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[ 26 novembre 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Subrogation : précisions sur la notion d’intérêt légitime au paiement

L'intérêt légitime au paiement au sens de l'article 1346 du Code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ne se limite pas aux cas où celui qui a payé était tenu à la dette. Des considérations morales ou affectives peuvent notamment caractériser un tel intérêt. Une subrogation est toutefois exclue lorsque le tiers a payé avec une intention libérale ou s'est acquitté volontairement d'une obligation naturelle. Il appartient à celui qui se prévaut de la subrogation d'établir l'existence d'un intérêt légitime et au débiteur de démontrer l'intention libérale ou l'exécution volontaire d'une obligation naturelle.

Civ. 1re, 13 nov. 2025, n° 23-16.988

L’article 1342 du Code civil, qui ouvre la première sous-section consacrée aux dispositions générales sur le paiement, définit celui-ci comme l’exécution volontaire de la prestation due (C. civ., art. 1342, al. 1er). Ce faisant, il a introduit par la réforme de 2016 une définition dans le Code civil qui, d’une part, n’existait pas en tant que telle et qui, d’autre part, se démarque de celle de l’article L. 133-3, I du Code monétaire et financier : le paiement ne s’entend pas seulement du versement d’une somme d’argent mais, au-delà, de tous modes d’exécution volontaire de l’obligation.

Généralement, le paiement est effectué par le débiteur de l’obligation. En pratique, il arrive pourtant que ce paiement soit effectué par un tiers. La loi en admet la validité (C. civ., art. 1342-1). Cette faculté ouverte au tiers de payer le créancier en lieu et place du débiteur se justifie par deux raisons principales. La première concerne le tiers solvens, qui peut avoir un intérêt personnel au paiement d’une dette dont il n’est pas tenu, par exemple s’il est animé d’une intention libérale à l’endroit du débiteur qu’il entend ainsi gratifier. Du côté du créancier, ce dernier a naturellement intérêt à ce que les tiers puissent être autorisés à payer la dette de son débiteur, en ce que cette possibilité augmente ses chances d’obtenir le règlement de sa créance. Autoriser les tiers à payer la dette du débiteur favorise donc la satisfaction du créancier, ce qui répond à la finalité de toute obligation civile, qui est d’être effectivement exécutée. À cet égard, non seulement la possibilité est offerte aux tiers de régler la dette du débiteur, mais encore le créancier ne peut pas, par principe, refuser ce paiement dès lors qu’il porte sur la totalité de la dette.

Une fois le paiement valablement effectué par le tiers, il a pour effet de libérer le débiteur à l’égard du créancier qui, ayant ainsi obtenu satisfaction, n’est plus fondé à lui réclamer quoi que ce soit. Le débiteur ne se trouve pas pourtant définitivement libéré : s’étant enrichi au détriment du tiers solvens, qui s’est appauvri en payant sa dette, à laquelle il n’était pas tenu, le débiteur s’expose à un recours du tiers en remboursement. Ce recours emprunte la voie principale de la subrogation (le recours personnel n’ayant qu’une valeur subsidiaire), technique procédant d’une substitution de créancier par l’effet du paiement. Le recours subrogatoire n’est toutefois possible qu’à la condition que le tiers solvens n’ait été animé d’aucune intention libérale : lorsque le tiers solvens a réglé la dette dans le seul but de gratifier le débiteur, il ne disposera d’aucun recours contre lui, ce paiement s’analysant en une donation indirecte. Il sera encore exclu en cas d’obligation naturelle, l’exécution volontaire d’une obligation de cette nature ne pouvant donner lieu à restitution. Dans tous les autres cas où le tiers aura donc payé la dette du débiteur en comptant sur le remboursement des sommes exposées, il sera éligible à la subrogation. Or lorsqu’elle n’emprunte pas la voie conventionnelle, la subrogation légale doit satisfaire les conditions prévues à l’article 1346 du Code civil, qui prévoit que « la subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui, y ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette. ». Pour se prévaloir de la subrogation légale, le tiers solvens qui a payé la dette du débiteur devra ainsi justifier d’un intérêt légitime. L’idée générale présidant à cette condition d’intérêt légitime est d’éviter qu’un tiers totalement étranger à la dette puisse, après l’avoir réglée, en obtenir le remboursement dans le seul but de nuire aux intérêts du débiteur. Ceci posé, reste à savoir ce que recouvre exactement cette notion d’intérêt légitime, ce que vient éclairer la décision rapportée.

Au cas d’espèce, la partenaire pacsée d’un agriculteur paye la dette contractée par ce dernier, en cours de Pacs, pour financer l'installation d'une clôture sur un terrain appartenant en propre au débiteur. Le couple se sépare un an plus tard, à l’initiative du partenaire pacsé. En suite de la rupture du Pacs, son ancienne partenaire, auteure du paiement, l’assigne en remboursement sur le fondement de la subrogation légale. Pour refuser de faire droit à sa demande, la cour d’appel retient que la subrogation légale ne profite pas à celui qui acquitte une dette à laquelle il est étranger et qu'il n'a pas intérêt à acquitter comme n'étant pas lui-même redevable ; elle ajoute que la seule intention de rendre service à son partenaire en réglant la dette à sa place, ou encore le souci de préserver la réputation de l'exploitation agricole de celui-ci alors qu’elle-même n'était pas co-exploitante, ne peuvent constituer un intérêt légitime au paiement que la partenaire a effectué, au sens de l'article 1346 du Code civil, lui permettant d'exiger aujourd'hui du débiteur libéré qu'il la rembourse. Explicitement, les juges du fond excluent donc le bénéfice du recours subrogatoire au tiers payeur de la dette complètement étranger à celle-ci. Implicitement, ils caractérisent l’existence d’une obligation naturelle dont l’exécution volontaire par la partenaire du débiteur, en cours d’union, la prive désormais de tout droit à remboursement par la voie de la subrogation légale. En effet, lorsque le débiteur a payé le créancier en exécution d’une obligation naturelle, la restitution de la somme versée est impossible (C. civ., art. 1302).

Pour censurer leur décision, la Cour de cassation clarifie l’interprétation de l’article 1346 du Code civil, dont il faut déduire les quatre règles suivantes (pt n°5) :

- l'intérêt légitime au paiement ne se limite pas aux cas où celui qui a payé était tenu à la dette, ce qui renvoie au principe légal de validité du paiement fait par un tiers (C. civ., art. 1342-1 préc.) ;

- des considérations morales ou affectives peuvent caractériser un tel intérêt : en l’espèce, l’auteure du paiement l’a effectué pour apporter son aide au débiteur auquel elle était liée par un Pacs, union contractuelle fondée sur la solidarité revêtant, outre une dimension matérielle (organiser la vie commune des partenaires), une dimension personnelle qui inclut le devoir d’assistance de chacun des partenaires ; cependant, ce devoir d’assistance n’obligeait pas juridiquement la partenaire pacsée au paiement de la dette litigieuse qu’elle a réglée, sans y être tenue, à raison de ses seuls liens personnels avec le débiteur et du devoir moral auxquels ces liens l’obligeaient ;

- toutefois, la subrogation est exclue lorsque le tiers a payé avec une intention libérale ou s'est acquitté volontairement d'une obligation naturelle, ce qui renvoie à l’hypothèse soit d’une donation indirecte, soit de l’exécution volontaire d’une obligation naturelle, ie d’’un devoir de conscience envers autrui (C. civ., art. 1100) ;

- sur le plan probatoire, il appartient à celui qui se prévaut de la subrogation d'établir l'existence d'un intérêt légitime et au débiteur de démontrer l'intention libérale ou l'exécution volontaire d'une obligation naturelle. En retenant l’impossibilité de la partenaire du débiteur d’agir en remboursement, la cour d’appel a de cette façon inversé la charge de la preuve de l’intention libérale ou de l’exécution d’une obligation naturelle, qui incombait au débiteur, en sa qualité de défendeur au litige.

Dont acte : la condition d’intérêt légitime au paiement peut tenir à des considérations purement morales ou affectives. Pour rapporter la preuve, qui lui incombe, de la légitimité de son intérêt au paiement de la dette du débiteur, le tiers demandeur à la subrogation peut donc valablement exciper de raisons affectives ou morales pour obtenir le remboursement des sommes qu’il a exposées. En l’espèce, s’entremêlaient à la date du paiement ces deux « considérations », morales et affectives, ce que la partenaire du débiteur est parvenue à établir, satisfaisant ainsi la condition d’intérêt légitime au paiement seule à même de la rendre éligible au recours subrogatoire. Pour lui faire perdre le bénéfice de la subrogation, le débiteur aurait dû, en tant que défendeur à la preuve, établir que le paiement a été effectué dans l’intention de le gratifier, ou en connaissance de cause d'exécuter une obligation naturelle qui, contrairement à l’obligation civile, n’ouvre pas droit à restitution. En effet, comme le rappelle ici la Cour, en cas d’intention libérale ou d’exécution d’une obligation naturelle, la subrogation est logiquement exclue puisque dans l’un ou l’autre cas, le paiement est effectué de manière désintéressée. C’est pourquoi aucun remboursement ne peut ensuite être réclamé. Donner, c’est donner, reprendre, c’est voler ! La maxime trouve ici sa traduction juridique. On peut alors s’interroger sur l’admission de la subrogation au cas d’espèce. En effet, en toute logique, il conviendrait de s’y opposer dès lors que le paiement de la dette du débiteur trouve sa cause dans des raisons morales et affectives. Considérer que celles-ci suffisent à caractériser un intérêt légitime contrevient au refus d’admettre la subrogation en cas de donation indirecte (intention libérale) ou d’exécution d’un devoir moral (obligation naturelle) puisque dans notre cas, le paiement effectué est également dénué d’intérêt. En particulier, l’accomplissement spontané du devoir moral d’aider financièrement son partenaire renvoie à l’exécution volontaire d’un devoir de conscience caractéristique de l’obligation naturelle, qui exclut par principe le recours subrogatoire. Difficilement conciliable avec les cas traditionnels d’exclusion de la subrogation, notamment celui de l’obligation naturelle, cette conception éminemment subjective de la notion d’intérêt légitime est contestable. Par ailleurs, la caractérisation des intentions morales de la demanderesse, l’autorisant à se prévaloir de la subrogation, prête également à discussion. Comment admettre que l’auteure du paiement l’ait effectué tant par amour que par moralité et qu’ainsi, elle se soit elle-même rendue débitrice d’une obligation morale de payer la dette de son partenaire mais que ses principes moraux se soient évaporés après la séparation pour agir en remboursement, au mépris de l’engagement moral qu’elle avait pris ? Que dire d’un paiement effectué par pur devoir moral dont l’auteure souhaite ensuite obtenir, par vengeance, le remboursement ? Le lien établi entre la morale et le paiement de la dette par la partenaire du débiteur est loin d’être incontestable, sauf à considérer que l’appréciation de ses dispositions morales, constitutives de son intérêt légitime au paiement, peut varier dans le temps et au gré des circonstances, en sorte que le paiement effectué par devoir moral en cours d’union n’empêche pas l’auteur du paiement, après la séparation, de revenir sur son engagement pour agir tout compte fait en remboursement.

Entretenant le lien souvent observé entre l’ordre moral et l’ordre juridique, comme les rapports qu’entretiennent, malgré le principe de leur distinction, l’obligation civile et l’obligation naturelle, la Cour de cassation admet pourtant, dans l’hypothèse de l’espèce, la satisfaction de la condition d’intérêt légitime ouvrant droit au bénéfice de la subrogation légale.

 

Auteur :Merryl Hervieu

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