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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Témoins de Jéhovah et transfusion sanguine
Un acte médical dont les seules conséquences matérielles ont été de sauver la vie d'un patient ne peuvent entrainer pour lui un préjudice indemnisable au titre des troubles dans les conditions d'existence. Un tel acte peut néanmoins justifier l'indemnisation d'un préjudice moral.
CE 27 novembre 2025, n° 469793 A
Une femme de 37 ans, avait été admise dans un centre hospitalier universitaire pour y subir une ablation de la vésicule biliaire. Avant son admission, elle avait informé l'établissement de son opposition à toute transfusion sanguine en raison de ses convictions religieuses, en tant que témoin de Jéhovah, et communiqué des directives écrites. Elle avait également expliqué oralement au chirurgien qu’elle était opposée à toute transfusion sanguine.
Lors de l’opération, le chirurgien a perforé accidentellement l'artère iliaque droite de la patiente. Un dispositif de transfusion autologue (autotransfusion) avait été prévu pour sécuriser la situation, mais celui-ci s’est avéré insuffisant. Les médecins ont alors pratiqué sur elle une première transfusion sanguine en salle d'opération, puis une deuxième transfusion en réanimation le même jour, avant qu'elle ait repris connaissance. Elle a ensuite été informée de ces deux transfusions et a répété son opposition à toute transfusion sanguine. Quelques jours après, au vu d'une anémie compliquée d'une souffrance myocardique et d'une dégradation de la fonction respiratoire avec hypoxie sévère comportant, de nouveau, un risque imminent pour sa survie, les médecins lui ont administré une sédation pour procéder, à son insu, à une troisième transfusion sanguine, dont elle n'a pris connaissance qu'en obtenant ultérieurement communication de son dossier médical.
Estimant qu’elle avait subi un préjudice du fait de ces trois transfusions pratiquées sans son consentement, elle a saisi la juridiction administrative afin d’être indemnisée.
Dans quelles conditions la responsabilité du service public hospitalier peut-elle être engagée lorsqu’un médecin pratique un acte indispensable à la survie du patient en méconnaissance de la volonté de ce patient ?
■ Absence de faute du service public hospitalier pour les deux transfusions sanguines réalisées en salle d’opération et en réanimation
Concernant ces deux transfusions, le Conseil d’État a estimé que la cour administrative d’appel avait exactement qualifié les faits de l'espèce et n'avait pas commis d'erreur de droit, en déduisant que ces transfusions étaient indispensables à la survie de la requérante et proportionnées à son état, ne pouvaient, bien que ne respectant pas les termes de ses directives orales et écrites, constituer une faute du service public hospitalier.
En effet, il convient de rappeler le contexte dans lequel la patiente avait exprimé sa volonté de ne pas avoir recours aux transfusions sanguines. Il s’agissait d’une opération présentant un caractère ordinaire. Par ailleurs, la patiente n'était pas personnellement exposée au risque d'hémorragie ; elle n'avait pas non plus été informée du risque, connu mais rare, de perforation de l'artère iliaque et une assurance lui avait été donnée qu'elle pourrait bénéficier, en cas de besoin, d'un dispositif de transfusion autologue. Ainsi, ce contexte ne lui permettait pas d'envisager effectivement la réalisation d'un risque mortel d'hémorragie imposant une transfusion urgente en cours d'intervention.
Il s’agissait en l’espèce d’une urgence vitale imprévisible. Ces deux transfusions ne constituent pas une faute, car les médecins sont intervenus dans une situation d’urgence vitale imprévisible. Est ici appliqué la jurisprudence du Conseil d’État du 26 octobre 2001 (ass., n° 198546) selon laquelle, l'obligation pour le médecin de sauver la vie ne prévaut pas de manière générale sur celle de respecter la volonté du malade. Toutefois ne commet pas de faute de nature à engager la responsabilité du service public le médecin qui, quelle que soit son obligation de respecter la volonté de son patient fondée sur ses convictions religieuses, a choisi, compte tenu de la situation extrême dans laquelle celui-ci se trouvait, dans le seul but de tenter de le sauver, d'accomplir un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état.
■ Faute du service public hospitalier pour la troisième transfusion sanguine
Cette dernière transfusion réalisée après que la patiente a retrouvé sa conscience, présente un caractère fautif (CSP, art. L. 1111-4). La patiente avait été informée de manière circonstanciée du fait que le refus d'une nouvelle transfusion l'exposait à un risque de décès à court terme en raison d'une anémie sévère et de l'échec d'un traitement alternatif, mais elle avait néanmoins redit, à plusieurs reprises, son refus de toute transfusion aux médecins. Toutefois, le caractère catégorique de ce refus avait conduit ces derniers à la placer sous sédation pour l'empêcher de s'opposer à cet acte médical.
Le Conseil d’État a considéré que la cour administrative d’appel avait exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et n'avait pas commis d'erreur de droit, alors même que cette transfusion visait à sauver la vie d'une patiente se trouvant dans une situation d'urgence vitale.
Si la cour administrative d’appel avait estimé que ce manquement engageait la responsabilité de l'hôpital et le mettait dans l'obligation de réparer le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence subis par la patiente, le Conseil d’État a précisé qu’en jugeant qu'un acte médical dont les seules conséquences matérielles avaient été de sauver la vie de la patiente avait pu entraîner pour elle un préjudice indemnisable au titre des troubles dans les conditions d'existence, la cour avait entaché son arrêt d'une erreur de droit qui en justifie, dans cette mesure, l'annulation.
Ainsi, il n’existe pas de lien de causalité direct entre cet acte fautif et les troubles dans les conditions d’existence, seul le préjudice moral doit être réparé.
■ Obligation pour le médecin de sauver la vie et respect de la volonté du patient
Cette décision montre l’importance de plus en plus grande de l’obligation pour le médecin de respecter la volonté du patient même si le pronostic vital est susceptible d'être engagé en raison d'un refus de la personne d’être sauvée. C’est notamment le sens des différentes lois votées depuis plus de deux décennies : loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs; loi « Kouchner » n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ; loi « Léonetti » n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie et loi « Leonetti-Claeys» n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
Référence
■ CE, ass., 26 oct. 2001, n° 198546 A : AJDA 2002. 259, note M. Deguergue ; D. 2001. 3253; RFDA 2002. 146, concl. D. Chauvaux ; ibid. 156, note D. de Béchillon ; RDSS 2002. 41, note L. Dubouis ; RTD civ. 2002. 484, obs. J. Hauser
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