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[ 4 janvier 2017 ] Imprimer

Procédure civile

Suspicion légitime : la partialité ne se déduit pas des actes de procédure

Mots-clefs : Impartialité, Suspicion légitime, Partialité, Décisions de justice, Actes de procédure, Justiciable, Défaveur, Erreurs, Voies de recours, Exercice, Possibilité, Portée

Le défaut d'impartialité d'une juridiction ne peut résulter du seul fait qu'elle ait rendu une ou plusieurs décisions défavorables à la partie demanderesse à la récusation ou favorables à son adversaire, même en cas d’erreurs de droit ou de procédure ou des applications erronées des règles de droit, celles-ci ne pouvant donner lieu qu’à l'exercice de voies de recours.

Le seul fait qu’une décision de justice ou que des actes de procédure, défavorables au justiciable et éventuellement entachés d’erreurs de droit ou de procédure, ne suffit pas à faire suspecter les magistrats de la juridiction dont ils émanent de partialité. Tel est l’enseignement de la décision rapportée, rendue sur requête en renvoi, pour cause de suspicion légitime.

En l'espèce, le requérant soupçonnait de partialité la cour d'appel de Paris, laquelle avait dû statuer sur une ordonnance prise par un juge de la mise en état du tribunal de grande instance de la même ville. Il avait déposé une requête en suspicion légitime à l’effet de mettre en cause cette juridiction, soupçonnée en son entier puisqu’il dénonçait la partialité de chacun de ses membres. En effet, lorsque le renvoi est demandé pour cause de suspicion légitime, le demandeur à l'acte de renvoi doit démontrer la partialité de l'ensemble des magistrats de la juridiction et non d’un seul ou de plusieurs d’entre eux (Civ. 1re, 1er juill. 2015, n° 14-18.149). 

Plus précisément, le requérant contestait d’une part le fait que la cour d'appel n'avait pas pris en compte la nécessité de suspendre l'instance malgré les exceptions dilatoires soulevées et qu’elle avait violé le principe de la contradiction et raccourci, en sa défaveur, le calendrier de procédure alors qu'il avait déposé une nouvelle demande d'aide juridictionnelle et, que, d'autre part, l'objet du litige ne correspondait pas aux compétences dévolues à la chambre saisie de l'affaire. 

Comme l'article 359, alinéa 1er du Code de procédure civile le prévoit, le premier président de la cour d'appel, sans doute réticent devant l’examen de la requête, avait transmis celle-ci au président de la juridiction immédiatement supérieure, en l’occurrence le président de la Cour de cassation, par une lettre en date du 3 novembre 2016, lui exposant les motifs de son refus de dessaisir la cour d'appel ; cette juridiction ayant statué sur le fond le 25 mars 2016, son premier président n'avait pas estimé nécessaire d'ordonner un sursis à statuer, comme l'article 361, alinéa 2 du Code de procédure civile le lui aurait permis. Au visa des articles L. 111-6 du Code de l'organisation judiciaire et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation réfute cette argumentation. Elle juge d’abord que le fait que la cour d'appel ait statué, par arrêt du 25 mars 2016, sans attendre que la Cour de cassation, saisie par lettre du 3 novembre 2016, se prononçât sur les mérites de la requête, ne rendait pas celle-ci sans objet. Elle affirme ensuite et surtout que le défaut d'impartialité d'une juridiction ne peut résulter du seul fait qu'elle ait rendu une ou plusieurs décisions défavorables à la partie demanderesse à la récusation ou favorables à son adversaire et que, fût-il démontré que les magistrats concernés auraient commis des erreurs de procédure ou des applications erronées des règles de droit, de telles erreurs, qui pouvaient être contestées par l’exercice des voies de recours traditionnelles, ne sauraient établir la partialité ni des magistrats qui ont rendu les décisions critiquées ni des magistrats de la cour d'appel, pris dans leur ensemble, ni ne pouvaient faire peser sur eux un doute légitime sur leur impartialité. Elle relève enfin que ne résultait ni de la requête ni des pièces produites à son soutien la preuve de l'existence d'un motif de nature à faire peser sur ces magistrats un soupçon légitime de partialité à l'égard du requérant. 

Rappelant une jurisprudence constante (V. par ex. Civ. 2e, 27 mai 2004, n° 04-01.428), la Cour rappelle que la contestation des décisions de justice s’opère exclusivement par l’exercice des voies recours légalement prévues à cet effet. Ce rappel de principe n’est pas sans intérêt depuis que la jurisprudence admet que l'article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme puisse servir de fondement au dépôt d'une requête en récusation pour cause de suspicion légitime (Civ. 1re, 28 avr. 1998, n° 96-11.637), entendue comme le doute que l'une des parties peut avoir sur l'objectivité, la neutralité, la bonne foi, l'efficacité d’une juridiction. En effet, bon nombre de justiciables y ont alors vu une voie de recours autonome s’ajoutant aux voies de recours traditionnelles. Invariablement contestée par la Cour de cassation, notamment par un arrêt d'assemblée plénière du 24 novembre 2000 (n° 99-12.412), celle-ci n’entend manifestement pas abandonner, ni même infléchir, sa position. 

La Cour de cassation rappelle également, pour la rejeter, l'hypothèse selon laquelle une décision de justice ou une pratique procédurale défavorables à la partie demanderesse à la récusation ou favorables à son adversaire révélerait la partialité des magistrats à l'encontre du requérant ( V. déjà, Civ. 2e, 27 mai 2004, préc. ; Civ. 2e, 27 janv. 2005, n° 04-01.481 , jugeant que « le fait que l'arrêt rendu par la chambre concernée [par le renvoi] ait été cassé ne fait pas peser sur celle-ci un soupçon légitime de partialité pour connaître des points du litige restant à juger »). L’argumentation du demandeur avait pourtant ceci d’intéressant qu’il s’appuyait sur des éléments objectifs susceptibles de faire naître un doute légitime sérieux sur l'impartialité des magistrats mis en cause, ce que la jurisprudence exige, le simple soupçon ne suffisant pas à justifier le renvoi (Civ. 2e, 8 janv. 1953, et plus récemment, Civ. 2e, 8 juill. 2004, n° 02-19.171. Soc., 3 mars 2009, n° 07-15.581). Mais la Cour refusant de déduire des erreurs commises par ceux-ci, la partialité des juges ayant statué dans un sens défavorable au justiciable, seule une opinion publiquement exprimée aurait pu, par exemple, constituer une preuve objective et donc légitime de suspicion.

Civ. 2e, 24 novembre 2016, n° 16-01.646

Références

■ Civ. 1re, 1er juill. 2015, n° 14-18.149.

■ Civ. 2e, 27 mai 2004, n° 04-01.428 P.

■ Civ. 1re, 28 avr. 1998, n° 96-11.637, D. 1998. 131 ; RTD civ. 1998. 744, obs. R. Perrot.

■ Cass., ass. plén., 24 nov. 2000, n° 99-12.412 P, D. 2001. 1067; ibid. 2427, chron. B. Beignier et C. Bléry ; RTD civ. 2001. 192, obs. J. Normand ; ibid. 204, obs. R. Perrot.

■ Civ. 2e, 27 janv. 2005, n° 04-01.481 P.

■ Civ. 2e, 8 janv. 1953, D. 1953, jurispr. p. 197.

■ Civ. 2e, 8 juill. 2004, n° 02-19.171.

■ Soc., 3 mars 2009, n° 07-15.581.

 

Auteur :M. H.


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