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[ 30 octobre 2009 ] Imprimer

Droit de la fonction et des services publics

Tarification de l’eau et égalité entre abonnés

Mots-clefs : Service public, Eau, Tarification, Abonnés, Principe d’égalité

Le respect du principe d’égalité entre les usagers du service public doit être apprécié en prenant en compte la situation des abonnés et non celle des bénéficiaires des prestations relevant d’un abonnement collectif, juge le Conseil d’État dans un arrêt du 14 octobre 2009.

Un règlement du service d’eau potable prévoyant un tarif comportant différentes tranches en fonction du volume d’eau consommé a-t-il pour effet de distinguer différentes catégories d’usagers et d’instaurer entre elles une différenciation illégale ? Non, répond le Conseil d’État dans un arrêt du 14 octobre 2009.

La Haute juridiction était saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon qui avait enjoint à cette commune d’abroger l’article 15 du règlement du service d’eau potable. Les requérants soutenaient que la tarification de ce service entraînait une inégalité entre les usagers titulaires d’un abonnement individuel et ceux résidant dans un immeuble collectif où l’abonnement, souscrit pour plusieurs habitations, se trouvait plus aisément soumis au tarif le plus élevé quelle que soit leur consommation individuelle. Mais le Conseil d’État estime que le système de tarification mis en place par la commune n’était pas, contrairement à ce qu’avaient jugé le tribunal administratif et la cour, contraire au principe d’égalité. Ce dernier n’implique pas en effet que des abonnés à un service public se trouvant dans des situations différentes soient soumis à des tarifs différents.

Par le passé, le Conseil d’État a pu considérer que la tarification du service d’eau pouvait varier en fonction des seuils de consommation (CE 8 mai 1961, Société immobilière de Couéron, Lebon T. 917) et même de la nature des appareils utilisés (CE 17 nov. 1943, Établissements Tiflex, Lebon 260).

CE 14 octobre 2009, Commune de Saint Jean d’Aulps, n° 300608

 

Références

Principe d’égalité

« Si l’égalité n’est pas l’uniformité, les personnes se trouvant dans une situation identique ont droit, en principe, à un traitement identique : chaque juge, administratif, constitutionnel, communautaire ou européen peut dans le cadre de ses attributions sanctionner les discriminations qu’il juge arbitraires.

Le CE a fait de ce principe, dans ses diverses facettes, un principe général du droit, même si tous ses arrêts n’emploient pas clairement cette expression. Ceci n’est pas tout récent : égalité devant les lois et règlements (9 mai 1913, Roubeau, RDP 1913. 685), devant les charges publiques (Couitéas), dans l’accès aux emplois publics (CE 3 juill. 1936, Dlle Bobard, Rec. 721), devant l’impôt (CE 4 févr. 1944, Guieysse, Rec. 45), « égalité qui régit le fonctionnement des services publics » (Société des concerts du Conservatoire). L’Administration peut ne pas traiter de la même façon des personnes placées dans une situation différente au regard des objectifs de l’acte administratif, mais la discrimination opérée doit être adaptée à la différence de situation. Dans une moindre mesure, elle peut aussi, sans commettre d’illégalité, ne pas traiter de la même façon des personnes placées dans une situation voisine au regard des objectifs de l’acte, si une considération d’intérêt général justifie la discrimination (CE 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, Rec. 274). “ Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit dans l’un comme dans l’autre cas, en rapport avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation susceptibles de la justifier ” (CE 18 déc. 2002, Mme Duvignères, GAJA).

Le Conseil constitutionnel a développé une jurisprudence qui rappelle sur bien des points celle du Conseil d’État, à ceci près qu’elle s’impose au législateur. De nombreuses dispositions constitutionnelles proclament le principe d’égalité, en particulier : art. 6 et 13 de la Déclaration de 1789, al. 3, 12, 13 du Préambule de la Constitution de 1946, art. 1, 2 et 3 de la Constitution : “ Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ”, selon un considérant désormais classique. Le Conseil constitutionnel impose aussi au législateur le respect des corollaires de ce principe : égalité devant l’impôt, les charges publiques, la justice, égalité du suffrage, dans l’accès aux emplois publics… Ce ne sont pas des principes généraux du droit qu’il applique, mais des principes issus de dispositions constitutionnelles, même si, au fil des ans, le juge constitutionnel cesse en la matière de citer ses articles de référence. Cette jurisprudence constitutionnelle ne peut pas ne pas influencer le juge administratif. Ainsi voit-on le CE en 1989, après avoir rappelé le Préambule de 1946, invoquer le principe constitutionnel de l’égalité des droits accordés aux hommes et aux femmes (26 juin 1989, Féd. synd. généraux de l’Éducation nationale, Rec. 152). Le CE peut aussi, dans la même décision, évoquer le principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques — en refusant d’apprécier la conformité d’une loi à ce principe — et le principe général d’égalité devant les charges publiques (CE A. 5 mars 1999, Rouquette et a., RFDA 1999. 371). Il peut encore s’appuyer sur les traités internationaux, comme le montre son arrêt d’Assemblée du 30 novembre 2001 : “ Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des dispositions précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, si elle n’est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d’utilité publique, ou si elle n’est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ” (Min. de la défense c/ M. Diop, GAJA).

En droit communautaire, la Cour de justice des Communautés européennes en a également fait un principe général. Pour la Cour, ce principe veut que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement soit objectivement justifié. On note ainsi une différence avec le CE et le Conseil constitutionnel qui, pour l’instant, n’ont jamais dit que le principe d’égalité serait violé si un traitement identique était appliqué à des situations différentes (CE A. 28 mars 1997, Société Baxter, Rec. 115 – CC, 2006-541 DC 28 sept. 2006, Rec. 102). »

Usager

« Utilisateur d’un service public, d’un ouvrage public ou d’une dépendance du domaine public. Au-delà de cette diversité, la notion d’usager, forgée par la jurisprudence administrative, est extensive : elle fait des tiers une catégorie résiduelle. La qualification d’usager peut résulter des relations juridiques entretenues avec le gestionnaire du service, du domaine ou de l’ouvrage public. L’administré qui contracte pour acheter un billet de train, pour bénéficier de la fourniture d’eau, d’électricité, de gaz, le fait dans l’intention évidente d’utiliser le service public. Il en va de même pour l’administré qui obtient de la personne publique gestionnaire du domaine, l’autorisation d’en faire une utilisation privative. De façon extensive, le candidat usager qui n’a pas eu le temps de contracter avec le service public, en raison d’impératifs déterminants, mais qui en avait l’intention, est considéré par la jurisprudence Vve Canasse comme un usager effectif. La prise en considération d’éléments de fait a conduit à un nouvel élargissement de la notion d’usager. À l’origine, seuls les administrés ayant noué des relations régulières avec le service, ou l’ouvrage public étaient qualifiés d’usagers. En revanche, les usagers non autorisés, irréguliers ou anormaux étaient des tiers, ce qui paradoxalement, leur permettait d’obtenir plus facilement réparation des dommages de travaux publics. Depuis l’arrêt Niddam, les resquilleurs du service public et les usagers irréguliers des ouvrages publics sont, de fait, placés dans la même situation que l’usager régulier. Les éléments de fait peuvent, au demeurant, être les seuls à pouvoir être pris en considération lorsque l’utilisation n’est pas subordonnée à l’obtention d’un titre juridique. Il en est ainsi, notamment, des utilisations communes des dépendances du domaine public affectées à l’usage du public. Le juge administratif peut être confronté à des difficultés supplémentaires dans des hypothèses où le justiciable est susceptible de cumuler plusieurs qualités d’usagers. Un choix sera souvent indispensable pour déterminer le droit applicable. Les notions de travail, d’ouvrage public, de domaine public constituent de forts points d’ancrage du droit administratif; leurs usagers se verront donc appliquer des règles de droit public. Toutefois, le droit privé est applicable aux usagers des services publics industriels et commerciaux même si le contrat qui les lie au service comporte des clauses exorbitantes du droit commun (TC 17 déc. 1962, Dme Bertrand, Rec. 831). La compétence est administrative, lorsqu’en réalité, seule la qualité d’usager de l’ouvrage public est identifiable (CE 24 nov. 1967, min. des Travaux publics c/ Mlle Labat, Rec. 444). Lorsqu’en revanche, le dommage est subi par un usager d’un service public industriel et commercial, mais est dû au fonctionnement défectueux d’un ouvrage affecté au service, c’est la qualité d’usager du SPIC qui prévaut en raison de la nature du contrat souscrit par l’usager (TC 24 juin 1954, Minodier, Guyomar et a., Rec. 718), et ce, y compris en l’absence de contrat régulier. La situation juridique de l’usager du service public administratif est, quant à elle, dépendante de la nature du gestionnaire de l’activité. L’usager du service public administratif, géré par une personne publique, est, en principe, placé dans une situation légale et réglementaire de droit public; très exceptionnellement, dans une situation contractuelle, le contrat étant qualifié d’administratif s’il comporte des clauses exorbitantes de droit commun ou constitue une modalité d’exécution du service (TC 24 juin 1968, Ursot, Rec. 799). Il existe néanmoins des contrats de droit privé par détermination de la loi (cf. L. 2 juill. 1990, art. 25 à propos des relations entre la Poste et ses usagers).

Le service public administratif géré par une personne privée entretient, en principe, des relations de droit privé avec ses usagers que les relations soient unilatérales ou contractuelles. Toutefois, les actes édictés par les personnes privées dans le cadre de la gestion du service et révélant l’exercice de prérogatives de puissance publique sont des actes administratifs que les usagers peuvent contester par la voie de recours pour excès de pouvoir (TC 23 avr. 1974, Directeur régional de la Sécurité Sociale c/ Blanchet, Rec. 751).»

Source : V. Van Lang, G. Gondouin, V. Inserguet-Brisset, Dictionnaire de droit administratif, 5e éd., Sirey, coll. « Dictionnaire », 2008.

 

Auteur :E. R.


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