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Droit des obligations
Transfert de l’autorisation d’exploitation d’un EPHAD par le preneur des lieux : quid de la garantie d’éviction et de l’obligation d’information de l’acheteur ?
Ayant retenu que l'autorisation d'exploiter un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) n'était attachée ni à l'immeuble ni à son propriétaire et que l'acte de vente ne comportait aucun engagement du vendeur quant au maintien des autorisations administratives existantes au jour de la vente, une cour d'appel en a exactement déduit que le transfert de l'EHPAD vers un autre lieu d'exploitation ne constituait pas un fait d'éviction dont le vendeur devait garantie.
Civ. 3e, 28 sept. 2023, n° 22-15.236
En l’espèce, une société avait acquis d’une SCI des chambres et leur quote-part des parties communes dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EPHAD) et d’une société commerciale, les biens mobiliers destinés à les garnir, cette opération bénéficiant d'un régime de défiscalisation.
Le même jour, la société acheteuse avait donné les biens à bail commercial à la seconde société pour une durée de onze années et neuf mois, celle-ci étant chargée de la gestion de l'établissement et de la sous-location des chambres à des résidents.
L'acte authentique de vente avait été établi le 18 octobre 2006. Un second bail avait été conclu le 1er janvier 2009 jusqu'au 30 septembre 2020.
Le 21 octobre 2013, les copropriétaires de la résidence avaient été informés de la décision de la société preneuse de transférer l’EHPAD vers un autre site d’exploitation, seule capable d'abriter des lits supplémentaires.
Soutenant que l’exploitation de la résidence en EHPAD était une condition essentielle de son acquisition, l’acheteuse avait alors assigné ses deux cocontractantes en résiliation des ventes immobilière et mobilière à leurs torts, sur le fondement principal de la garantie d'éviction, ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts pour défaut d’information.
Elle n’obtint pas gain de cause, en cause d’appel, ni sur le fondement de la garantie d’éviction, ni sur celui du manquement des venderesses à leur obligation précontractuelle d’information.
Devant la Cour de cassation, l’acheteuse rappelait d’une part que le vendeur, obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu, doit en ce sens s'abstenir de tout acte remettant en cause la destination du bien telle qu'elle a été contractuellement fixée par les parties ; or en l’espèce, il résultait des différents contrats de vente que les biens qu’elle avait acquis l'avaient été pour être exploités dans un EHPAD et il était établi que le transfert de l'autorisation d'exploitation de l'EHPAD vers un autre site résultait d'une décision volontaire des vendeurs, en sorte qu’en affirmant que le transfert de l'EHPAD ne constituait pas un trouble de droit ou de fait à la propriété des biens cédés, cependant que la destination des biens contractuellement fixée par les parties avait été unilatéralement modifiée par les vendeurs entraînant l'éviction, au moins partielle, de l'acquéreur, la cour d'appel aurait violé les articles 1625 et 1626 du Code civil, ainsi que l'article 1134 du même code dans sa rédaction applicable à la cause. D’autre part, l’acheteuse invoquait le manquement par les venderesses à leur obligation précontractuelle d’information sur un élément du contrat déterminant de son consentement et qu’elle ignorait légitimement en ce qu’elle n’avait pas été alertée, malgré sa qualité d’acheteur profane, de la nécessité de maintien de l’autorisation administrative pour garantir la pérennité de l’exploitation de l’EPHAD en sorte que la cour d’appel ne pouvait affirmer, sans méconnaître l’article 1602 du Code civil, que les venderesses n’étaient pas tenues d’une obligation de conseil et d'information sur la rentabilité ou la pérennité de son investissement immobilier et sur les risques précisément encourus en cas de retrait de l'autorisation d'exploitation de l'EHPAD ou de congé délivré par le preneur, lorsque la loyauté contractuelle les obligeait à attirer son attention sur le caractère temporaire de l'autorisation administrative dont dépendait l’exploitation de l’établissement.
La Cour de cassation juge ces deux moyens non fondés.
■ Exclusion de la garantie d’éviction. La cour d'appel avait relevé que l'acte authentique de vente mentionnait que les biens et droits immobiliers objet de la vente étaient destinés à l'activité commerciale de loueur en meublé dans une résidence d'habitation avec services et comportait, dans cette perspective, la liste des autorisations administratives existantes relatives à l'exploitation de l'immeuble. Elle en avait déduit que la société acheteuse avait acquis des lots de copropriété dans un groupe d'immeubles à destination de maison de retraite, aux fins de louer des chambres en meublé.
Ayant retenu à bon droit que l'autorisation d'exploiter un EHPAD n'était attachée ni à l'immeuble ni à son propriétaire, mais à l'établissement médico-social exploité par le locataire commercial, et constaté que l'acte de vente ne comportait aucun engagement du vendeur quant au maintien des autorisations administratives existantes au jour de la vente, elle en a exactement déduit que le transfert de l'EHPAD ne constituait pas un trouble de fait ou de droit à la propriété des biens cédés. Autrement dit, l’objet de la vente portant exclusivement sur les droits immobiliers et mobiliers dont les vendeurs étaient propriétaires, mais non sur l’autorisation d’exploitation des lots de copropriété cédés en EPHAD, la vente n’emportait pas cession au profit de l’acquéreur de cette autorisation d’exploiter un EPHAD, détenue par le seul exploitant. En fait comme en droit, l’acheteuse n’avait donc pas été évincée par la décision de transfert de l’autorisation d’exploitation de l’EPHAD vers un autre site, cette décision, en l’absence d’engagement exprès du vendeur dans le contrat de maintenir les autorisations obtenues, ne constituant pas un trouble à sa propriété des biens cédés.
■ Exclusion du manquement à l’obligation d’information. La cour d'appel avait relevé que l'acte authentique de vente stipulait également que les biens devaient être loués par l'acquéreur au profit du locataire commercial et énumérait les décisions administratives relatives à cette exploitation.
Elle avait constaté que le contrat de bail commercial, conclu en même temps que la vente des biens immobiliers, précisait en ce sens que seul le preneur devrait se conformer aux prescriptions administratives concernant l'activité de maison de retraite médicalisée et qu'il ferait son affaire de l'obtention et du maintien, pendant toute la durée du bail et de ses éventuelles reconductions, de toutes les autorisations légales, administratives et réglementaires requises par la réglementation régissant les EHPAD, et mentionnait expressément l’autorisation administrative de l'exploitation par le locataire commercial de quarante-cinq lits dans le cadre d'un EHPAD.
Selon la Haute juridiction, la cour a pu en déduire que l'acquéreur avait été valablement informé, lors de la vente, que seul l'exploitant était titulaire de l’autorisation d'exploitation en EHPAD et qu’il aurait à ce titre la possibilité de délivrer congé à l'issue de la période convenue et de quitter les lieux avec l'autorisation administrative dont il bénéficiait. Elle a alors exactement retenu que les venderesses n'avaient pas manqué à leur obligation précontractuelle d'information ni à leur devoir de loyauté contractuelle. Ainsi, l’autorisation d’exploiter n’ayant pas été cédée à l’acquéreur, ce dont il avait été informé dès la conclusion du contrat stipulant expressément que seul l’exploitant en était titulaire, ce dernier était donc libre de prendre congé en conservant pour la transférer son autorisation même sans avoir préalablement averti l’acheteur du risque de transfert et donc du caractère temporaire de l’exploitation en EPHAD. Ni l’obligation d’information ni le devoir de loyauté contractuelle n’obligeaient donc les venderesses à prévenir l’acheteuse que son opération d’optimisation fiscale pourrait se trouver compromise par le transfert de l’exploitation dans la mesure où cette dernière ne s’était à aucun moment vue céder l’autorisation d’exploiter. Seule une disposition contractuelle contraire et expresse les obligeant à conserver en l’état les autorisations existantes au jour de la vente aurait pu justifier leur condamnation au titre d’un manquement à leur double devoir d’information et de loyauté contractuelles.
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