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Droit des sûretés et de la publicité foncière
Sûreté réelle et cautionnement : le rappel de la distinction
Mots-clefs : Crédit, Cautionnement, Sûreté réelle, Garantie hypothécaire, Distinction
La sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui, n’est pas un cautionnement, en sorte que les garants ne peuvent profiter des bénéfices de division et de discussion offerts aux seules cautions.
Par actes reçus par notaire, une société avait souscrit, auprès de banques distinctes, deux prêts destinés à financer la prise de contrôle et l'augmentation de capital de deux autres sociétés, à la garantie desquels plusieurs personnes avaient affecté et hypothéqué un immeuble dont ils étaient respectivement nus propriétaires et usufruitiers. Après que la société emprunteuse eut été placée en liquidation judiciaire, l’une des banques avait engagé une procédure de saisie immobilière ayant abouti à l'adjudication de l’immeuble. Or certains des garants reprochant au notaire instrumentaire d'avoir manqué à son devoir d'information et de conseil en ne leur précisant pas la portée ni les effets juridiques de leurs « engagements de caution », l’avaient assigné en responsabilité. Ecartant la faute du notaire, la cour d’appel rejeta leur action au motif que leur attention avait bien été attirée sur leur renonciation au bénéfice de division et de discussion par une mention claire dans l'acte authentique souscrit, les juges soulignant également que l’un des garants, averti, connaissait particulièrement bien les risques de l'opération projetée, et qu'elle n'y aurait pas renoncé malgré une éventuelle mise en garde du notaire.
Un pourvoi en cassation fut formé pour contester, d’une part, la dispense du notaire de son devoir de conseil du seul fait des compétences personnelles de l’un des garants, la situation des autres n’étant ainsi pas prise en compte et dénoncer, d’autre part, l’insuffisance des seules mentions de l'acte relatives à la renonciation au bénéfice de discussion et de division en référence à des articles du code civil à garantir une réelle information délivrée de façon compréhensible.
Leur pourvoi est rejeté au motif que la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers, n'impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l'obligation d'autrui, n'est pas un cautionnement en sorte que la garantie, limitée au bien affecté à cette fin, n'ouvre au tiers qui la constitue ni le bénéfice de discussion ni le bénéfice de division, seulement offerts aux cautions; or, la cour d'appel ayant relevé que les garants s'étaient engagés à affecter hypothécairement l’immeuble à la garantie des prêts souscrits par la société dont l'un d'eux était actionnaire, en a logiquement déduit que la sûreté litigieuse, qui n'est pas un cautionnement mais une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers, n'ouvre à ceux qui l'ont constituée ni le bénéfice de discussion ni le bénéfice de division.
Après diverses péripéties jurisprudentielles, la Cour de cassation a fini par décider, il y a maintenant dix ans, que la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n'est pas un cautionnement (Ch. mixte, 2 déc. 2005, n° 03-18.210). A priori, la règle va de soi. En effet, le terme de cautionnement désigne traditionnellement un engagement par lequel un tiers à la dette s’engage personnellement à payer tout ou partie de la dette du débiteur si celui-ci ne la paye pas lui-même. Son engagement fait naître à son encontre une dette dont il est redevable sur l’ensemble de son patrimoine.
La sûreté réelle, à l’inverse, consiste à conférer un droit de préférence à un créancier sur un bien particulier en garantie d’une dette. Cependant, l’émergence en jurisprudence de la notion de cautionnement réel a semé le trouble en rapprochant deux institutions par principe étrangères. Ainsi, en application de l'article 1415 du Code civil, qui limite l'effet du cautionnement consenti par un époux commun en biens sans le consentement du conjoint à ses biens propres, la Cour avait associé les deux mécanismes, à l’effet de protéger le conjoint n’ayant pas participé à la constitution du cautionnement, en admettant qu’une sûreté réelle puisse se doubler d’un engagement personnel, lequel est cependant limité à la fois par la valeur du bien et par la dette garantie. Aussi avait-elle pu admettre l’existence d’une sûreté réelle doublée d’un engagement personnel mais en limitant le droit de poursuite naissant de cet engagement personnel au bien grevé (Com., 29 avr.2002).
Juridiquement, ces solutions pouvaient être justifiées par une approche extensive de la notion de cautionnement. En effet, au sens strict, le cautionnement désigne un engagement personnel de payer la dette d’un tiers, mais au sens large, le cautionnement peut aussi s’entendre simplement du fait de garantir la dette d’un tiers, qu’il s’agisse de souscrire un engagement personnel de payer ou de consentir au créancier une sûreté réelle en garantie de sa créance. Cependant, l’hostilité doctrinale à ces solutions fut très vive. Etait notamment reproché à la Cour de cassation de trahir la nature profonde du cautionnement réel, qui devrait avant tout être une sûreté réelle et d’enfreindre l’article 2292 du Code civil (anciennement 2015), suivant lequel le cautionnement ne se présume point. En l’espèce, la Cour confirme le retour à la conception classique opérée en 2005, la Cour réservant désormais la notion de cautionnement au cautionnement personnel, d’où son affirmation selon laquelle la garantie hypothécaire n’est pas un cautionnement (réel), en sorte que les bénéfices de discussion (faculté de la caution de demander de poursuivre en premier lieu le débiteur, C. civ., art. 2299) et de division (faculté de plusieurs cautions de demander à n’être poursuivis que sur leur part, sauf insolvabilité des autres cautions, C. civ., art. 2303) ne peuvent profiter aux garants.
Civ.1re, 25 nov.2015, n°14-21.332
Références
■ Code civil
■ Ch. mixte, 2 déc. 2005, n° 03-18.210 ; D. 2006. 729, concl. J. Sainte-Rose ; ibid. 61, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 733, note L. Aynès ; ibid. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2855, obs. P. Crocq ; AJ fam. 2006. 113, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2006. 357, obs. B. Vareille ; ibid. 594, obs. P. Crocq ; RTD com. 2006. 465, obs. D. Legeais
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