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[ 8 février 2012 ] Imprimer

Introduction au droit

Sur le principe de la preuve « contre et outre »

Mots-clefs : Acte notarié, Preuve, Erreur matérielle, Art. 1341 C. civ.

S’il n’est reçu aucune preuve par témoins ou présomptions contre et outre le contenu des actes, cette preuve peut cependant être invoquée pour interpréter un acte obscur ou ambigu. Ainsi, dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’interprétation, les juges du fond peuvent constater qu’un acte notarié est entaché d’une erreur matérielle évidente.

Un lapsus calami fait parfois dire à l’acte autre chose que ce qu’il devait indiquer : les noms des parties ont été inversés, le montant du prix, par une erreur dactylographique, est inexact, ou bien le numéro du compte objet de l’opération n’est pas le bon… Comment prouver ce type d’erreur ? C’était la question soumise à la première chambre civile dans l’arrêt commenté.

Par acte notarié, une banque consent à un couple un prêt garanti par le nantissement d’un plan d’épargne populaire (PEP) ouvert au nom de l’époux. Ce dernier est par la suite soumis à une procédure de liquidation judiciaire. Une fois celle-ci prononcée, la banque sollicite l’attribution judiciaire de son gage. Le tribunal rejette sa requête au motif que sa demande d’attribution porte sur un compte dont le numéro se révèle distinct de celui mentionné dans l’acte notarié. La cour d’appel l’accueille au contraire et ordonne l’attribution judiciaire du compte, déduisant des circonstances de la cause l’existence d’une erreur matérielle qui n’appelle, par principe, qu’une simple rectification sans contestation du contenu de l’acte. Le titulaire du compte et son liquidateur forment alors un pourvoi en cassation. Au soutien de leur thèse, ces derniers font valoir que la preuve d’une erreur matérielle entachant un acte authentique, si elle échappe à l’inscription de faux, n’est pas libre pour autant : à l’écrit normalement requis, témoignages et présomptions ne peuvent en principe se substituer qu’en cas de commencement de preuve par écrit. Ainsi les auteurs du pourvoi reprochent-ils à la cour d’appel d’avoir déduit, en dépit de cette exigence, l’existence d’une erreur matérielle du fait, affirmé par la banque et non contredit par le titulaire du compte, de la détention par ce dernier d’un seul compte PEP.

Le problème de droit posé à la Cour était donc le suivant : comment administrer la preuve de l’erreur matérielle commise dans la rédaction d’un acte notarié ? À cette question, la première chambre civile répond sans surprise que si la preuve de l’erreur matérielle, soumise au principe de la preuve écrite contre et outre le contenu des actes, ne peut être établie par témoignages ou présomptions, ce respect dû à l’écrit cède en cas d’erreur matérielle « évidente » ; s’il est manifeste que les énonciations de l’acte ne correspondent pas à la réalité, le juge doit pouvoir ne pas en tenir compte et se fonder sur de simples témoignages ou présomptions. L’acte n’est pas pour autant analysé comme un commencement de preuve par écrit. Comme le souligne la Haute cour, l’explication est ailleurs : il ne s’agit que d’interpréter l’acte.

La première chambre civile commence donc par rappeler le principe de la preuve « contre et outre » du contenu d’un écrit. Fondé sur l’article 1341 du Code civil, ce principe signifie qu’un écrit ne peut être combattu que par un autre écrit. Dès lors qu’un écrit a été dressé, il n’est reçu aucune preuve par témoins ou présomptions de l’inexactitude (« contre ») ou de l’incomplétude (« outre ») du contenu de cet écrit. Cette primauté reconnue à l’écrit, exigé même lorsque l’acte contesté n’était pas soumis à l’exigence d’un écrit, doit toutefois être relativisée. Outre qu’elle ne s’applique pas en matière commerciale, dominée par le principe de la preuve libre, elle n’empêche pas non plus d’invoquer contre l’écrit un commencement de preuve par écrit, ce que rappelait la thèse du pourvoi. Enfin et surtout, la règle est écartée en cas d’erreur matérielle manifeste. L’exigence de l’écrit ne doit pas défier la raison : si l’erreur est évidente, ou mieux, invraisemblable ou absurde (Civ., 23 avr.1860 : l’acte constatant une cession de créance indiquant le cédant comme ayant payé le prix et le cessionnaire comme l’ayant reçu), le juge doit pouvoir l’ignorer et se fonder, en vertu de son pouvoir souverain d’interprétation, sur de simples témoignages ou présomptions. En l’espèce, le constat d’un seul compte ouvert auprès de la banque, délibérément offert en garantie, rendait évidente l’erreur de plume. Ainsi les tribunaux s’appuient-ils depuis longtemps sur leur souverain pouvoir d’interprétation, auquel la Cour de cassation rend encore une fois ici hommage, pour apprécier et corriger une erreur matérielle manifeste dans la rédaction de l’écrit.

Toutefois, cette exception au jeu de l’article 1341 du Code civil doit être maniée avec prudence. L’étendre, par une appréciation plus souple de l’évidence de l’erreur, fragiliserait la stabilité des actes et la fiabilité des engagements qu’ils contiennent.

Civ. 1re, 26 janv. 2012, n° 10-28.356, F-P+B+I

Références

■ Article 1341 du Code civil

« Il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et il n'est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu'il s'agisse d'une somme ou valeur moindre. 

Le tout sans préjudice de ce qui est prescrit dans les lois relatives au commerce. »

■ Civ. 23 avr.1860, DP 11860. I. 228.

■ Acte authentique

[Droit civil/Procédure civile]

« Écrit établi par un officier public (notaire par ex.), sur support papier ou électronique, et dont les affirmations font foi jusqu’à inscription de faux et dont les grosses, revêtues de la formule exécutoire, sont susceptibles d’exécution forcée.

Lorsqu’il est établi par un notaire, l’acte authentique est dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi, sauf disposition contraire expresse.

Un acte reçu en la forme authentique par un notaire est nécessaire pour l’accomplissement des formalités de publicité foncière. »

■ Inscription de faux

[Procédure civile]

« Action judiciaire, intentée par voie principale ou incidente, dirigée contre un acte authentique et visant à démontrer qu’il a été altéré, modifié, complété par de fausses indications, ou même fabriqué. »

 Commencement de preuve par écrit

[Droit civil]

« Tout titre signé, émanant de celui contre lequel la demande est formée, mais qui ne peut, pour des raisons de fond ou de forme, constituer un écrit nécessaire à la preuve des actes juridiques (ex. : une reconnaissance d’enfant naturel faite sous seing privé, et non en la forme authentique n’est qu’un commencement de preuve par écrit); la production d’un tel document, s’il rend vraisemblable le fait allégué, autorise l’audition des témoins. »

■ Nantissement

[Droit civil]

« Affectation, en garantie d’une obligation, d’un bien meuble incorporel ou d’un ensemble de biens meubles incorporels, présents ou futurs.

Le nantissement d’une créance prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date de l’acte; pour être opposable au débiteur de la créance nantie, il doit lui être notifié, à moins que ce dernier ne soit intervenu à l’acte.

Après notification, seul le créancier nanti reçoit valablement paiement tant en capital qu’en intérêts. »

Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

 

Auteur :M. H.

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