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Contrats spéciaux
Théorie de l’apparence ou la limite de l’adage nemo plus juris…
Mots-clefs : Immeuble, Vente, Lésion, Nullité, Droit de propriété, Théorie de l’apparence, Bonne foi, Erreur commune
Conséquence directe de la théorie de l’apparence, les époux de bonne foi qui ont acquis un bien immobilier sous l’empire d’une erreur commune quant à la qualité du vendeur deviennent immédiatement propriétaires.
L’arrêt ici commenté est l’illustration de deux adages célèbres : nemo plus juris… v. error communis facit jus.
Par acte authentique, un homme a vendu à une femme deux propriétés bâties. Un an après, le vendeur fut placé sous curatelle tandis que l’acheteuse procédait à la revente de l’un des biens immobiliers au profit d’un couple.
Le propriétaire originaire, assisté de sa curatrice, assigna la femme en nullité des ventes pour vileté du prix et appela en cause le couple. Les juges du fond annulèrent les transactions et par voie de conséquence la revente considérant que la venderesse, n’ayant jamais été propriétaire, n’avait pu transmettre la propriété.
Si l’annulation de la vente à bas prix n’a pas été remise en cause du fait de l’existence d’une clause dans le contrat permettant d’échapper totalement au paiement du prix, la troisième chambre civile casse pour défaut de base légale le raisonnement des juges du fond au visa de l’article 1599 du Code civil en appliquant à l’espèce la théorie de l’apparence et de l’erreur commune.
Pour expliquer cette solution, revenons sur les faits ayant provoqué une telle situation.
En l’espèce, le propriétaire originaire a intenté une action en rescision pour lésion (art. 1674 C. civ.). On rappellera brièvement que cette action ne peut être invoquée que par le vendeur d’un bien immobilier dans un délai de 2 ans à compter du jour de la vente (art. 1676 C. civ.) et que la lésion doit excéder les 7/12e de la valeur de l’immeuble (art. 1675 C. civ.). L’acquéreur dispose alors de deux options : rendre le bien immeuble en échange du prix versé (la vente est alors rescindée pour lésion) ou le conserver en versant un complément du prix (art. 1681 C. civ.). Dans cette affaire, l’annulation des ventes engendra alors trois conséquences :
– la femme n’était plus propriétaire des deux biens et, de façon rétroactive, elle n’a jamais eu la qualité de propriétaire ;
– la femme était dans l’impossibilité de rendre la seconde propriété bâtie puisqu’elle l’avait revendue ;
– et, par ricochet, les juges du fond avaient annulé la revente pour défaut de qualité du vendeur. En effet, selon l’adage nemo plus juris : la vente de la chose d’autrui est nulle. Le vendeur apparent n’ayant pas de droit sur le bien, le transfert du droit de propriété ne peut alors s’opérer.
En théorie, seul l’acheteur peut agir en nullité de la vente de la chose d’autrui (art. 1599 C ; civ.) : la sanction est alors la nullité relative. Le propriétaire, quant à lui, peut exercer une action en revendication qui pourra toutefois être mise en échec si les acheteurs invoquent la propriété apparente qui repose sur deux conditions :
– la bonne foi de l’acquéreur qui suppose qu’il n’avait pas connaissance que le vendeur n’était pas le véritable propriétaire du bien (art. 1134, al. 3, 2274 et 2275 C. civ.) ;
– l’erreur commune au moment de l’acquisition qui sous-entend la croyance partagée par tous de la qualité de propriétaire du vendeur.
Cette théorie protège donc les tiers victimes des apparences (en l’espèce, le couple) et sécurise ainsi pour l’avenir la transaction puisque l’acte de vente ne peut être remis en cause. Le droit de propriété est transféré immédiatement : il est non la conséquence de l’effet translatif de la vente mais celle de l’apparence.
La Haute cour applique donc cette théorie à l’espèce et réfute donc le raisonnement par ricochet des juges du fond : la première vente ayant été signée par acte authentique, la femme disposait (en apparence) d’un droit réel sur le bien immeuble (droit de propriété) et pouvait donc le céder librement (art. 544 C. civ.) au couple dont la bonne foi est présumée (art. 2274 C. civ.). Quant à l’erreur commune, elle était partagée par l’acheteur mais aussi par le notaire qui, engageant sa responsabilité en qualité d’officier ministériel, avait dû vérifier la qualité du titre de propriété avant de procéder à la vente et conférer ainsi l’authenticité de l’acte.
Civ. 3e, 6 sept. 2011, nos 10-20.412, 10-21.318
Références
■ P. Puig, Contrats spéciaux, 4e éd., Dalloz, coll. « HyperCours », 2011, n°228 s. (vente de la chose d’autrui) et n°275 s. (lésion).
[Droit civil/Procédure civile]
« Écrit établi par un officier public (notaire par ex.), sur support papier ou électronique, et dont les affirmations font foi jusqu’à inscription de faux et dont les grosses, revêtues de la formule exécutoire, sont susceptibles d’exécution forcée.
Lorsqu’il est établi par un notaire, l’acte authentique est dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi, sauf disposition contraire expresse.
Un acte reçu en la forme authentique par un notaire est nécessaire pour l’accomplissement des formalités de publicité foncière. »
[Droit civil/Procédure civile]
« Action réelle, dite pétitoire, donnée au propriétaire contre qui détient indûment son bien et refuse de le restituer en contestant son droit. Aboutit, en cas de succès, à la reconnaissance du droit de propriété et à la restitution du bien en cause. Cette action est imprescriptible. »
[Droit civil/Droit commercial]
« État d’une situation qui se présente sur la scène juridique de façon déformée.
La situation juridique apparente peut même être, en réalité, inexistante. Des motifs de sécurité juridique inclinent parfois à déduire des conséquences juridiques d’une situation apparente (héritier apparent, mandataire apparent), afin de permettre aux tiers qui ont légitimement cru en cette situation, de s’en prévaloir. »
[Droit civil]
« Selon la théorie classique, droit réel principal conférant à son titulaire, le propriétaire, toutes les prérogatives sur le bien, objet de son droit; traditionnellement on distingue 3 prérogatives : l’usus, l’abusus et le fructus. Le droit de propriété constitue lui-même un bien.
Pour certains auteurs toutefois, il désigne non un bien, mais la relation d’exclusivité qui existe entre chaque bien et la personne à laquelle il appartient. »
[Droit général]
« Littéralement : une erreur commune fait le droit.
Il est des cas où une croyance commune provoque des conséquences juridiques pourtant contraires au droit. Tel est le cas pour l’héritier apparent. »
[Droit civil]
« Préjudice contemporain de l’accord de volonté résultant de la différence de valeur entre les prestations d’un contrat synallagmatique ou entre les lots attribués à des copartageants. Elle ouvre une action en réscision ou en complément de part.
La simple lésion donne lieu à rescision en faveur du mineur non émancipé contre toutes sortes de conventions, alors que pour les majeurs, elle n’est prise en considération que dans certains contrats et qu’à un certain taux (par ex., sept douzièmes dans la vente). »
■ Nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet
[Droit civil]
Littéralement : « une personne ne peut transférer à autrui plus de droits qu’elle n’en a elle-même ». Adage souvent cité par ses 3 premiers mots.
[Droit civil]
« Officier public et officier ministériel chargé de conférer l’authenticité aux actes instrumentaires et de conseiller les particuliers. Il est tenu de s’assurer de l’efficacité de l’acte auquel il prête son concours et doit veiller à l’accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l’exécution.
La profession de notaire peut être exercée à titre individuel ou à titre d’associé, dans le cadre d’une société d’exercice libéral (SEL), d’une société civile professionnelle. Elle peut l’être également en qualité de salarié d’une personne morale ou physique titulaire d’un office. »
Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
■ Code civil
« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi. »
« La vente de la chose d'autrui est nulle : elle peut donner lieu à des dommages-intérêts lorsque l'acheteur a ignoré que la chose fût à autrui. »
« Si le vendeur a été lésé de plus de sept douzièmes dans le prix d'un immeuble, il a le droit de demander la rescision de la vente, quand même il aurait expressément renoncé dans le contrat à la faculté de demander cette rescision, et qu'il aurait déclaré donner la plus-value. »
« Pour savoir s'il y a lésion de plus de sept douzièmes, il faut estimer l'immeuble suivant son état et sa valeur au moment de la vente.
En cas de promesse de vente unilatérale, la lésion s'apprécie au jour de la réalisation. »
« La demande n'est plus recevable après l'expiration de deux années, à compter du jour de la vente.
Ce délai court contre les femmes mariées et contre les absents, les majeurs en tutelle et les mineurs venant du chef d'un majeur qui a vendu.
Ce délai court aussi et n'est pas suspendu pendant la durée du temps stipulé pour le pacte du rachat. »
« Dans le cas où l'action en rescision est admise, l'acquéreur a le choix ou de rendre la chose en retirant le prix qu'il en a payé, ou de garder le fonds en payant le supplément du juste prix, sous la déduction du dixième du prix total.
Le tiers possesseur a le même droit, sauf sa garantie contre son vendeur. »
« La bonne foi est toujours présumée, et c'est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver. »
« Il suffit que la bonne foi ait existé au moment de l'acquisition. »
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