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Droit européen et de l'Union européenne
Sur le renvoi préjudiciel devant la CJUE
Mots-clefs : Procès équitable (art. 6 Conv. EDH), Question préjudicielle, Transmission (non), Conditions, Motivation
Dans un arrêt du 20 septembre 2011, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé conforme aux exigences du procès équitable posées par l’article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH) le refus par les juridictions suprêmes belges de transmettre à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) deux questions préjudicielles, au motif que ce refus était suffisamment motivé. C’est l’occasion pour Dalloz Actu Étudiant de faire un point sur les conditions requises afin de poser une question préjudicielle à la CJUE et sur l’articulation entre CJUE et CEDH.
Dans les deux affaires les requérants, tous deux de nationalité belge, avaient effectué des prestations remboursables en vertu du régime d’assurance-maladie invalidité dans un laboratoire pharmaceutique alors qu’un arrêté royal belge réservait cette activité à la possession préalable de certains diplômes.
Dans la première, le tribunal de Bruxelles ainsi que la cour d’appel les condamna mais la Cour de cassation belge cassa la décision concernant les actions civiles et renvoya l’affaire devant une autre cour d’appel, tout en rejetant les pourvois concernant les dispositions pénales. La Commission européenne, auprès de laquelle les requérants avaient déposé plainte contre l’État belge, déclara l’article 3 de l’arrêté royal incompatible avec le Traité instituant la Communauté européenne et la Belgique le modifia, supprimant toute condition de diplôme. La seconde cour d’appel rejeta les moyens des requérants notamment au motif que l’avis de la Commission n’avait pas de force obligatoire et que la décision de la première cour d’appel en matière pénale avait autorité de chose jugée. La Cour de cassation confirma cette décision et refusa de transmettre la question préjudicielle relative à l’incompatibilité de l’arrêté royal avec le droit communautaire à la CJUE en estimant que l’autorité de chose jugée l’emportait sur la primauté du droit communautaire.
Dans la seconde, le Conseil d’État belge considéra que les laboratoires visés à l’article 3 de l’arrêté royal n’entraient pas dans les catégories prévues à l’article 86 § 1er du Traité instituant la Communauté européenne, et refusa pour cette raison la transmission de la question préjudicielle à la CJUE, le traité étant inapplicable en l’espèce.
En raison de ces refus, les requérants avaient saisi la CEDH.
Le renvoi préjudiciel (ou question préjudicielle) a pour fondement l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Une procédure spéciale relative à la question préjudicielle est prévue à l’article 23 du protocole sur le statut de la CJUE. Il faut rappeler que l’article 267 lui donne compétence pour interpréter :
– le droit originaire (traités constitutifs, annexes, protocoles, traités modificatifs ultérieurs) ;
– le droit dérivé (règlements, directives, recommandations) ;
– le droit externe (accords conclus avec des états non-membre de l’Union européenne) ;
et, de manière générale pour juger de la validité et de l’interprétation des actes pris par les organes, organismes ou institutions de l’Union.
Pour qu’un renvoi préjudiciel soit possible, deux conditions sont exigées. Il faut :
– que le recours soit effectué par une juridiction d’un État membre ;
– que la juridiction statue dans le cadre d’une procédure aboutissant à une décision juridictionnelle.
Toutefois, une distinction est faite entre les juridictions ordinaires et les juridictions suprêmes.
Les juridictions ordinaires (juridictions nationales inférieures) n’ont pas obligation de saisir la CJUE. Elles ont la possibilité d’effectuer :
– soit un renvoi en interprétation ;
– soit un renvoi en appréciation de validité.
Dans le cadre du renvoi en interprétation, ces juridictions peuvent décider de manière discrétionnaire de ne pas saisir la CJUE.
Il en va autrement pour le renvoi en appréciation de validité. En effet, si les juridictions peuvent conclure à la validité de la norme européenne et à sa conformité avec le cas examiné en l’espèce, l’inverse est impossible : les juridictions ne peuvent décider de conclure à l’invalidité d’une norme européenne sans transmettre une question préjudicielle à la CJUE.
Les juridictions suprêmes, dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours, ont, selon l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’UE, l’obligation de saisir la CJUE, car elles statuent en dernière instance. Il y a cependant trois exceptions qui viennent nuancer cette obligation. La CEDH fait référence à une jurisprudence CILFIT de 1982 de la CJUE (à l’époque CJCE). Ainsi, les juridictions suprêmes ne sont pas tenues de transmettre la question préjudicielle lorsque :
– la question n’est pas « pertinente » ;
– la disposition communautaire a déjà fait l’objet d’un renvoi préjudiciel ;
– « l’application correcte du droit communautaire s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable ».
Devant le refus des juridictions suprêmes belges de transmettre leurs questions préjudicielles à la CJUE, les requérants ont donc eu la possibilité de saisir la CEDH, non pas pour faire-valoir leur droit à la transmission d’une question préjudicielle, mais pour que celle-ci vérifie que le refus de la transmission a été suffisamment motivé. En effet, les juridictions suprêmes peuvent refuser de transmettre une question mais ne peuvent s’affranchir des exigences posées par l’article 6 § 1er de la Conv. EHD relatif au procès équitable. Ainsi, à défaut de garantir un droit de renvoi préjudiciel devant une juridiction supranationale la CEDH vérifie au nom du droit à un procès équitable que les juridictions ont bien motivé leurs décisions en cas de non-transmission d’une question préjudicielle.
Rappelons que l’Union européenne n’est toujours pas membre de la CEDH, mais que son adhésion est prévue par le Traité de Lisbonne et par le Protocole n° 14 à la Convention.
CEDH 20 sept. 2011 arrêts Ullens de Schooten et Rezabek c. Belgique, n° 3989/07 et 3853/07
Références
[Droit européen]
« Institution de l’Union européenne composée aujourd’hui de 27 commissaires (un de chaque nationalité) indépendants des gouvernements.
Le président de la Commission est proposé à la majorité qualifiée par le Conseil européen et soumis à l’approbation du Parlement européen. Les autres membres sont choisis d’un commun accord par le Conseil et le président désigné. Le Parlement européen auditionne chaque commissaire avant d’approuver la composition de la Commission, puis le Conseil européen achève la procédure. Nommée pour un mandat de 5 ans, la Commission peut cependant être contrainte à la démission par le Parlement.
La Commission promeut l’intérêt général de l’Union. Elle est dotée d’un pouvoir d’initiative (elle propose règlements et directives), d’exécution (mise en œuvre et contrôle de l’action de l’Union) et de représentation (en particulier par rapport aux États tiers). Jean Monnet voulait qu’elle soit la « locomotive de l’Europe » mais elle a aujourd’hui du mal à s’affirmer. »
■ Convention européenne des droits de l’homme
[Droit international public]
« Expression abrégée mais usuelle de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales adoptée à Rome le 4 novembre 1950 par les États membres du Conseil de l’Europe pour imposer aux États signataires le respect des principaux droits fondamentaux. Modèle car texte de droit positif assorti d’un mécanisme de garantie (Commission et Cour européenne des droits de l’Homme) modifié par le protocole no 11 adopté en 1994 et entré en vigueur le 1er novembre 1998 qui supprime la Commission et organise le système de contrôle autour de la seule Cour. Un protocole no 14, signé le 13 mai 2004 et entré en vigueur le 1er juin 2010, cherche à améliorer le fonctionnement de la Cour en simplifiant l’examen de la recevabilité des requêtes (plus de 40 000 requêtes traitées en 2010 pour environ 1 500 arrêts sur le fond). »
■ Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)
[Droit européen]
« Nouveau nom donné par le traité de Lisbonne à l’ensemble du système juridictionnel de l’Union européenne mais que la pratique a pris l’habitude d’utiliser pour désigner la Cour de justice elle-même, simple composante d’un ensemble plus vaste. Elle comprend 3 juridictions :
La Cour de justice (ex-Cour de justice des Communautés européennes, CJCE), qui est chargée d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités. Composée de 27 juges et de 8 avocats généraux nommés d’un commun accord par les États membres et indépendants, la Cour a de nombreuses compétences (elle peut, par ex., annuler un acte du Conseil ou de la Commission, constater le manquement par un État de l’une des obligations lui incombant, interpréter, sur renvoi préjudiciel des juridictions nationales, les traités et actes de droit dérivé…). Rendant environ 600 arrêts par an, la Cour qui siège à Luxembourg est devenue une sorte de Cour suprême européenne, surtout avec l’extension des compétences du Tribunal de première. Elle a exercé un rôle moteur dans la construction européenne par une interprétation souvent extensive des compétences de l’Union, par l’unité assurée au droit de l’Union et par la sanction de ses éventuelles violations. »
■ Cour européenne des droits de l’homme
[Droit international public]
« Juridiction créée dans le cadre de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Assure le contrôle du respect de la convention. Siège : Strasbourg. »
[Procédure (principes généraux)]
« Le droit à un procès équitable constitue aujourd’hui la pierre angulaire des procédures juridictionnelles. Il faut l’entendre comme le droit à un procès équilibré entre toutes les parties (equus = équilibre) dont les principales manifestations, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, sont : le droit à un recours effectif devant un tribunal ; le droit à un tribunal indépendant et impartial ; le droit à un procès public, respectant l’égalité des armes et conduisant à un jugement rendu dans un délai raisonnable ; le droit à l’exécution effective de la décision obtenue.
Issu du droit naturel, le droit à un procès équitable est devenu un droit substantiel, la garantie de la garantie des droits. »
[Droit européen]
« En vertu de l’article 267 TFUE, renvoi préjudiciel décidé par une juridiction nationale saisissant la Cour de justice de l’Union européenne d’une demande d’interprétation des traités ou d’appréciation de validité et d’interprétation des actes de droit dérivé. La Cour de justice rendra un « arrêt préjudiciel » qui permettra à la juridiction nationale de trancher le litige dont elle était elle-même saisie. Ces renvois, en raison de leur nombre et du fait qu’ils ont permis à la Cour d’élaborer ses grandes jurisprudences (primauté, droits fondamentaux…), tendent à faire d’elle une sorte de Cour suprême. »
Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
■ Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme – Droit à un procès équitable
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
Tout accusé a droit notamment à:
– être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ;
– disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
– se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ;
– interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
– se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »
« La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel:
a) sur l'interprétation des traités,
b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.
Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.
Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.
Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais. »
« 1. Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité, notamment à celles prévues à l'article 12 et aux articles 81 à 89 inclus.
2. Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté.
3. La Commission veille à l'application des dispositions du présent article et adresse, en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux États membres. »
■ Protocole n° 14 : http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Treaties/Html/194.htm
■ CJCE, 6oct. 1982, Srl CILFIT et Lanificio di Gavardo SpA c. Ministère de la Santé, n°61981CJ0283, Rec. CJCE 3415.
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