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[ 26 mai 2022 ] Imprimer

Procédure pénale

Traduction du jugement de révocation du sursis probatoire et de sa notification pour l’exercice des droits de la défense

Le jugement de révocation d’un sursis probatoire et sa notification qui informe le condamné des modalités d’exercice des voies de recours sont des pièces essentielles de la procédure qui supposent d’être traduites dans une langue comprise par le condamné pour garantir l’exercice des droits de la défense et le procès équitable. Faute de traduction, le délai d’appel ne peut commencer à courir.

Crim. 23 mars 2022, n° 21-83.064 B

Le demandeur au pourvoi a été condamné en 2019 à huit mois d’emprisonnement assorti d’un sursis probatoire pendant deux ans. Le juge d’application des peines a ordonné la révocation totale de ce sursis le 30 octobre 2020 et ce jugement a été notifié le lendemain. Le condamné a interjeté appel le 18 novembre 2020 alors que le délai d’appel était de 10 jours (C. pr. pén., art. 712-11). La chambre de l’application des peines a déclaré cet appel irrecevable par un arrêt d’avril 2021 estimant que l’appelant avait dépassé le délai pour exercer cette voie de recours sans apporter la preuve de l’existence d’un obstacle invincible assimilable à la force majeure. En effet, selon les juges du fond, ne pas savoir lire le français n’implique pas nécessairement l’impossibilité de se conformer au délai légal d’appel, d’autant plus qu’en l’espèce le condamné savait qu’il était suivi par le juge d’application des peines (JAP) et s’était préalablement rendu à sa convocation devant lui. La chambre de l’application des peines a rappelé que c’est à celui qui invoque un obstacle insurmontable de prouver l’impossibilité absolue de respecter le délai légal en apportant des éléments concrets, le fait de ne pas parler français n’étant pas en soi une preuve de cette impossibilité absolue.

La Cour de cassation n’a pas suivi le raisonnement et considéré que l’absence de traduction du jugement et de sa notification était une cause de suspension du point de départ en ce qu’il s’agit de pièces essentielles à l’exercice des droits de la défense. Pour les juges du droit, l’article préliminaire du Code de procédure pénale (et en filigrane, Conv. EDH, art. 6) implique que la personne qui se voit notifier la révocation du sursis puisse avoir connaissance des modalités d’exercice des voies de recours sans avoir à traduire par elle-même le contenu des pièces de la procédure. Le condamné doit être mis en mesure d’exercer une voie de recours conformément à ses modalités légales sans être confronté à la barrière de la langue. Tout défaut de traduction de ces pièces essentielles à la procédure conduit à ce que le délai d’appel ne commence à courir.

Le sursis probatoire est une modalité d’exécution de la peine d’emprisonnement, créé par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 (n° 2019-222), et résultant de la fusion du sursis avec mise à l’épreuve, du sursis avec travail d’intérêt général et de la contrainte pénale. Il conduit à soumettre le condamné, sous le contrôle du JAP, à des mesures de contrôle et à des obligations particulières qui lui sont spécialement imposées (C. pr. pén., art. 739 s.). En contrepartie, il est sursis à l’exécution de la peine privative de liberté. Toutefois, si le condamné commet une nouvelle infraction ou ne respecte pas ses obligations ou mesures de contrôle pendant le délai d’épreuve, la révocation totale ou partielle peut-être ordonnée (C. pr. pén., art. 742), au terme d’une procédure contradictoire (C. pr. pén., art. 712-6). La révocation du sursis probatoire conduisant à l’incarcération du condamné, le jugement du JAP peut faire l’objet d’un appel devant la chambre d’application des peines (C. pr. pén., art. 712-11 s.). À défaut d’appel ou si celui-ci est déclaré irrecevable, la peine d’emprisonnement est mise à exécution.

On comprend l’enjeu en l’espèce pour le condamné qui espère rediscuter de la révocation devant les juges d’appel et obtenir qu’elle ne soit pas ordonnée. Cependant, dans cette affaire, l’appelant ne s’est pas conformé au délai légal d’appel. Il invoque, afin que son appel soit déclaré recevable, le fait que ne comprenant pas le français, il n’avait pas été mis en mesure d’exercer cette voie de recours dans le délai de 10 jours imparti. Or, la jurisprudence retient qu’ « il peut être dérogé aux prescriptions de l'article 712-11 du code de procédure pénale, lorsqu'en raison d'un obstacle invincible assimilable à la force majeure, l'appelant s'est trouvé dans l'impossibilité absolue de s'y conformer » (Crim. 12 nov. 2009, n° 09-82.946). Appliquée particulièrement en matière d’appel des ordonnances du JAP par les personnes détenues confrontées aux contraintes pénitentiaires, cette jurisprudence l’est aussi en matière d’appel des ordonnances du juge d'instruction ou du juge des libertés et la détention près de la chambre de l'instruction (v. L. Saenko, « De l’art de compter en procédure pénale », AJ pénal 2017. 156).

Mais la mise en œuvre de cette jurisprudence, qui concernait jusque-là l’appel des ordonnances (et non des jugements) et s’expliquait par la brièveté du délai de 24 heures (et non de 10 jours), semblait impliquer que l’appelant démontre en quoi il avait été dans l’impossibilité absolue de se conformer au délai d’appel.

L’espèce est intéressante d’une part, par la reconnaissance d’un obstacle à l’appel dans le délai de 10 jours et, d’autre part, en ce que la Cour de cassation affirme que l’absence de traduction d’une pièce essentielle de procédure est en soi un obstacle. Il suffit alors de prouver que le jugement et la notification de celui-ci à une personne ne comprenant pas le français n’ont pas été traduits pour entraîner une suspension du point de départ du délai d’appel. La nature juridique de l’obstacle invincible est ainsi précisée par cette décision de cassation qui affirme « que ce défaut de traduction n’avait pas fait courir le délai d’appel ».

En conséquence, l’appel est en l’espèce recevable et le condamné pourra à nouveau, comme il l’espérait, discuter de la révocation de son sursis probatoire dans l’espoir d’éviter une incarcération.

Références :

■ Crim. 12 nov. 2009, n° 09-82.946 P : AJ pénal 2010. 87, obs. M. Herzog-Evans.

 

Auteur :Catherine Ménabé


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