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[ 14 février 2019 ] Imprimer

Droit de la consommation

Surendettement : l’effacement de la dette du locataire n’empêche pas son expulsion

L’effacement de la dette locative, qui n’équivaut pas à son paiement, ne prive pas le bailleur de la possibilité de demander au juge la résiliation du bail et l’expulsion du locataire qui n’a pas réglé le loyer.

L’effacement de la dette de loyers du locataire n’empêche pas son expulsion par le propriétaire. Tel est l’enseignement de la décision rapportée.

Une SCI ayant fait assigner le 15 mai 2013 un couple de locataires en résiliation du bail qu’elle lui avait consenti, pour défaut de paiement des loyers, un jugement du 24 mars 2014, partiellement confirmé par un arrêt d’appel en date du 29 juin 2016, avait prononcé la résiliation du bail, ordonné aux locataires de quitter les lieux et condamné ces derniers à payer au propriétaire une certaine somme au titre de l’arriéré de loyers ainsi qu’une indemnité d’occupation ; parallèlement, à la suite du dépôt par les locataires, le 5 septembre 2013, d’une demande tendant au traitement de leur situation financière, un tribunal d’instance avait prononcé, par jugement du 26 janvier 2015, la mise en œuvre d’une procédure de rétablissement personnel, sans liquidation judiciaire. Précisons qu’une procédure de ce type ne peut être accompagnée d’une liquidation judiciaire qu’à la condition que le débiteur possède des biens cessibles, immobiliers le plus souvent, la vente de ses biens meubles n’étant généralement pas considérée comme suffisante à l’apurement, même partiel, de ses dettes dont l’ampleur est telle qu’elle rend sa situation financière « irrémédiablement compromise ». 

Les locataires faisaient grief à la cour d’appel d’avoir confirmé la résiliation du bail ainsi que leur expulsion des lieux au moyen que l’effacement d’une dette locative, décidé dans le cadre d’une procédure de traitement du surendettement, faisait obstacle au prononcé de la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers, ainsi couverts par la mesure d’effacement. Il est vrai que dans le cadre d’une procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire, la dette est considérée comme effacée à compter du jugement prononçant le rétablissement personnel et décidant de procéder à cette mesure ; le gel ou le rééchelonnement de la dette étant également possibles. Or en l’espèce, alors que l’effacement de la dette locative des demandeurs avait été judiciairement décidé un an et demi avant la décision d’appel, la cour avait néanmoins prononcé la résiliation du bail. Il aurait pourtant pu, de ce fait, paraître logique de priver le propriétaire de la possibilité de demander au juge la résiliation du bail sur le fondement d’une dette locative effacée. 

La Cour de cassation rejette toutefois le pourvoi. Affirmant que l’effacement de la dette locative, qui n’équivaut pas à son paiement, ne fait pas disparaître le manquement contractuel du locataire qui n’a pas réglé le loyer, de sorte qu’il ne prive pas le juge, saisi d’une demande en résiliation judiciaire du contrat de bail, de la faculté d’apprécier, dans l’exercice de son pouvoir souverain, si le défaut de paiement justifie de prononcer la résiliation, elle juge que c’est dès lors à bon droit que la cour d’appel a statué comme elle l’a fait. 

Ainsi, l’expulsion du locataire reste-t-elle possible quand bien même sa dette locative aurait été effacée. Celle-ci est d’abord possible lorsque, comme l’illustre la décision rapportée, le locataire est resté dans les lieux. Il demeure en conséquence tenu du paiement du loyer. A défaut de règlement, ce qui sera très généralement le cas, le propriétaire reste donc en droit d’engager, sur le fondement de ce qui constituera une dette nouvelle, une procédure judiciaire de résiliation du bail et d’expulsion du logement. En effet, et plus généralement, les créances postérieures à la simple décision de recevabilité du dossier de surendettement par la commission du même nom restent exigibles, nonobstant l’engagement de la procédure de rétablissement (C. consom., ancien art. L. 331-3-1, nouveaux art. L. 722-2 s. C. consom). La procédure du rétablissement personnel n’empêche donc pas le jeu de la résiliation du bail pour le non-paiement des loyers échus postérieurement. 

L’expulsion avait également été jugée possible dans le cas où la clause résolutoire stipulée par les parties était, à la date de la décision de recevabilité du dossier, déjà acquise ; l’effacement postérieur de la dette locative devait être alors considéré comme sans incidence (Civ. 2e, 18 févr. 2016, n°14-17.782).

Il est enfin à noter que le bailleur garde en toute hypothèse la possibilité de demander au juge la résiliation du bail en raison de n’importe quel manquement contractuel, même autre que celui constitué par le non-paiement du loyer, imputable à son locataire, même placé en procédure de rétablissement personnel, dès lors qu’un tel manquement revêt une gravité suffisante pour prétendre l’obtenir.

« Effacer le passé, on le peut toujours. Mais on évite pas l’avenir » (O. Wilde).

Civ. 2e, 10 janv. 2019, n°17-21.774

Références

Fiches d’orientation Dalloz : Surendettement

■ Civ. 2e, 18 févr. 2016, n°14-17.782 P: D. 2016. 1102, obs. N. Damas ; ibid. 1886, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, O. Becuwe et N. Touati ; AJDI 2016. 690, obs. N. Damas

 

Auteur :Merryl Hervieu


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