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[ 5 décembre 2017 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Transport maritime et faute inexcusable

Mots-clefs : Transports ; Transport maritime de personnes, Responsabilité du transporteur, Indemnisation, Limitation, Droit, Déchéance, Condition, Faute inexcusable, Appréciation

Pour être déchu de son droit à la limitation de la réparation du dommage, le transporteur maritime doit avoir commis une faute inexcusable, impliquant objectivement la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire.

Un passager se trouvant assis à l'avant d’un bateau dont le capitaine organisait, au titre de son activité professionnelle, une sortie en mer avec onze autres passagers, avait été, du fait d'une vague plus importante que les autres, soulevé puis était retombé lourdement, subissant de graves blessures. Il avait alors assigné le capitaine du bateau en indemnisation de ses préjudices.

La cour d’appel limita son indemnisation en application de l'article L. 5421-5 du Code des transports au motif que le transporteur n’avait pas commis de faute inexcusable. La victime forma un pourvoi en cassation, soutenant que le transporteur maritime de personnes ne peut bénéficier d’aucune limitation de sa responsabilité dès lors qu'il commet une faute inexcusable à l'origine du dommage, en l’espèce constituée par le fait que le transporteur n’avait pas interdit l'accès à la proue et n’avait pas donné de consignes de sécurité suffisantes en cas d'accélération rendue dangereuse pour les passagers du fait d'une navigation rapide face à la houle. 

La Cour de cassation rejette son pourvoi, la cour d’appel ayant retenu que les conditions de navigation étaient bonnes, que les passagers avaient été alertés d'une augmentation de la vitesse de progression du bateau et invités à se cramponner et qu'à l'endroit où elle se trouvait, la victime conservait la possibilité de se maintenir à la main courante du bastingage, celle-ci avait pu en déduire que la faute retenue contre le transporteur n'impliquait pas objectivement la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire, de sorte qu'elle ne revêtait pas un caractère inexcusable.

En vertu des articles L. 5121-3 et suivants du Code des transports maritimes, le transporteur maritime de personnes peut se prévaloir des plafonds indemnitaires fixés à l'article 7 de la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, dite LLMC (pour Limitation of Liability for Maritime Claims), modifiée par le Protocole de Londres du 2 mai 1996 pour ce qui concerne les lésions corporelles de passagers. 

La limitation de responsabilité de l'armateur se justifie à plusieurs titres : par les risques particuliers inhérents à la navigation maritime, par la nécessité d’assurer la pérennité de l'activité économique du transport, ainsi que par la liberté de mouvement dont jouit le passager à bord du navire ; en effet, sous la réserve de quelques restrictions issues des consignes de bord, le passager dispose dans une large mesure de sa liberté de mouvement. Aussi bien, s'il subit un dommage en chutant dans l'escalier reliant un pont à un autre, la cause de l'accident est davantage imputable à la victime qu’au transporteur. Pour toutes ces raisons, ce dernier a donc en principe le droit de limiter le montant de la réparation due au passager-victime, mais à certaines conditions toutefois. La première tient à la créance elle-même : seule une créance de responsabilité concernant un navire, née de son exploitation (c’est-à-dire que le dommage doit s’être produit à bord du navire ou être en relation directe avec la navigation ou l'utilisation du navire, C. transp., art.L. 5121-3), ouvre droit à la limitation de la réparation. La seconde tient aux personnes autorisées à en bénéficier : celles qui, à un titre ou à un autre, peuvent devenir débiteurs, ou garants, d'une créance liée à l'exploitation d'un navire, c’est-à-dire l'affréteur, l'armateur, l'armateur-gérant ainsi que le capitaine ou leurs préposés agissant dans l'exercice de leurs fonctions de la même manière qu'au propriétaire lui-même (C. transp., art. L. 5121-2). Toutefois, exceptionnellement, ces derniers peuvent être déchus de ce droit. Ainsi le sont-ils lorsqu’ils ont commis une faute jugée inexcusable. Comme les hypothèses de dol et de faute intentionnelle du transporteur, une telle faute est sanctionnée par une déchéance de son droit à voir limitée sa dette indemnitaire. 

Introduite en droit français à l'occasion d’une ancienne loi sur l’indemnisation des accidents du travail (L. du 9 avr. 1898), la faute inexcusable fut, sur l'initiative du doyen Chauveau (P. Chauveau, « Le projet de loi sur la responsabilité du transporteur par air »; D. 1955, chron. p. 81), intégrée au droit du transport aérien, avant d'être généralisée dans le droit des transports maritimes de passagersAinsi la Convention de Londres définit-elle en ces termes ce que la tradition française tient comme étant une « faute inexcusable » : « une personne responsable n'est pas en droit de limiter sa responsabilité s'il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou de son omission personnels, commis (...) témérairement et avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement, cette définition s’inspirant de celle donnée en 1941 par la Cour de cassation aux termes de laquelle « la faute inexcusable (...) doit s'entendre d'une faute d'une gravité exceptionnelle, dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l'absence de toute cause justificative, et se distinguant par le défaut d'un élément intentionnel de la faute (dolosive) » (Cass. ch. réunies, 15 juill. 1941). En jurisprudence, la faute inexcusable est appréciée d'une manière assez objective, celle-ci se caractérisant moins par sa gravité que par le comportement, apprécié in abstracto, de l’auteur du dommage : par rapport à une personne normalement avisée et prudente, il convient d’apprécier si ce dernier a eu, par manque de compétence ou comportement téméraire, au cours de l'accident, conscience qu'un dommage en résulterait probablement. Dès lors, la victime n'a pas à prouver que l'auteur de la faute a eu conscience en fait de la probabilité du dommage (appréciation in concreto), il lui suffit d'établir que cette conscience de la probabilité du dommage aurait dû exister chez lui, en raison notamment de ses compétences professionnelles (Com. 16 avr. 1991, n° 89-20.101 et 89-10.298).

En l’espèce, celle-ci ne pouvait être déduite des circonstances ayant entouré l’accident, les juges ayant relevé, d’une part, les bonnes conditions de navigation lorsque celui-ci s’est produit, d'autre part, le fait que les passagers aient été prévenus des risques encourus par l’accélération de la vitesse du bateau et des consignes de sécurité à observer en conséquence, en sorte que le transporteur avait agi sans témérité ni conscience illégitime de la survenance probable d’un dommage, excluant ainsi une faute inexcusable de sa part susceptible de le déchoir de son droit à voir limiter la réparation due à la victime.

Civ. 1re, 8 nov. 2017, n° 16-24.656

Références

■ Cass. ch. réunies, 15 juill. 1941.

■ Com. 16 avr. 1991, n° 89-20.101 et 89-10.298.

 

Auteur :M. H.


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