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[ 9 mai 2014 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

TAJ : légalité du nouveau fichier de police

Mots-clefs : Fichier, Données personnelles, Conservation, Effacement, Rectification, Droit d'accès

Le Conseil d’État rejette le recours de la Ligue des droits de l’homme dirigé contre le décret du 4 mai 2012 relatif au traitement des antécédents judiciaires (TAJ).

Clarifier le cadre juridique des fichiers de police afin de mieux protéger les libertés fondamentales et mettre fin aux dysfonctionnements du suivi et des rectifications de ces fichiers (v. Gautron), tel était le but de la loi n° 2011-267 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure du 14 mars 2011. Le législateur a tenté ainsi de passer d’un système d’opposition entre fichiers police et libertés individuelles à un système de conciliation.

Le texte autorise les services de la police et de la gendarmerie nationales à collecter et conserver dans un fichier informatique dénommé « TAJ » des données personnelles relatives aux personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer à la commission de certains crimes, délits ou contraventions de 5e classe, ainsi qu’aux victimes de ces infractions et aux procédures de recherche des causes de la mort ou de recherche des causes d'une disparition. Ce nouveau fichier, qui remplace les fichiers STIC de la police nationale et JUDEX de la gendarmerie nationale, doit permettre de faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs (C. pr. pén., art. 230-6).

Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), précise notamment la liste des contraventions concernées, la durée de conservation des informations enregistrées, les modalités d’habilitation des personnes maniant le fichier ainsi que, le cas échéant, les conditions dans lesquelles les personnes intéressées peuvent exercer leur droit d’accès (C. pr. pén., art. 230-11). Adopté le 4 mai 2012, ce texte a fait l’objet d’une demande d’annulation pour excès de pouvoir de la part de la Ligue des droits de l’homme que le Conseil d’État vient de rejeter affirmant ainsi la légalité de ce nouveau fichier de police.

Écartant d’abord l’argument selon lequel l’enregistrement de données nominatives dans le TAJ porte atteinte au principe de la présomption d’innocence, les juges considèrent également que la collecte, la conservation et la consultation de photographies numérisées des personnes « justifiées par les objectifs d’intérêt général poursuivis par le législateur, ne portent pas, en elles-mêmes, une atteinte excessive à la protection de la vie privée garantie par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». 

En outre, appliquant le test de proportionnalité, les juges admettent, compte tenu des restrictions et précautions dont le traitement est assorti, que la collecte des photographies numérisées concernées est adéquate, pertinente et non excessive par rapport aux finalités légitimes poursuivies.

Le Conseil d’État réfute, ensuite, l’argument selon lequel les durées de conservation des données excèdent ce qui serait nécessaire pour répondre efficacement aux finalités du traitement. Le décret attaqué fixe, en effet, pour les personnes mises en cause majeures, une durée de conservation de droit commun de vingt ans et des durées dérogatoires de cinq et quarante ans. S’agissant des personnes mises en cause mineures, la durée de conservation de droit commun est de cinq ans et peut être portée à dix ou vingt ans.

Selon les juges, de telles durées, qui sont fonction de la gravité et de la catégorie pénale des mises en cause, trouvent une justification, dans la finalité de police judiciaire du traitement, qui tend à faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs, tout particulièrement en cas de récidive ou de réitération. Seule une réserve est émise à cette affirmation : que les données traitées soient exactes et régulièrement mises à jour.

S’agissant par ailleurs de l’argument de la Ligue des droits de l’homme relatif au champ des personnes habilitées à consulter le fichier, le Conseil d’État reconnaît que, compte tenu de leurs attributions, des conditions dans lesquelles elles peuvent accéder aux données et du contrôle qu’opère l’autorité judiciaire sur leur activité de police judiciaire, aucune atteinte à la liberté individuelle des personnes mises en cause ni atteinte excessive au droit des personnes concernées au respect de leur vie privée ne peut être retenue.

Peuvent ainsi accéder au fichier : les agents de police nationale, les militaires de la gendarmerie nationale, les agents de la douane judiciaire, les magistrats du parquet. Les magistrats instructeurs peuvent être également destinataires de ces données.

Enfin, concernant le droit d’opposition et de rectification ou d'effacement des données, les demandes émanant des personnes intéressées peuvent être adressées soit directement au procureur de la République territorialement compétent ou au magistrat chargé de suivre la mise en œuvre et la mise à jour du fichier. Ces derniers doivent se prononcer, dans un délai d’un mois, sur les demandes de rectification. De telles demandes peuvent également être adressées à la CNIL.

Selon le Conseil d’État, les décisions prises par les magistrats, dont la loi prévoit l’intervention en matière d’effacement ou de rectification des données, constituent des actes de gestion administrative du fichier susceptibles de recours devant le juge administratif.

Les personnes concernées pourront donc contester les décisions de refus d’effacement ou de rectification qui leur seraient opposées.Cette affirmation n’est pas sans rappeler la jurisprudence rendue sous l’empire du fichier STIC. Déjà la Haute juridiction administrative y affirmait que si les données nominatives figurant dans le STIC portent sur des informations recueillies au cours d’une procédure pénale, les décisions en matière d'effacement ou de rectification, qui ont pour objet la tenue à jour de ce fichier et sont détachables d'une procédure judiciaire, constituent des actes de gestion administrative du fichier et peuvent faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif (CE 17 juill. 2013).

La possibilité d’un tel recours garantit le respect au droit au recours effectif garanti par l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

CE 11 avr. 2014, Ligue des droits de l'homme, n° 360759

Références

■ Décret no 2013-1268 du 27 décembre 2013 portant modification du décret no 2012-652 du 4 mai 2012 relatif au traitement d’antécédents judiciaires.

■ Gautron, « Usages et mésusages des fichiers de police », AJ pénal 2010. 266.

■ CE 17 juill. 2013, n°359417, Dalloz actualité, 2 sept. 2013, obs. Poupeau ; AJDA 2013. 2032, E. Crépey.

■ Code de procédure pénale

Article 230-6

« Afin de faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs, les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale peuvent mettre en œuvre des traitements automatisés de données à caractère personnel recueillies : 

1° Au cours des enquêtes préliminaires ou de flagrance ou des investigations exécutées sur commission rogatoire et concernant tout crime ou délit ainsi que les contraventions de la cinquième classe sanctionnant : 

a) Un trouble à la sécurité ou à la tranquillité publiques ; 

b) Une atteinte aux personnes, aux biens ou à l'autorité de l'Etat ; 

2° Au cours des procédures de recherche des causes de la mort mentionnées à l'article 74 ou de recherche des causes d'une disparition mentionnées à l'article 74-1. 

Ces traitements ont également pour objet l'exploitation des informations recueillies à des fins de recherches statistiques. »

Article 230-11

« Un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, fixe les modalités d'application de la présente section. Il précise notamment la liste des contraventions mentionnées à l'article 230-6, la durée de conservation des informations enregistrées, les modalités d'habilitation des personnes mentionnées à l'article 230-10 ainsi que, le cas échéant, les conditions dans lesquelles les personnes intéressées peuvent exercer leur droit d'accès. »

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale 

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 13 - Droit à un recours effectif 

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

 

Auteur :C. L.


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