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[ 15 octobre 2014 ] Imprimer

Procédure civile

Témoin influencé : avocat sanctionné !

Mots-clefs : Avocat, Déontologie, Manquement, Sanction disciplinaire, Témoin, Influence

Le fait, pour un avocat, de joindre par téléphone un témoin, de sorte à influencer ses déclarations, constitue un manquement déontologique de nature à entraîner des sanctions disciplinaires à son encontre.

Les manquements pouvant entraîner des poursuites disciplinaires à l’encontre d’un avocat sont prévus de façon très large par les textes organisant la profession. L’article 183 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat prévoit que : « Toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse, même se rapportant à des faits extraprofessionnels, expose l'avocat qui en est l'auteur aux sanctions disciplinaires ». L’avocat fautif s’expose donc souvent, pour un même acte commis, à des poursuites civiles et des poursuites disciplinaires.

Les deux procédures, bien que distinctes empruntent les mêmes voies de recours. Lorsqu’un avocat commet une faute dans l’exercice de ses fonctions, le Conseil de discipline est d’abord saisi par le procureur général ou par le bâtonnier dont relève le mis en cause. Le dossier est, ensuite, instruit par un des membres du Conseil de l’ordre, le rapporteur, qui ne pourra alors plus siéger au sein du conseil régional de discipline chargé de statuer sur l’affaire en cours. La décision du Conseil doit être motivée, puis notifiée à l’avocat poursuivi qui exercera alors son recours devant la Cour d’appel et pourra se pourvoir en cassation.

Dans l’affaire ici rapportée, un avocat avait pris contact avec un témoin. Il avait cherché, de façon insidieuse, à influencer la déclaration de son interlocutrice en lui lisant une correspondance de son client, alors incarcéré, de sorte à faire naître chez elle un sentiment de culpabilité. L’appel téléphonique ayant été enregistré par les officiers de police judiciaire dans le cadre d’une mesure d’instruction, la conversation avait été transcrite afin que des poursuites disciplinaires soient engagées à l’encontre de cet avocat.

Il était question de trancher sur le point de savoir si ce dernier avait usé de manœuvres contraires à la loyauté, à la délicatesse et à la probité, principes essentiels auxquels l’avocat est soumis dans l’exercice de son activité, conformément à l’article 1.3 du Réglement intérieur national de la profession d'avocat.

L’avocat mis en cause était donc poursuivi sur un fondement déontologique. La Cour d’appel puis la Cour de cassation se font, dans ce cas, juges de la discipline dans la mesure où elles sont compétentes pour traiter des recours contre les décisions du Conseil de discipline (Décr. n°91-1197 du 27 nov. 1991, art. 16 ; COJ, art. L. 411-2).

Ses agissements ayant été qualifiés de faute disciplinaire par le Conseil de discipline, l’avocat a été condamné à une peine d'interdiction temporaire d’exercice d'une durée de deux mois ainsi qu'à l'affichage de cette décision dans les locaux du barreau des avocats de Lyon pour la même durée. La Cour d’appel ayant validé la qualification de faute disciplinaire, l’avocat s’est pourvu en cassation.

Invoquant le principe de confidentialité des conversations téléphoniques échangées entre un avocat et son client, il contestait avoir tenté d’influencer le témoin de façon insidieuse.

Le pourvoi est rejeté. Les hauts magistrats confirment ainsi le raisonnement des juges du fond : l’interlocutrice n'étant pas cliente de l’avocat, ce dernier ne pouvait se prévaloir du principe de confidentialité des conversations téléphoniques échangées entre un avocat et son client. En outre, la lecture de la retranscription de la conversation laissait apparaitre que l’avocat avait cherché à influencer les déclarations de l’intéressée, sans qu’il soit nécessaire de reproduire les termes de la conversation litigieuse.

On rappellera qu’il n’existe pas de concordance parfaite entre faute disciplinaire et faute civile, mais que le juge civil prend en compte la première pour évaluer si celle-ci peut également être constitutive de la seconde.

Traditionnellement tout manquement déontologique ne constituait pas de façon systématique une faute au sens de la responsabilité civile (Civ. 1re, 4 mai 1982 ; Com 21 juin 1988). La jurisprudence est aujourd’hui plus sévère. En effet, la première chambre civile, dont relève le contentieux disciplinaire de la profession d’avocat, estime que le juge civil « peut » trouver dans un manquement déontologique la source d'une faute contractuelle ou délictuelle mais cette possibilité semble, cependant, s’imposer lorsqu’il s’agit de la violation d’une règle déontologique impérative ou d’ordre public (v. J. Moret-Bailly). Pour autant il convient de distinguer les deux voies de droit qui font l’objet de procédures séparées et qui trouvent leur fondement dans la violation de règles distinctes par le contenu et la source.

Civ. 1re, 10 sept. 2014, n°13-22.400

Références

■ Civ. 1re, 4 mai 1982, inédit.

■ Com. 21 juin 1988, n° 86-19.017.

■ J. Moret-Bailly, « Règles déontologiques et fautes civiles », D. 2002. Chron. 2820 , nos 10 s.

 Réglement intérieur national de la profession d'avocat

Article 1.3 -  Respect et interprétation des règles

« Les principes essentiels de la profession guident le comportement de l’avocat en toutes circonstances.

L’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.

Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d’honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.

Il fait preuve, à l’égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence. »

■ Décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat 

Article 16 

« Le recours devant la cour d'appel est formé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat-greffe de la cour d'appel ou remis contre récépissé au greffier en chef. Il est instruit et jugé selon les règles applicables en matière contentieuse à la procédure sans représentation obligatoire.

Le délai du recours est d'un mois.

Sauf en matière disciplinaire, le conseil de l'ordre est partie à l'instance.

La cour d'appel statue en audience solennelle dans les conditions prévues à l'article R. 212-5 du code de l'organisation judiciaire et en la chambre du conseil, après avoir invité le bâtonnier à présenter ses observations. Toutefois, à la demande de l'intéressé, les débats se déroulent en audience publique ; mention en est faite dans la décision.

La décision de la cour d'appel est notifiée par le secrétariat-greffe par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au procureur général, au bâtonnier et à l'intéressé.

Le délai d'appel suspend l'exécution de la décision du conseil de l'ordre. L'appel exercé dans ce délai est également suspensif. »

Article 183 

« Toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse, même se rapportant à des faits extraprofessionnels, expose l'avocat qui en est l'auteur aux sanctions disciplinaires énumérées à l'article 184. »

Article 184 

« Les peines disciplinaires sont :

1° L'avertissement ;

2° Le blâme ;

3° L'interdiction temporaire, qui ne peut excéder trois années ; 4° La radiation du tableau des avocats, ou le retrait de l'honorariat.

L'avertissement, le blâme et l'interdiction temporaire peuvent comporter la privation, par la décision qui prononce la peine disciplinaire, du droit de faire partie du conseil de l'ordre, du Conseil national des barreaux, des autres organismes ou conseils professionnels ainsi que des fonctions de bâtonnier pendant une durée n'excédant pas dix ans.

L'instance disciplinaire peut en outre, à titre de sanction accessoire, ordonner la publicité de toute peine disciplinaire.

La peine de l'interdiction temporaire peut être assortie du sursis. La suspension de la peine ne s'étend pas aux mesures accessoires prises en application des deuxième et troisième alinéas. Si, dans le délai de cinq ans à compter du prononcé de la peine, l'avocat a commis une infraction ou une faute ayant entraîné le prononcé d'une nouvelle peine disciplinaire, celle-ci entraîne sauf décision motivée l'exécution de la première peine sans confusion avec la seconde. »

 Article L. 411-2 du Code de l’organisation judiciaire

« La Cour de cassation statue sur les pourvois en cassation formés contre les arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les juridictions de l'ordre judiciaire.

La Cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires, sauf disposition législative contraire. »

 

Auteur :O. A.


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