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Droit pénal général
Suicide du déféré au tribunal pendant l’entretien avec l’avocat face aux exigences de la Conv. EDH
Mots-clefs : Garde à vue, Droit à la vie, Suicide
Est irrecevable la requête en violation de l’article 2 de la Conv. EDH formée par la famille d'une personne qui s'est défenestrée au cours de sa garde à vue, durant l'entretien avec son avocat. L'État n'a pas manqué à son obligation de surveillance, aucun risque particulier de suicide n’ayant été identifié ou étant identifiable.
Par le mécanisme de la « protection par ricochet » la Cour européenne des droits de l’homme étend la protection des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) à des hypothèses qui ne sont pas expressément prévues. La juridiction strasbourgeoise a ainsi étendu la protection de l’article 2 relatif au droit à la vie aux suicides des personnes placées sous la responsabilité des autorités. La Cour astreint les États à prendre les mesures positives nécessaires à la protection de la vie des personnes placées sous leurs responsabilités.
La France a plusieurs fois été condamnée sur le double fondement d'une violation de l'article 2 et de l'article 3 (interdiction de la torture et des traitements ou peines inhumains et dégradants) de la Conv. EDH en matière de suicide carcéral (CEDH 16 oct. 2008, Renolde c/France ; CEDH 19 juill. 2012, Ketreb c/ France).
La Cour impose aux États un devoir de vigilance particulière afin de prévenir le suicide notamment s’agissant des prisonniers vulnérables. Néanmoins, en l’absence de risque réel et immédiat que l'individu attente à sa vie, aucune obligation n’est posée à l’égard des autorités.
En l’espèce, un médecin généraliste, faisant l’objet de poursuites pour viols aggravés, est décédé le 18 octobre 2003, après s’être défenestré d’une salle du TGI de Pontoise, où il avait été déféré. La famille de la victime (son épouse, ses deux enfants et ses parents) saisit le doyen des juges d’instruction d’une plainte avec constitution de partie civile du chef d’homicide involontaire. Le 23 novembre 2004, le magistrat instructeur rendit une ordonnance de non-lieu, estimant que le risque de suicide ou de fuite n’était pas prévisible. Les requérants engagèrent alors une action en responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux du service public de la justice.
En droit français, la responsabilité de l'État du fait des services pénitentiaires pour des dommages résultant du suicide d'un détenu peut être recherchée en cas de faute. Le Conseil d'État qui exigeait initialement une faute lourde pour engager cette responsabilité (CE 14 nov. 1973, Ministre de la justice c/ Dame Zanzi) a finalement abandonné cette exigence (CE 23 mai 2003, Mme Chabba). Une telle faute peut-être retenue lorsque l'administration, qui avait connaissance des risques, n'a pas pris de mesure particulière (CE 9 juill. 2007, Delorme).
En l’espèce, le TGI de Paris les débouta et la cour d’appel confirma le jugement. Par un arrêt du 9 mars 2011, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des requérants.
Ils saisirent la CEDH invoquant une violation de l’article 2 relatif au droit à la vie. Les requérants se plaignaient du non-respect par l’État de son obligation de protéger une personne qui s’est suicidée durant la période entre la fin de sa garde à vue et sa présentation au juge d’instruction.
La Cour déclare la requête irrecevable au motif qu’en l’espèce de nombreux éléments démontrent qu’aucun risque particulier n’avait été décelé chez la personne et que les autorités se sont montrées vigilantes. Les juges relèvent ainsi que le médecin avait été calme durant sa garde à vue et son déferrement. Son état psychologique avait fait l'objet d'un examen par un médecin psychiatre qui n’avait pas révélé de risque particulier. Enfin, le fait qu’il fut autorisé à s’entretenir avec son avocate, démenotté à sa demande, et que l’escorte d’accompagnement se retira afin de garantir la confidentialité de cet entretien, ne démontre ni que les mesures de précaution prises en l’espèce étaient insuffisantes, ni l’existence d’un manquement de l’État à ses obligations.
CEDH 26 sept. 2013, Robineau c. France, no 58497/11
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :
a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;
b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;
c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »
Article 3 - Interdiction de la torture
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
■ CEDH 16 oct. 2008, Renolde c/France, n° 5608/05, Dalloz actualité, 23 oct. 2008, obs. M. Léna.
■ CEDH 19 juill. 2012, Ketreb c/ France, n°38447/09.
■ CE 14 nov. 1973, Ministre de la justice c/ Dame Zanzi.
■ CE 23 mai 2003, Mme Chabba, Lebon 240 ; AJDA 2004. 157, note N. Albert.
■ CE 9 juill. 2007, Delorme, AJDA 2007. 2094, note H. Arbousset.
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