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Droit des obligations
Teneur du devoir de conseil de l'entrepreneur
L’entrepreneur chargé de la pose d'un parquet doit s'informer et conseiller le maître de l'ouvrage sur l'usage auquel il est destiné afin qu'il choisisse le bon matériau.
Civ. 3e, 15 avr. 2021, n° 19-25.748
À l’obligation essentielle d’exécuter la prestation demandée, incombe à l’entrepreneur une obligation accessoire : celle de conseiller son client.
En dehors des contrats d’entreprise dont l’objet principal est précisément de conseiller le client (conseil en organisation d’entreprise par exemple), incombe dans tous les autres cas à l’entrepreneur une obligation de conseil, même secondaire. Celle-ci puise son origine dans le devoir général d’information dégagé par la jurisprudence et trouve dans le contrat d’entreprise un terrain d’élection. Plombiers, teinturiers, architectes, garagistes, notaires, avocats, médecins…, tous sont tenus en vertu du contrat d’entreprise qui les obligent, quel qu’en soit le contenu, de conseiller leur client sur les modalités, enjeux, risques et conséquences de la prestation qui constitue l’objet du contrat (v. P. Puig, Contrats spéciaux, Dalloz, 8e éd., n° 864). En particulier, le maître d’œuvre doit à ce titre s’informer des souhaits du maître de l’ouvrage et lui conseiller le choix des matériaux les plus appropriés pour y répondre. Un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation illustre une nouvelle fois les contours du devoir d’information et de conseil de l’entrepreneur, portant en l’occurrence sur le choix des matériaux de construction d’un immeuble en l’état futur d’achèvement (v. déjà, Civ. 1re, 7 févr. 2006, n° 03-17.786 ; Civ. 3e, 20 nov. 2007, n° 06-18.404 ; Civ. 3e, 4 juill. 2007 n° 06-14.761).
En l’espèce, dans le cadre d’une vente d’un immeuble en l’état futur d’achèvement (VEFA), une entreprise attributaire d’un lot « sols souples parquets » avait dû procéder à la dépose et au remplacement du parquet à la demande des acquéreurs. Après la réalisation et la réception des travaux, les acheteurs ayant pris possession de leur bien s’étaient plaints de retards de livraison et de désordres affectant le nouveau parquet. Ils avaient en conséquence assigné en indemnisation le maître de l’ouvrage qui, de son côté, avait appelé l’entrepreneur en intervention forcée, mettant en cause sa responsabilité contractuelle pour manquement à son devoir de conseil. Sa demande a été rejetée par la cour d’appel au motif que le choix du modèle du parquet provenait de son fait exclusif et qu’aucun défaut de pose ou d’exécution n’était imputable à l’entrepreneur.
L’arrêt est cassé pour manque de base légale au regard de l’ancien article 1147 du Code civil (devenu 1231-1), fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, au motif que la juridiction d’appel n’avait pas recherché, comme il le lui avait pourtant été demandé, si l’entrepreneur n’avait pas manqué à son « devoir d’information et de conseil sur le parquet choisi au regard de l’usage auquel il était destiné », alors même qu’elle avait constaté que le parquet litigieux, à l’instar de celui remplacé, se dégradait anormalement vite et était, de surcroît, inadapté aux lieux de vie de son client. Partant, elle ne pouvait exonérer l’entrepreneur au motif principal que le choix du modèle lui avait été imposé par le maître de l’ouvrage. En effet, l’objet même de son devoir de conseil supposait, dans une telle hypothèse, qu’il proposât un autre type de modèle, objectivement comme subjectivement préférable, au regard de la fiabilité du matériau utilisé ainsi que de l’usage qu’entendait en faire son client. Ainsi l’entrepreneur chargé de la pose d’un parquet choisi par le maître de l’ouvrage ne peut-il se contenter d’exécuter simplement cette mission : il doit aussi, préalablement, s’informer de l’usage souhaité par le maître de l’ouvrage et le conseiller sur le choix d’un parquet le plus conforme à l’utilisation escomptée.
À l’instar du vendeur professionnel (v. not. Civ. 1re, 11 déc. 2013, n° 12-23.372), l’entrepreneur, pour correctement exécuter son obligation d’information et de conseil, ne peut donc se limiter à transmettre à son client des informations d’ordre général, des informations « fongibles » qu’il communiquerait mécaniquement à tous ses cocontractants, quels qu’ils soient. Il doit autrement remplir son devoir de conseil en personnalisant les informations délivrées à son client. Ainsi, en l’espèce, devait-il tenir compte de la configuration spécifique des lieux (les « lieux de vie » du client) et de ses souhaits personnels (« au regard de l’usage auquel il était destiné »). À cet égard, la Cour de cassation s’inscrit dans une séquence jurisprudentielle particulièrement dense qui impose à tout débiteur d’un devoir de conseil, par essence subjectif, l’obligation d’adapter ses recommandations à la situation personnelle, globalement entendue, de celui auquel elles sont délivrées. Quelle que soit la nature, contractuelle ou extracontractuelle (retenue pour certaines professions : notaires, avocats, médecins etc.), de cette obligation, le conseil donné doit invariablement être personnalisé, profilé, adapté aux besoins et aux attentes de son cocontractant, que le débiteur de cette obligation, notamment l’entrepreneur, est donc en charge de déceler. Autrement dit, le devoir de conseil se révèle indissociable d’un devoir d’investigation : en l’occurrence, l’entrepreneur aurait dû s’enquérir de la situation et des intentions de son client pour exécuter valablement l’obligation de conseil qui lui incombait. Le devoir de conseiller implique ainsi le devoir de se renseigner qui rompt avec la logique traditionnellement libérale du droit des contrats. C’est notamment pour tempérer la rigueur de cette solution que la jurisprudence assure, sur le terrain probatoire, la protection de tout créancier d’une obligation d’information et de conseil en renversant la charge de la preuve de son exécution, censée lui incomber (v. not., l’arrêt de ppe, Civ. 1re, 25 févr. 1997, n° 94-19.685 ; Civ. 1re, 15 mai 2002, n° 99-21.521). Par dérogation à l’article 1353 alinéa 1er du Code civil, c’est donc le débiteur de l’obligation d’information et de conseil qui endosse le fardeau de la preuve, étant précisé que cette jurisprudence est désormais légalement consacrée en droit commun des contrats à l’article 1112-1, alinéa 4, du Code civil, depuis l’ordonnance du 10 février 2016.
Références :
■ Dalloz coaching : l’obligation d’information
■ Civ. 1re, 7 févr. 2006, n° 03-17.786
■ Civ. 3e, 20 nov. 2007, n° 06-18.404
■ Civ. 3e, 4 juill. 2007 n° 06-14.761 P: D. 2007. 2103 ; RDI 2007. 440, obs. P. Malinvaud
■ Civ. 1re, 11 déc. 2013, n° 12-23.372: DAE 28 janv. 2014, note Merryl Hervieu, RTD com. 2014. 176, obs. B. Bouloc
■ Civ. 1re, 25 févr. 1997, n° 94-19.685 P: D. 1997. 319, obs. J. Penneau ; RDSS 1997. 288, obs. L. Dubouis ; RTD civ. 1997. 434, obs. P. Jourdain ; ibid. 924, obs. J. Mestre
■ Civ. 1re, 15 mai 2002, n° 99-21.521 P : D. 2002. 1811 ; RTD civ. 2003. 84, obs. J. Mestre et B. Fages
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