une transmission de créance ne pouvant avoir pour effet d’aggraver la situation du débiteur. C’est dire que tout en étant prévu par le droit spécial des assurances, ce mécanisme subrogatoire reste soumis, comme le rappelle ici la Cour, aux effets de la subrogation personnelle telle que celle-ci est régie par le régime général des obligations. Le texte de l’article L121-12 du code des assurances introduit donc un mécanisme de subrogation légale auquel restent applicables les règles générales relatives à la subrogation personnelle. Or selon une jurisprudence constante, la subrogation opère une transmission de la créance au solvens qui se voit transmettre, à la date du paiement qu’elle implique, une créance de même nature que celle unissant le créancier subrogeant et le débiteur, avec tous ses accessoires. La créance se transmet à la mesure des droits et actions dont dispose le subrogeant et ne peut lui en conférer davantage de sorte que celui qui, par son paiement, est subrogé dans les droits du créancier originaire, ne peut avoir plus de droits ou d’actions que ce dernier à l’égard du débiteur. En conséquence, celui qui est subrogé dans les droits de la victime d’un dommage ne disposant que des actions bénéficiant à celle-ci, son action contre le responsable est soumise à la prescription applicable à l’action directe de la victime. Complémentaire au principe de transmission de la créance, découle également du mécanisme de la subrogation un principe d’opposabilité des exceptions, nées des rapports du débiteur avec le créancier subrogeant antérieurs à la subrogation : or si le subrogé se voit investi de tous les droits et actions du subrogeant attachés à la créance, celle-ci lui est également transmise avec tous ses vices, en sorte que le débiteur peut lui opposer tous les moyens de défense qu’il aurait pu invoquer à l’encontre du créancier originaire. Ainsi en est-il du délai de prescription, comme de toute autre cause d’extinction de la dette (compensation, remise de dette, etc.), cette solution se trouvant applicable à l’ensemble des exceptions inhérentes à la dette nées antérieurement à la subrogation. Aussi bien, les règles de la prescription doivent-elles être déterminées au regard de la nature originaire de la créance transmise : c’est la raison pour laquelle en l’espèce, l’assureur pouvait valablement se voir opposer le délai biennal applicable à l’action pour défaut de conformité engagée par son assuré (C. consom. anc. art. L.211-12), ainsi que le point de départ de cette action, fixé à la date de délivrance du bien (le 28 janvier 2011), de sorte que l’action de l’assureur, engagée plus de deux ans après cette date (le 28 avril 2013), était prescrite.
Références :
■ Fiche d’orientation Dalloz : Subrogation
■ Civ. 1re, 4 avr. 1984, n° 82-16.683, P
■ Civ. 1re, 18 oct. 2005, n° 04-15.295, P, D. 2005. 2870, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2006. 317, obs. J. Mestre et B. Fages
■ Com. 11 déc. 2007, n° 06-13.592, P
■ Civ. 1re, 4 févr. 2003, n° 99-15.717, P, D. 2003. 534 ; RDI 2003. 233, obs. L. Grynbaum ; RTD civ. 2003. 298, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 512, obs. P. Jourdain
■ Civ. 2e, 15 mars 2007, n° 06-11.509
■ Civ. 2e, 17 janv. 2013, n° 11-25.723, P
■ Civ. 2e, 26 nov. 2020, n° 19-22.179
■ Com. 5 mai 2021, n° 19-14.486, DAE, 27 mai 2021, note Merryl Hervieu, D. 2021. 900 ; ibid. 1879, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; RTD civ. 2021. 643, obs. H. Barbier
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