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Droit des obligations
Transaction : un fait juridique opposable par le tiers codébiteur solidaire
Si la transaction est un contrat qui ne peut produire d'effet qu'entre les parties qui l'ont conclue et qu'à ce titre, un tiers ne peut se prévaloir de ses effets, elle constitue pour lui un fait juridique, de sorte que le tiers codébiteur solidaire peut invoquer les engagements contenus dans la transaction intervenue entre le créancier commun et l'un de ses coobligés, dès lors qu'il en résulte pour ce dernier un avantage dont il peut lui-même bénéficier.
Civ. 3e, 6 nov. 2025, n° 24-10.745 B
Prive ainsi de base légale sa décision la cour d'appel qui n'a pas recherché, comme cela lui était demandé, si la transaction, conclue entre le bailleur et le locataire cessionnaire portant renonciation du premier à réclamer au second le règlement de loyers impayés, ne constituait pas pour le locataire cédant, garant du locataire cessionnaire et codébiteur solidaire de celui-ci, un avantage dont lui-même pouvait bénéficier.
En 1999, une société consent un bail commercial, renouvelé au profit de plusieurs locataires successifs. Le 28 décembre 2018, l’actuel titulaire du bail cède son fonds de commerce à une société mais se porte garant solidaire des obligations du bail. En suite de plusieurs loyers impayés imputables au locataire cessionnaire, la bailleresse assigne en paiement, le 30 juin 2020, le locataire cédant, en sa qualité de garant. Le 3 mai 2021, la bailleresse et le locataire défaillant concluent un protocole d'accord transactionnel. Aux termes de cet accord, la bailleresse renonce à percevoir le versement de plusieurs loyers impayés, en échange du paiement immédiat d’une somme correspondant aux loyers du troisième trimestre 2020.
Par application du principe de relativité contractuelle à l’accord conclu, la cour d’appel condamne le garant au paiement de la créance objet de la transaction. Elle retient que le contrat de transaction conclu entre la bailleresse et le locataire cessionnaire ne peut bénéficier au locataire cédant, garant du cessionnaire, dès lors que le garant est tiers à ce contrat dont l’effet relatif l’empêche de se prévaloir de l’avantage consenti dans la transaction. Les juges du fond ajoutent que cet a ccord prévoyait expressément que la transaction ne faisait obstacle qu’à l’introduction entre les parties d’une action en justice ayant le même objet, mais maintenait la possibilité d’agir contre un tiers au protocole, même sur le fondement de la créance commune formant l’objet de la transaction. Par conséquent, la cour d’appel conclut que la bailleresse n'avait pas, par la conclusion de cet accord, renoncé à son droit de poursuivre le garant en paiement. Devant la Cour de cassation, celui-ci soutient que le tiers codébiteur solidaire peut se prévaloir d'une transaction intervenue entre le créancier commun et l'un de ses coobligés, dès lors qu'il en résulte pour ce dernier un avantage dont il peut lui-même bénéficier. Il invoque alors son droit de se prévaloir de la remise partielle de dette consentie par la bailleresse au locataire, par la voie de la transaction intervenue entre eux.
Le pourvoi pose ainsi la question de savoir si un tiers codébiteur solidaire, non partie à une transaction conclue entre le créancier et un autre coobligé, peut se prévaloir des avantages contenus dans ce contrat de transaction, malgré l’effet relatif qui lui est attaché, pour obtenir une réduction de sa propre dette. À cette question, la Cour de cassation répond par l'affirmative. Au visa des articles 1199, 1200 et 1315 du Code civil, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 2051 du même Code, elle casse et annule l’arrêt d’appel au motif qu'il résulte de la combinaison de ces textes que si la transaction est un contrat qui ne peut produire d'effet qu'entre les parties qui l'ont conclue et qu'à ce titre, un tiers ne peut se prévaloir de ses effets, elle constitue pour lui un fait juridique, de sorte que le tiers codébiteur solidaire peut invoquer les engagements contenus dans la transaction intervenue entre le créancier commun et l'un de ses coobligés, dès lors qu'il en résulte pour ce dernier un avantage dont il peut lui-même bénéficier (pt n° 9).
L’arrêt rapporté précise l’articulation recherchée entre l’effet relatif du contrat et le régime de la solidarité passive. En permettant à un garant solidaire, tiers à une transaction, de se prévaloir des avantages qui y sont stipulés, la Haute juridiction fait en sorte de concilier l'effet relatif du contrat de transaction (C. civ. art. 1199 et 2051) avec les droits du codébiteur solidaire qui, à raison de sa qualité de tiers, ne peut se prévaloir de la transaction en tant que contrat, mais reste admis à l’invoquer pour apporter la preuve d’un fait (C. civ., art. 1200). Pour la Cour, le contrat de transaction, bien que ne liant pas le garant qui ne peut donc bénéficier de ses effets, crée une nouvelle situation juridique – en l’espèce, une renonciation partielle à la créance – dont il peut, malgré sa qualité de tiers au contrat, se prévaloir pour apporter la preuve de ce qu’il réclame – en l’espèce, une remise de sa propre dette. La qualification de la transaction en fait juridique que le garant solidaire peut, par exception au principe de son inopposabilité par les tiers (C. civ., art. 2051), opposer au créancier commun, ouvre ainsi la voie à l'application de l'article 1315 du Code civil (pt n° 8). Ce texte permet au débiteur solidaire poursuivi par le créancier de se prévaloir d'une exception personnelle à un autre codébiteur, comme une remise de dette, lorsque cette exception éteint une partie de la créance. En l'espèce, la renonciation à plusieurs loyers impayés, consentie par la bailleresse dans la transaction, constitue un avantage assimilable à une remise de dette partielle, exception personnelle opposable par le codébiteur solidaire. Le garant solidaire est donc fondé à se prévaloir de cet avantage pour obtenir, à égale proportion, la réduction de sa propre dette.
Ainsi la solution renforce-t-elle la protection du garant solidaire, tel que le cédant d'un fonds de commerce. L’aménagement du principe de relativité contractuelle lui permet de se prévaloir de l’avantage que lui procure une transaction, bien qu’il ne l’ait pas conclue, et de le mettre ainsi à l’abri des accords susceptibles d’être passés, à son détriment, entre le créancier et le débiteur principal, qui pourraient s’entendre pour le rendre tenu au paiement de la totalité de la dette initiale. En lui permettant de bénéficier, malgré sa qualité de tiers, de la remise de dette consentie à son coobligé, partie à la transaction, la Cour de cassation obéit à la logique de l'article 1350-1 du Code civil, qui prévoit que la remise de dette accordée à l'un des codébiteurs solidaires libère les autres à concurrence de sa part. (al. 1er). Mais au-delà de sa conformité aux textes applicables, la règle ici dégagée vise surtout à empêcher une situation en pratique encourue, consistant à ce que le créancier se désintéresse auprès du débiteur principal pour une partie de la dette, tout en se réservant le droit de réclamer l’intégralité de cette même dette au garant. Pour pallier ce risque, la décision rapportée admet que le garant peut faire valoir que l'extinction partielle de la dette principale doit nécessairement réduire son propre engagement, conformément à la nature accessoire de sa garantie.
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