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[ 12 avril 2018 ] Imprimer

Procédure civile

Tardiveté des conclusions : nécessité de caractériser le temps utile

Viole l’article 15 du Code de procédure civile la cour d’appel qui déclare recevables des conclusions sans avoir constaté que la partie adverse disposait d’un temps utile pour y répondre.

Plusieurs parties s’opposent sur le tracé d’un chemin. En appel, la clôture de l’instruction est initialement fixée au 25 juin 2016. Le 11 juin, l’appelante notifie 75 pages de conclusions et communique 18 pièces supplémentaires. La date de clôture est alors reportée au 6 septembre 2016. Le 5 septembre 2016, soit la veille de cette clôture reportée, l’un des intimés notifie ses conclusions. L’appelante demande que ces conclusions soient déclarées irrecevables. La cour d’appel s’y refuse ; elle rappelle la communication tardive de juin 2016 par l’appelante et estime « dans ces conditions » les conclusions adverses recevables.

L’appelante forme un pourvoi en cassation par lequel elle reproche à la cour d’appel d’avoir violé les articles 15 et 16 du Code de procédure civile. Ces deux articles sont respectivement relatifs à la communication entre les parties « en temps utile » des moyens et preuves ainsi qu’à l’exigence pour le juge, « en toutes circonstances, [de] faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction », ce qui doit le conduire à ne « retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement ».

La troisième chambre civile de la Cour de cassation devait alors déterminer si des pièces communiquées la veille de l’ordonnance de clôture peuvent être déclarées recevables, compte tenu d’une attitude similaire antérieure de la partie adverse, sans avoir à caractériser le temps utile dont disposait l’adversaire pour y répondre.

La Cour répond par la négative et casse l’arrêt d’appel. Les hauts magistrats estiment que la juridiction d’appel a violé l’article 15 du Code de procédure civile en déclarant recevables les conclusions de l’un des intimés sans avoir constaté que l’appelante disposait d’un temps utile pour y répondre.

Cet arrêt invite à préciser trois points :

1.      Une tardiveté entendue au sens large. En l’espèce, l’ordonnance de clôture a été respectée : les conclusions ont été notifiées avant cette date. Elles ne sont donc pas tardives au sens strict. Elles le sont néanmoins au sens large, car elles n’ont pas été notifiées « en temps utile », c’est-à-dire à une date qui offre à la partie adverse la possibilité d’en prendre connaissance et d’y répondre sereinement. L’exigence de contradiction est alors mise à mal.

2.      Le refus d’une irrecevabilité automatique. L’arrêt commenté requiert du juge du fond qu’il caractérise la violation du temps utile. Il s’agit là de la condition du prononcé de l’irrecevabilité des conclusions et pièces. Cette solution était déjà acquise (Civ. 2e, 25 févr. 2010, n° 09-13.400. Civ. 1re, 24 févr. 2016, n° 15-13.502), notamment dans un arrêt aux faits similaires en date du 20 février 2008 (n° 07-12.676) où la première chambre civile, au visa de l’article 16 du Code de procédure civile, juge que le seul fait de communiquer tardivement, quoi que toutefois avant la clôture, ne justifie pas à lui seul l’irrecevabilité. Le juge doit démontrer que cette communication tardive a constitué une violation du temps utile en privant la partie adverse d’un temps suffisant pour y répondre ; il ne peut se contenter d’énoncer les dates des notifications (Com. 17 nov. 2015, n° 14-15.270. V. aussi, Civ. 1re, 5 déc. 2012, n° 11-20.552). Son appréciation est ici souveraine (Cass., ch. mixte, 3 févr. 2006, n° 04-30.592. Plus récemment, V. Civ. 1re, 24 févr. 2016, n° 15-13.502). Elle dépend de chaque espèce et tient, par exemple à la « teneur des conclusions ou à la nature, au nombre et à l’importance des pièces produites in extremis » (Document de Méthodologie en date du 31 août 2008, disponible sur le site d’information de la Cour de cassation.).

Dès lors, le comportement antérieur de la partie adverse – les « conditions » auxquelles la Cour fait référence dans l’arrêt commenté – ne peut motiver une décision portant sur la recevabilité. La Cour de cassation refuse ainsi que le parallélisme de comportement soit utilisé pour admettre une communication tardive de l’une des parties. La loi du Talion ne s’applique pas à la communication en temps utile.

3.      Que peut faire le juge ? La tardiveté de communication des conclusions et des pièces peut justifier leur irrecevabilité et ainsi les exclure des débats (C. pr. civ., art. 135. Si les pièces sont communiquées après l’ordonnance de clôture devant le TGI, art. 783, al. 1er). Cette issue radicale peut être évitée : le juge peut en effet ordonner le report ou la révocation de l’ordonnance de clôture (C. pr. civ., art. 784 et 783, al. 2, devant le TGI et art. 912, al. 2, devant la Cour d’appel), ce qui prolonge ou rouvre les débats et offre un délai supplémentaire aux parties.

Civ. 3e, 8 mars 2018, n° 17-11.411

Références

■ Civ 2e, 25 févr. 2010, n° 09-13.400.

■ Civ. 1re, 24 févr. 2016, n° 15-13.502.

■ Civ. 1re, 20 févr. 2008, n° 07-12.676 P : D. 2008. 697 ; ibid. 2009. 53, obs. M. Douchy-Oudot ; RTD civ. 2008. 354, obs. R. Perrot.

■ Com. 17 nov. 2015, n° 14-15.270.

■ Civ. 1re, 5 déc. 2012, n° 11-20.552.

■ Cass., ch. mixte, 3 févr. 2006, n° 04-30.592 P: D. 2006. 1268, note A. Bolze ; RTD civ. 2006. 376, obs. R. Perrot.

 

Auteur :Paul Giraud


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