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[ 5 avril 2018 ] Imprimer

Droit des successions et des libéralités

Succession partage : le droit du conjoint survivant n’évince pas le droit de retour des frères et sœurs du défunt

Mots-clefs : Succession-partage, Conjoint survivant, Droits, Limite, Droit de retour légal, Assiette, Collatéraux privilégiés, Conditions d’exercice, Soulte, Incidence (non), Indemnisation à la succession (non)

Le droit de retour légal des collatéraux privilégiés du défunt sur des biens de famille reçus à charge de soulte s’exerce sans que cette soulte en modifie l’assiette ou ouvre un droit à indemnisation de la succession ordinaire.

L’accroissement des droits successoraux accordés au conjoint survivant, réalisée par la loi du 3 décembre 2001 (L. n° 2001-1135 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral) est remarquable : en effet, en l’absence d’enfants ou de descendants du défunt et de ses père et mère, le conjoint survivant recueille toute la succession, les collatéraux privilégiés (frères et sœurs du défunt ainsi que leurs descendants) se trouvant ainsi exclus de la succession (C. civ, art. 757-2).

Toutefois, par dérogation et par compensation, le législateur a accordé à ces derniers un droit de retour légal sur les biens de famille. En effet, selon l’article 757-3 du Code civil, en cas de prédécès des père et mère du défunt, les biens que ce dernier avait reçus de ses ascendants par succession ou donation, à la condition qu'ils se retrouvent en nature dans la succession, sont, en l’absence de descendance, « dévolus pour moitié aux frères et sœurs du défunt ou à leurs descendants, eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l'origine de la transmission ». A l’effet de préserver le patrimoine familial (les parents et les frères et sœurs du défunt n’étant pas des héritiers réservataires), malgré le renforcement des droits successoraux accordés au conjoint survivant, ce droit de retour légal, créé dès 2001 au profit des frères et sœurs du de cujus ou de leurs descendants et dont la loi du 23 juin 2006 (L. n° 2006-728 portant réforme des successions) a accru l’étendue, ne s'ouvre qu'en l'absence de descendants et de père et de mère. En l’absence d’autres précisions légales, les conditions d'exercice de ce droit de retour méritaient d’être éclaircies, ce à quoi la Cour de cassation, en clarifiant les questions liquidatives suscitées par cette succession particulière, procède dans la décision rapportée.

En l'espèce, une veuve contestait le droit de retour légal des frères et sœurs de son défunt mari sur divers biens immobiliers reçus de la succession de leurs parents et réclamait également diverses indemnités au bénéfice de la succession ordinaire. Elle s’appuyait essentiellement sur le fait que le défunt s'était vu attribuer les biens litigieux lors du partage successoral moyennant le versement d'une soulte, pour contester le rejet, en appel, de sa demande visant à voir juger que les frères et sœurs de son défunt mari ne bénéficiaient d'aucun droit de retour légal sur les biens de leur frère prédécédé. En effet, selon la veuve, lorsque le défunt a reçu une quote-part indivise dans la succession de ses parents, le droit de retour légal de ses collatéraux s'exerce sur cette même quote-part, à condition qu'elle se retrouve en nature dans le patrimoine du défunt ; ainsi reprochait-elle aux juges du fond d’avoir autorisé les frères et sœurs de son mari à exercer leur droit de retour sur ces biens, quand bien même ceux-ci étaient distincts de la quote-part indivise reçue par lui.

Elle soutenait également que les biens obtenus par les coïndivisaires contre le versement d'une soulte ne devraient pas être considérés comme ayant été reçus par succession, reprochant ainsi aux juges du fond d’avoir jugé que le droit de retour légal des frères et sœurs du défunt devait s'exercer, non seulement sur les biens correspondant à la quote-part successorale reçue par lui, mais également sur ceux obtenus contre le versement d'une soulte de sa part. Elle faisait encore valoir que lorsque le défunt a dû verser une soulte à ses collatéraux en contrepartie des biens reçus en partage de leurs ascendants, les bénéficiaires du droit de retour ne peuvent exercer leurs droits qu'à charge d'indemniser la succession de la soulte reçue par eux du défunt, ce que la cour d’appel ne leur avait pas ordonné. Enfin, la demanderesse faisait état des améliorations réalisées par son défunt mari sur les biens litigieux pour réclamer l’indemnisation à la succession de ces impenses. 

Ainsi, la demanderesse au pourvoi posait-elle à la Cour la question de savoir si, dans l’hypothèse où des biens de famille ont été obtenus au moyen d'une soulte versée par le défunt, celle-ci doit être ou non prise en compte pour fixer l'assiette du retour légal des collatéraux privilégiés et, le cas échéant, les obliger à indemniser en conséquence la succession ordinaire.

La première chambre civile y répond, catégoriquement, par la négative. 

Prenant d’abord appui sur l'effet déclaratif du partage, révélant des droits préexistants appartenant aux cohéritiers dès le jour du décès par un effet rétroactif, elle affirme que le droit de retour légal des collatéraux privilégiés s'exerce sur les biens immobiliers échus au défunt et non sur la quote-part indivise dont il était initialement titulaire. Elle relève, à cet égard, que l'article 757-3 n'opère « aucune distinction selon que les biens reçus par le défunt l'ont été ou non à charge de soulte ».

Après avoir ainsi considéré que le versement d’une soulte était sans incidence sur l'assiette du retour légal des frères et sœurs du défunt, la Cour juge ensuite, toujours en leur faveur, que les collatéraux privilégiés ne sont pas tenus d’indemniser la succession ordinaire pour la soulte acquittée. Sous cet angle distinct, la Haute cour affiche là encore sa fidélité à lettre du texte et à l’adage interprétatif selon lequel là où la loi ne distingue pas, il ne convient pas de distinguer, pour juger que « l'article 757-3 du Code civil ne subordonne pas l'exercice du droit de retour des collatéraux privilégiés (...) au versement d'une indemnité à la succession ordinaire ».

Elle décide enfin que les améliorations apportées aux biens par le défunt ne donnent pas davantage lieu à un règlement indemnitaire au profit de la succession ordinaire. En effet, à défaut d’appauvrir le conjoint survivant, les héritiers du défunt doivent légitimement recueillir les biens de ce dernier dans l'état où ils se trouvent au jour du décès. Au contraire, dans le cas d’un retour conventionnel, si le donataire a amélioré le bien, ses héritiers doivent être indemnisés par le donateur, sur la base de la théorie des impenses (I. De Stefani, « La donation et ses impacts successoraux », in Les donations. Aspects civils et fiscaux, Anthemis, 2011, n° 96, p.197). La différence s’explique par la nature successorale du droit de retour légal qui le distingue, dans ses effets, de la condition résolutoire rétroactive propre au droit de retour conventionnel.

Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 17-12.040

 

Auteur :M. H.


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