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Droit des successions et des libéralités
Successions internationales : les enfants peuvent-être déshérités !
Mots-clefs : Exception d’ordre public international français, Ordre public international français, Principes essentiels du droit français, Réserve héréditaire, Succession
Une loi étrangère désignée par la règle de conflit et ignorant la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français. Elle peut être écartée si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels.
Deux pères, de nationalité française et établis en Californie, décèdent. Leurs successions sont régies par la loi californienne méconnaissant la réserve héréditaire. Leurs enfants, héritiers réservataires, ont donc fait valoir leur droit de prélèvement (L. du 14 juill. 1819, art. 2) qui fut déclaré inconstitutionnel (Cons. const. 5 août 2011, n° 2011-159 QPC). Ils invoquaient, en outre, l’exception de l’ordre public international.
Ils sont déboutés en appel. La cour d’appel de Paris (Paris, 11 mai 2016, n° 14-26.247) énonce en effet que la loi normalement applicable en raison de leur dernier domicile est la loi californienne ignorant la réserve héréditaire. Par ailleurs, les juges constatent que l’application de ladite loi ne laisserait pas les enfants en situation de précarité économique ou de besoin. Aussi, ils soulèvent l’attachement des défunts pour la Californie. En effet, ces derniers, y étaient installés depuis plusieurs années. L’un d’entre eux s’y était marié à plusieurs reprises et l’autre y avait eu ses trois derniers enfants. Ils en déduisent que la loi californienne ne heurtait pas l’ordre public international français. Mécontents, les consorts forment un pourvoi en cassation.
Le 27 septembre 2017, par deux arrêts inédits, la première Chambre civile de la Cour de cassation affirme qu’une loi étrangère ne connaissant pas la réserve héréditaire peut, dans certaines circonstances, s’appliquer en France. Son application ne porte pas en soi atteinte à l’ordre public international français. Ces arrêts sont particulièrement riches en enseignement.
D’abord, ils rappellent implicitement la notion d’ordre public international. En ce sens, ils s’inscrivent dans le prolongement de la jurisprudence des chambres civiles. En effet, plusieurs arrêts ont permis de circonscrire la conception française de l’ordre public. Ce dernier peut alors être défini comme l’ensemble des « principes de justice universelle considérés dans l’opinion française comme doués de valeur internationale absolue » (Civ. 1re, 25 mai 1948, n° 37.414). Ces principes comprennent les droits protégeant la personne humaine et sa dignité, les droits fondamentaux, les principes se rattachant aux fondements politiques, familiaux et sociaux de la société française. Les principes essentiels du droit français en font également parti. Leur atteinte par une loi étrangère permet de déclencher l’exception d’ordre public international. L’objectif est de priver cette norme étrangère d’efficacité en France (Civ. 1re, 23 janv. 1979, n° 77-12.825) en vue de protéger l’ordre public français. Tel était la volonté des demandeurs au pourvoi à l’égard de la loi californienne.
Ensuite, et surtout, ces arrêts mettent fin à un débat portant sur le contenu de l’ordre public international français. Certains auteurs soutenaient que la réserve héréditaire relevait de l’ordre public international tandis que d’autres se prononçaient en sens inverse. La Cour de cassation a tranché. Pour elle, une loi étrangère ignorant la réserve héréditaire ne porte pas en soi atteinte à l’ordre public international. L’atteinte est constituée seulement en cas d’incompatibilité avec les principes essentiels du droit français. Il revient donc au juge d’examiner si l’application de la loi écartant la réserve héréditaire aboutit à une situation inacceptable, en laissant les enfants dans une situation de précarité économique ou de besoin (v. en ce sens, P. Lagarde, « Les principes de base du nouveau règlement européen sur les successions », Rev. crit. DIP 2012. 691). La réserve héréditaire ne fait donc pas partie de l’ordre international français. La Cour de cassation consacre ainsi le raisonnement de la Cour d’appel (Paris, 11 mai 2016 : préc.).
Le mécanisme de la réserve héréditaire, c’est-à-dire la fraction de succession dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers (C. civ., art. 912), est donc à nouveau fragilisé. Son importance en droit français avait déjà été amoindrie par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités qui prévoit, par exemple la possibilité d’une renonciation anticipée à l’action en réduction. Son existence aussi était relativisée par le règlement « Successions » n° 650/2012 du 4 juillet 2012, entrée en vigueur le 17 août 2015. Ce dernier prévoit, en effet, que toute personne peut choisir la loi de l’État dont elle possède la nationalité pour régir sa succession.
En somme, ces arrêts sont particulièrement importants en ce qu’ils permettent de clarifier le lien entre réserve héréditaire et ordre public international. Les professionnels devront en tenir compte. Probablement, la défense des héritiers réservataires les amènera à démontrer leur précarité en l’espèce, à arguer d’une fraude à la loi ou encore d’un lien distendu entre le défunt et le pays étranger.
Civ. 1re, 27 sept. 2017, no 16-13.151
Civ. 1re, 27 sept. 2017, no 16-17.198
Références
■ Paris, 11 mai 2016, n° 14/26247 : D. 2017. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke.
■ Civ. 1re, 25 mai 1948, n° 37.414 P:, RCDIP 1949, p. 89.
■ Civ. 1re, 23 janv. 1979, n° 77-12.825 P.
■ Cons. const. 5 août 2011, Mme Elke B. et a., n° 2011-159 QPC : D. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 2331, obs. L. d'Avout et S. Bollée ; AJ fam. 2011. 440, obs. B. Haftel, obs. A. Boiché ; Rev. crit. DIP 2013. 457, note B. Ancel.
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