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[ 8 avril 2021 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Transaction : un contrat hybride

Par un arrêt en date du 4 mars 2021, la Cour de cassation rappelle, au visa des articles 1103 et 2052 du Code civil, qu’à la transaction conclue entre la victime et l’assureur est attachée l’autorité de chose jugée qui rend impossible la contestation postérieure de l’indemnisation des postes de préjudices autres qu’initialement prévus et sans lien direct avec l’accident.

Civ. 2e, 4 mars 2021, n° 19-16.859

Si la transaction se présente comme un contrat dans sa formation, elle constitue également un jugement dans ses effets. 

C’est ce que vient de rappeler la Cour de cassation dans l’arrêt rapporté pour refuser à la victime d’un accident de la circulation d’accéder à sa demande d’indemnisation complémentaire, au motif que la transaction qu’elle avait passée avec l’assureur du responsable de son dommage, assortie de l’autorité de la chose jugée, n’incluait pas les préjudices nouveaux dont elle demandait la réparation.

Par la signature successive de plusieurs protocoles transactionnels, la victime d’un accident de la circulation avait été indemnisée de ses multiples dommages corporels par l’assureur du conducteur du véhicule impliqué dans l’accident. L’un de ces protocoles, signé en 2007, avait prévu d’indemniser son besoin d’être assistée par une tierce personne par le versement d’une rente mensuelle d’un montant de 3 420 euros devant couvrir les frais dus à l’établissement hospitalier que la victime occupait alors, ainsi que par l’allocation d’une rente trimestrielle de 625 euros, au titre des frais d’assistance lors des retours de la victime à son domicile. Un rapport d’expertise médicale établi le 5 août 2015 avait ensuite fait mention de l’aggravation de l’état de santé de la victime, due à l’apparition d’une pathologie nouvelle qui était toutefois sans lien avec son accident de circulation. C’est pourtant à l’appui de cette expertise, dont les résultats l’avaient conduit à projeter un changement de son lieu de vie, que la victime avait assigné l’assureur du conducteur responsable de son accident en indemnisation de ces préjudices nouveaux, non inclus dans la transaction de 2007.

La Cour d’appel accueillit sa demande, en accordant en lieu et place des sommes versées au titre de la transaction de 2007 une rente mensuelle de 17 877 euros exigible à compter du 1er août 2016, celle-ci ayant pour but de couvrir l’actuel besoin de la victime, qui souhaitait regagner son domicile, d’une assistance quotidienne et permanente. Les juges du fond avaient ainsi statué sans référence à la somme mentionnée dans le procès-verbal de transaction de 2007, tenant compte uniquement de « la modification substantielle de la situation de la victime » qui, en raison de l’apparition d’une nouvelle pathologie, souhaitait regagner son domicile, ce qui rendait selon eux caduc le protocole transactionnel, conditionné à la présence de sa signataire dans une structure médicalisée. 

L’assureur du conducteur forma un pourvoi en cassation au moyen que les transactions ayant, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort, la cour d’appel, en ayant refusé de limiter aux seuls nouveaux besoins de la victime l’indemnisation qu’elle allouait, et ainsi procédé à une réévaluation de ses besoins antérieurs qui avaient pourtant été définitivement évalués et liquidés en 2007, aurait méconnu l’autorité attachée à cette transaction, violant ainsi les articles 1134, devenu 1103, et 2052 du Code civil.

Les juges de cassation approuvent la thèse du pourvoi, au visa des articles 1103 et 2052 du Code civil. Selon ces textes, affirme la Cour, « la réparation du dommage est définitivement fixée à la date à laquelle une transaction est intervenue, celle-ci faisant obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet ». Ainsi, en procédant à une nouvelle évaluation des besoins au titre de la tierce personne de (la victime), sans tenir compte, pour évaluer ses nouveaux besoins liés à son changement de situation, de ceux déjà définitivement évalués et indemnisés par la transaction de 2007, (…), la cour d’appel a méconnu l’autorité de la chose jugée y étant attachée et violé les textes susvisés » 

L’article 2044 alinéa premier du Code civil définit la transaction comme le « contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître ». Ce contrat suppose donc la présence de deux éléments constitutifs : des concessions réciproques des parties (élément objectif), ainsi que leur volonté de mettre fin au litige (élément subjectif). En conséquence, « la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet » (C. civ., art. 2052). Toutefois, cette définition est renouvelée, en défaveur de la victime, lorsqu’elle trouve à s’appliquer aux accidents de circulation, la Cour de cassation ayant posé le principe selon lequel la transaction conclue dans le cadre de la loi Badinter ne peut, par dérogation au droit commun, être remise en cause en raison de l’absence de concessions réciproques : « La loi du 5 juillet 1985 instituant un régime d'indemnisation en faveur des victimes d'accidents de la circulation, d'ordre public, dérogatoire au droit commun, qualifie de transaction la convention qui se forme lors de l'acceptation par la victime de l'offre de l'assureur et (...) cette transaction ne peut être remise en cause à raison de l'absence de concessions réciproques » (Civ. 2e, 16 nov. 2006, n° 05-18. 631). En rendant dans ce cas indifférent l’élément objectif principal constitutif de la transaction, la Cour de cassation met l’accent sur l’effet extinctif de la transaction ce qui, dans le cadre de la loi Badinter, n’est pas sans incidence.

En effet, la particularité des transactions en matière d’accidents de circulation se manifeste aussi dans les effets qui en résultent concernant l’indemnisation de la victime. L’effet extinctif de la transaction faisant courir le risque à la victime, en cas d’aggravation de son état de santé postérieure à sa conclusion, d’être privée de toute indemnisation complémentaire, l’article L. 211-19 du Code des assurances prévoit, à l’effet d’éviter des situations contraires au but même poursuivi par la loi Badinter, que « (l)a victime peut, dans le délai prévu par l'article 2226 du Code civil [dix ans], demander la réparation de l'aggravation du dommage qu'elle a subi à l'assureur qui a versé l'indemnité ». Autrement dit, l’autorité de la chose jugée ne s’applique pas à l’aggravation du préjudice (Civ. 2e, 23 mars 2017, n° 16-15.139), celle-ci étant considérée comme un dommage nouveau permettant de lever l’obstacle de l’autorité de la chose jugée, qui ne vaut qu’en cas d’identité d’objet de l’action judiciaire envisagée. La nouveauté du dommage dont la réparation est demandée doit cependant, pour être obtenue, avoir un lien direct et certain avec l’accident de circulation à l’origine du préjudice originel. Or en l’espèce, l’expertise médicale effectuée avait démontré que la pathologie nouvelle était sans lien avec l’accident. Ainsi, l’article L. 211-19 précité ne pouvait recevoir l’application. Conjuguée à l’absence de grief tiré d’une éventuelle absence de réciprocité des concessions consenties, cette inapplication augurait de l’insuccès de l’action de la victime, d’autant plus que si le protocole transactionnel contenait une clause de révision « en cas de nouvelles modifications de la situation de la victime », notamment en cas d’un départ de l’établissement dans lequel elle résidait à la date de la transaction, cette stipulation n’autorisait nullement la remise en cause des indemnités d’ores et déjà allouées ; elle ouvrait simplement droit au paiement d’une indemnité complémentaire correspondant aux besoins nouveaux. Pourtant, par faveur pour la victime, la cour d’appel avait réévalué l’intégralité de l’indemnisation, y compris au regard des besoins antérieurs définitivement évalués et liquidés en 2007. En vertu de l’autorité de la chose jugée attachée à la transaction comme des faits de l’espèce, la cassation de cette décision est logiquement prononcée, et mérite d’être approuvée. Il va de soi qu’une victime « ne peut demander réparation d’un préjudice qui se trouve déjà compris dans la transaction » (J. Landel, in RGDA 2017, p. 489 s.), de même qu’en vertu des règles générales à l’interprétation du contrat, dès lors que les termes de la transaction étaient précis donc sans équivoque, ceux-ci ne pouvaient être étendus au-delà de leur portée, notamment concernant sa clause de révision, limitée à la possibilité de couvrir les nouveaux besoins éventuels de la victime seulement en cas de modifications de sa situation. L’application de cette clause ne pouvait donc conduire à renouveler rétroactivement l’indemnisation déjà octroyée conformément aux stipulations de la transaction. 

Cette solution illustre cependant la sévérité des effets juridiques de la transaction en général, et en particulier, de celle conclue consécutivement à un accident de la circulation. La transaction est généralement présentée comme un contrat classique, relevant du droit commun contractuel et partant, librement négocié par les parties à l’effet de régler à l’amiable un litige qu’elles veulent soustraire à l’intervention judiciaire. Prévue dès 1804, elle augurait ainsi des désormais célèbres MARC (Modes Alternatifs de Règlement des Conflits). Pour autant, sa spécificité, tirée de l’article 2048 du Code civil, ne doit pas être négligée. Ce texte dispose en effet que « les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ». Cela implique qu’en pratique, une attention toute particulière doit être prêtée à la rédaction de la transaction, dont la teneur va déterminer la possibilité ou non pour la victime d’un accident de la circulation de faire valoir des droits ignorés, méconnus ou tout simplement inexistants à la date de sa conclusion. Autrement dit, même justifiées dans leur principe, les demandes indemnitaires complémentaires de la victime seront jugées irrecevables si elles excèdent les prévisions de la transaction. Toute action nouvelle de la victime se heurtera indiscutablement aux dispositions de l’article 2052 du Code civil qui dispose que « les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort. Elles ne peuvent être attaquées pour cause d’erreur de droit, ni pour cause de lésion ». C’est ainsi que la deuxième chambre civile a récemment rejeté la demande d’une victime d'obtenir l'indemnisation de préjudices nouveaux, en l’occurrence patrimoniaux, au motif qu’ils étaient déjà inclus dans la transaction, dont la rédaction était en l’espèce très large. Selon la Haute cour, l’autorité de chose jugée attachée à la transaction devait naturellement conduire à juger irrecevable sa demande complémentaire d’indemnisation (Civ. 2e, 16 janv. 2020, n° 18-17.677). D’où l’intérêt pour la victime qui transige de veiller aux termes de l’accord conclu pour en mesurer la portée exacte quant aux préjudices énumérés.

Sur ce terrain, la loi Badinter se trouve en quelque sorte prise au piège de son intention bien connue d’améliorer le sort des victimes pour les indemniser le plus rapidement possible par le biais de la transaction. Dès lors, si l’on admet que la transaction en matière d’accidents de circulation est particulière à plus d’un égard, il conviendrait peut-être d’accentuer la logique de la loi Badinter en reconnaissant à la victime le droit d’obtenir l’indemnisation de ses dommages corporels, par principe les mieux protégés, même non inclus dans la transaction. Une solution qui serait favorable à la victime et conforme à l’intention du législateur. L’essentiel des demandes d’indemnisation des accidents de circulation se soldant par un accord transactionnel, l’intérêt pratique de trouver une solution améliorant le sort des victimes se révèle en toute hypothèse devoir être prise en compte. En ce sens, le projet de la réforme de la responsabilité civile permet, dans son article 1262, alinéa 3 du Code civil, à la victime d’un dommage corporel « de demander une indemnisation complémentaire pour tout chef de préjudice résultant de ce même dommage mais non inclus dans la demande initiale ». Encore faudrait-il que ce projet, depuis longtemps en discussion, voie enfin le jour…

 

Auteur :Merryl Hervieu


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