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Droit des personnes
Titeuf est un prénom contraire à l’intérêt de l’enfant !
Mots-clefs : Prénom, Choix, Intérêt de l’enfant
L'intérêt de l'enfant constitue un principe supérieur à la liberté des parents de choisir son prénom.
Amateurs de bandes dessinées s’abstenir ! Titeuf est un prénom contraire à l’intérêt de l’enfant ! C’est ce que vient d’affirmer la Cour de cassation, qui a pourtant peu l’occasion de se prononcer sur ce type d’affaires, souvent limitées à l’examen des juges du fond. En l’espèce, des parents choisissent de prénommer leur enfant Titeuf, héros bien connu d’une bande dessinée. L’officier d’état civil, par principe tenu de transcrire le prénom choisi par les parents, décide néanmoins d’exploiter le « droit de veto » que lui offre la loi en cas de contrariété du choix du prénom exprimé par les parents à l’intérêt de l’enfant ; l’article 57 alinéa 3 du Code civil prévoit qu’en ce cas, l’officier d’état civil doit aviser le procureur de la République qui peut alors, s’il juge la démarche fondée, saisir lui-même le juge aux affaires familiales. Ce dernier, s’il estime que le prénom n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant (ou qu’il méconnaît le droit des tiers à voir protéger leur nom de famille), en ordonne la suppression sur les registres d’état civil. Dans cette affaire, une telle injonction est prononcée. Les parents interjettent appel, en vain (Versailles, 7 oct. 2010). Confirmatif, l’arrêt retient que l'association du prénom Titeuf au personnage de préadolescent naïf et maladroit risque de constituer un réel handicap pour l'enfant devenu adolescent puis adulte, tant dans ses relations personnelles que professionnelles. Tenaces, les parents se pourvoient en cassation, reprochant d’une part aux juges du fond d’avoir rompu, par une appréciation subjective du prénom choisi, le principe d’égalité devant la loi que seule la prise en compte de critères objectifs serait à même de garantir, d’autre part, de ne pas avoir justifié la prétendue contrariété à l’intérêt de l’enfant du choix d’un tel prénom, notamment au regard de la tolérance déjà exprimée sur le choix de prénoms issus de personnages de bande dessinée. Ainsi la cour d’appel aurait-elle violé l’article 57 du Code civil, l’article 3 de la convention de New York relative aux droits de l’enfant et l’article 8 de la Conv. EDH, consacrant le droit au respect de la vie privée. À la question de savoir si un prénom emprunté à un célèbre héros de bande dessinée au caractère affable mais propice à la moquerie doit être refusé, la première chambre civile répond par l’affirmative, soutenant le pouvoir d’appréciation souveraine des juges du fond, acquis en la matière.
Évidemment excentrique, le choix du prénom Titeuf n’encourait pourtant pas obligatoirement la censure. En effet, le choix du prénom est désormais régi par un principe de liberté. Si jadis, le législateur imposait que le choix des parents se limitât aux prénoms calendaires ou connus de l’histoire ancienne, une loi du 8 janvier 1993 a consacré le principe de liberté de choix du prénom revendiqué par un certain nombre de parents. Et avant même qu’un tel désir de liberté trouvât un écho chez le législateur, la pratique s’était instaurée, conformément à l’évolution des mœurs, d’admettre des prénoms ne figurant pas dans les sources prescrites ; ainsi, seuls les prénoms de pure fantaisie susceptibles de nuire aux intérêts de l’enfant se trouvaient, en fait, refusés. Au soutien de ce mouvement de libéralisation, outre la revendication des parents, le déclin du rôle du prénom se révéla déterminant : élément principal d’identification sociale d’une personne dans l’ancien droit, le prénom est devenu un moyen d’identification essentiellement familiale. Dans ce cadre, son choix ne devrait pouvoir être contesté que de façon tout à fait exceptionnelle. Ainsi « Zébulon » (Besançon, 18 nov. 1999) ou « Tokalie » (Caen, 30 avr. 1998) ont-ils trouvé grâce aux yeux des juges au motif qu’ils n’avaient pas d’apparence ridicule ou péjorative. Mais ce n’est pas la première fois que les juges manifestent une certaine résistance : avant « Titeuf », « Ravi » (Civ. 1re, 5 juin 1993) et « Folavril » (Rennes, 4 nov. 1996) avaient également été refusés. Une certaine inconséquence des parents n’est donc pas toujours sans conséquences juridiques…
Civ. 1re, 15 févr. 2012, n° 10-27.512 et 11-19.963
Références
« L'acte de naissance énoncera le jour, l'heure et le lieu de la naissance, le sexe de l'enfant, les prénoms qui lui seront donnés, le nom de famille, suivi le cas échéant de la mention de la déclaration conjointe de ses parents quant au choix effectué, ainsi que les prénoms, noms, âges, professions et domiciles des père et mère et, s'il y a lieu, ceux du déclarant. Si les père et mère de l'enfant ou l'un d'eux ne sont pas désignés à l'officier de l'état civil, il ne sera fait sur les registres aucune mention à ce sujet.
Les prénoms de l'enfant sont choisis par ses père et mère. La femme qui a demandé le secret de son identité lors de l'accouchement peut faire connaître les prénoms qu'elle souhaite voir attribuer à l'enfant. A défaut ou lorsque les parents de celui-ci ne sont pas connus, l'officier de l'état civil choisit trois prénoms dont le dernier tient lieu de nom de famille à l'enfant. L'officier de l'état civil porte immédiatement sur l'acte de naissance les prénoms choisis. Tout prénom inscrit dans l'acte de naissance peut être choisi comme prénom usuel.
Lorsque ces prénoms ou l'un d'eux, seul ou associé aux autres prénoms ou au nom, lui paraissent contraires à l'intérêt de l'enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, l'officier de l'état civil en avise sans délai le procureur de la République. Celui-ci peut saisir le juge aux affaires familiales.
Si le juge estime que le prénom n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant ou méconnaît le droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, il en ordonne la suppression sur les registres de l'état civil. Il attribue, le cas échéant, à l'enfant un autre prénom qu'il détermine lui-même à défaut par les parents d'un nouveau choix qui soit conforme aux intérêts susvisés. Mention de la décision est portée en marge des actes de l'état civil de l'enfant. »
■ Article 3 de la convention de New York
« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
2. Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.
3. Les États parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié. »
■ Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
■ Versailles, 7 oct. 2010, AJ fam. 2011. 53, obs. Chénedé.
■ Besançon, 18 nov. 1999, D. 2001. 1133, note Philippe.
■ Caen, 30 avr. 1998, RTD civ. 1999. 813, obs. Hauser.
■ Civ. 1re, 5 juin 1993, Defrénois 1993.1359, obs. J. Massip.
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