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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Tous les garçons et les filles dans la même piscine!
Mots-clefs : Liberté de religion, Obligation scolaire, Cours de natation mixtes, Intérêt privé, Intégration, Ingérence, Société démocratique, Cour européenne des droits de l’homme
L’obligation pour des enfants de suivre intégralement leur scolarité et la réussite de leur intégration priment sur l’intérêt privé de parents soucieux de voir leurs filles dispensées de cours de natation pour des raisons religieuses.
Un couple de ressortissants suisses, résident à Bâle, également titulaire de la nationalité turque, fervent pratiquant de la religion musulmane, refusa que leurs deux fillettes non-pubères puissent participer aux cours de natation mixtes donnés dans le cadre de leur scolarité. Ces cours font partie des cours obligatoires et la législation du canton de Bâle-Ville permet une dispense uniquement pour les élèves pubères. Les parents furent alors informés qu’ils encouraient une amende en cas de non-respect de l’obligation scolaire. La direction de l’école rencontra de nombreuses fois ces parents à qui il fut notamment proposé le port du burkini pour leurs fillettes et la possibilité de se dévêtir hors de la vue des garçons. Mais aucun accord ne fut possible ce qui aboutit à une amende de 1292 euros pour manquements aux responsabilités parentales. Après avoir épuisé les voies de recours internes, les parents des fillettes saisirent la Cour européenne des droits de l’homme qui a conclu à la non-violation du droit à la liberté de religion (Conv. EDH, art. 9).
La question qui se posait à la Cour européenne des droits de l’homme était de déterminer si le refus de dispenser des fillettes de cours de natation mixtes dans le cadre de l’école primaire obligatoire et les amendes infligées à leurs parents constituaient une ingérence dans le droit à la liberté de religion au sens de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Existe-t-il une ingérence ?
Selon la Cour, le cas d’espèce présente une situation où le droit des requérants de manifester leur religion est en jeu. Ils sont titulaires de l’autorité parentale et disposent donc de l’éducation religieuse de leurs enfants. A ce titre, ils peuvent se prévaloir de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. De plus, ils ont subi une ingérence effective dans l’exercice de leur droit à la liberté de religion protégée par cet article.
Cette ingérence a-t-elle un but légitime ?
Pour la Cour, l’obligation de suivre des cours de natation mixtes à l’école primaire a pour objectif l’intégration des enfants étrangers des différentes cultures et religions, le bon déroulement de l’enseignement, le respect de la scolarité obligatoire et l’égalité entre les filles et les garçons. L’idée est essentiellement de protéger les élèves étrangers contre toute exclusion sociale. Cette mesure poursuit donc un but légitime au sens de l’article 9 § 2 de la Convention (protection des droits et liberté d’autrui et protection de l’ordre).
Cette ingérence est-elle nécessaire dans une société démocratique ?
La Cour caractérise une société démocratique par le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture. La démocratie ne peut se résumer à la suprématie de l’opinion constante d’une majorité mais il convient qu’il existe un équilibre permettant aux individus minoritaires de recevoir un traitement juste afin d’éviter tout abus de position dominante (CEDH, 26 avr. 2016, İzzettin Doğan et a. c/ Turquie, n° 62649/10, § 103). Par ailleurs, les dispositions de l’article 9 de la Convention ne sont pas protectrices de tous les actes motivés par la religion et n’impliquent pas toujours le droit de se comporter d’une manière dictée ou inspirée par des convictions religieuses dans le domaine public (CEDH, gr. ch., 10 nov. 2005, Leyla Şahin c/ Turquie, n 44774/98, § 105 et 121). Enfin, il n’existe pas à travers toute l’Europe de conception uniforme de la signification de la religion. Ainsi, la réglementation peut être différente selon les pays. Il appartient alors à la Cour de statuer en tenant compte de la marge d’appréciation importante existant dans les différents États concernant notamment l’impact de la religion sur l’instruction publique.
En l’espèce, la Cour devait déterminer si le refus des autorités suisses de dispenser les deux fillettes des cours de natation mixtes était nécessaire dans une société démocratique, proportionné aux buts poursuivis par les autorités. La cour rejette les divers arguments des requérants. Les parents des fillettes soutenaient notamment qu’il existait uniquement un tout petit nombre de demandes dispenses des cours de natation en raison de la religion musulmane. Mais la Cour considère qu’il est de l’intérêt des enfants de suivre une scolarisation complète et non pas « à la carte » selon la religion. Ainsi, l’intégration sociale prime sur le souhait des parents. De plus, le fait que les fillettes suivent des cours de natation en dehors du cadre scolaire ne peut justifier de les dispenser de ces cours pendant le temps scolaire. En effet, il ne s’agit pas uniquement pour les enfants de pratiquer cette activité mais également de l’apprendre et de la pratiquer ensemble. Dispenser les enfants qui suivent des cours de natation privés crée également une inégalité dans l’enseignement obligatoire entre les enfants dont les parents ont les moyens financiers et ceux dont les parents ne peuvent se le permettre.
In fine, la « Cour estime que, en faisant primer l’obligation pour les enfants de suivre intégralement la scolarité et la réussite de leur intégration sur l’intérêt privé des requérants de voir leurs filles dispensées des cours de natation mixtes pour des raisons religieuses, les autorités internes n’ont pas outrepassé la marge d’appréciation considérable dont elles jouissaient dans la présente affaire, qui porte sur l’instruction obligatoire. » (§ 105.).
CEDH, 10 janvier 2017, Osmanoğlu et Kocabaş c/ Suisse, n° 29086/12
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 9
« Liberté de pensée, de conscience et de religion. 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
■ CEDH, 26 avr. 2016, İzzettin Doğan et a. c/ Turquie, n° 62649/10.
■ CEDH, gr. ch., 10 nov. 2005, Leyla Şahin c/ Turquie, n 44774/98, AJDA 2006. 315, note G. Gonzalez ; ibid. 2005. 2149 ; ibid. 2006. 466, chron. J.-F. Flauss ; D. 2006. 1717, obs. J.-F. Renucci.
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