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Droit européen et de l'Union européenne
Transposition d’une directive européenne : nécessité pour l’État membre qui prend une mesure de sauvegarde de prouver le bien-fondé de sa législation nationale préexistante
Mots-clefs : Rapprochement des législations, Mesure de sauvegarde, Preuve, Jouet, Directive, Décision, Principe de primauté, Obligation de motivation, Santé publique
L’harmonisation des législations par l’Union européenne, au travers de directives, impose aux États membres de transposer totalement les mesures en écartant les dispositions nationales contraires. Les États membres peuvent cependant imposer des mesures de sauvegarde afin de retenir une législation nationale plus protectrice, notamment en matière de santé publique (TFUE, art. 114, § 4), encore faut-il prouver le bien-fondé de cette législation préexistante. Cette démarche a été celle de l’Allemagne qui a notifié à la Commission sa volonté de conserver des normes plus restrictives, issues d’une directive de 1988 transposée, quant à la présence de plomb, de baryum, d’antimoine, d’arsenic et de mercure dans les jouets. La Commission a refusé la demande pour une partie de ces substances et les a autorisées de manière temporaire pour le plomb. Le Tribunal confirme la décision de la Commission, à l’exception de la partie sur le plomb, jugeant que l’Allemagne n’a pas apporté la preuve que les standards voulus garantissaient une protection supérieure, entraînant le refus de la mesure de sauvegarde.
La protection de la santé publique est essentielle pour les États membres, qui disposent d’ailleurs dans ce domaine d’une large marge d’appréciation (TFUE, art. 114 et 168). Cependant ces objectifs peuvent entrer en conflit avec des directives ayant pour objet d’harmoniser les législations pour réaliser le marché intérieur. Ces directives s’imposent aux États membre conformément au principe de primauté, y compris si l’État membre s’est opposé à la directive. C’est cette situation qui s’est présentée en l’occurrence dans ce contentieux opposant l’Allemagne à la Commission, contentieux qui avait déjà donné lieu à l’adoption d’une mesure provisoire par le président du Tribunal (Ord. 15 mai 2013, Allemagne c/ Commission), afin d’autoriser l’Allemagne à maintenir sa législation en attendant le jugement au fond.
À l’origine du litige, la directive 2009/48/CE, dite « jouets », adoptée par l’Union européenne, remplaçant une directive de 1988, laquelle fixe de nouvelles valeurs limites pour certaines substances chimiques présentes dans les jouets. L’Allemagne s’était opposée à cette directive, aussi une fois adoptée, elle a demandé à la Commission l’autorisation de conserver les valeurs présentes dans sa législation, correspondant aux valeurs imposées par la directive de 1988. La Commission a refusé cette autorisation pour l’antimoine, l’arsenic et le mercure. Elle a accepté temporairement le maintien des valeurs jusqu’au 21 juillet 2013 pour le plomb et le baryum. L’Allemagne a déposé un recours en annulation contre cette décision.
L’examen opéré par le Tribunal de l’UE vise à déterminer si l’Allemagne apporte la preuve que sa législation offre une protection plus élevée que la directive, sachant que la directive impose une harmonisation totale, empêchant les États membres de pouvoir légiférer sauf dans l’hypothèse de l’article 114, paragraphe 4 TFUE sur les mesures de sauvegarde. En conséquence, le Tribunal opère une comparaison des différentes valeurs retenues en droit allemand et en droit de l’Union. Le Tribunal précise que la directive prévoit en réalité différentes valeurs selon la présentation de la substance chimique dans le jouet, c'est-à-dire la directive distingue selon que la matière soit friable, sèche, poudreuse ou souple, liquide ou collante notamment. Ceci permet d’établir des valeurs de migration de la substance alors que l’Allemagne procède par valeur de quantité assimilable par l’enfant, sans distinguer la présentation de la substance chimique. Le Tribunal est alors obligé de se fonder sur des valeurs de conversion établies par un comité scientifique. Cette étape lui permet de juger que la directive propose une protection supérieure quelle que soit la manière dont la substance chimique se présente, à l’exception des matières grattées. Ainsi la directive offre une meilleure protection de la santé publique. Le Tribunal conclut que l’Allemagne n’a ainsi pas rapporté la preuve qu’elle retenait une protection plus élevée.
En revanche, le Tribunal annule la décision de la Commission concernant le plomb pour violation de l’obligation de motivation. En effet, la date retenue par la Commission pour le maintien de la législation allemande était celle du 21 juillet 2013, alors que l’application de l’ancienne directive prenait fin le 20 juillet 2013. La Commission a ainsi formellement accordé un jour de plus à l’Allemagne ce qui correspondait, en réalité, non pas à une décision favorable à l’Allemagne mais à une décision négative alors que les conditions du maintien de la législation allemande étaient cette fois réunie. La motivation était en conséquence contradictoire entre le contenu favorable au maintien de la législation nationale et la date retenue. C’est pourquoi le Tribunal annule cette partie de la décision. Il impose à la Commission d’avoir une motivation cohérente, d’autant plus dans le cadre des mesures de sauvegarde étant donné que la procédure de notification ne prévoit pas de procédure contradictoire.
Cet arrêt démontre que si les États membres ont la possibilité d’imposer des mesures plus strictes, y compris après l’adoption d’une directive, cette faculté n’est envisageable qu’à la condition d’apporter la preuve de la pertinence de la mesure. Cette exigence permet d’éviter les restrictions déguisées ou arbitraires, préservant l’unité du marché intérieur.
TEU 14 mai 2014, Allemagne c/ Commission européenne, T-198/12
Références
■ Ord. 15 mai 2013, Allemagne c/ Commission, T-198/12R.
■ Directive 2009/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 relative à la sécurité des jouets.
■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
Article 114 (ex-article 95 TCE)
« 1. Sauf si les traités en disposent autrement, les dispositions suivantes s'appliquent pour la réalisation des objectifs énoncés à l'article 26. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, arrêtent les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur.
2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas aux dispositions fiscales, aux dispositions relatives à la libre circulation des personnes et à celles relatives aux droits et intérêts des travailleurs salariés.
3. La Commission, dans ses propositions prévues au paragraphe 1 en matière de santé, de sécurité, de protection de l'environnement et de protection des consommateurs, prend pour base un niveau de protection élevé en tenant compte notamment de toute nouvelle évolution basée sur des faits scientifiques. Dans le cadre de leurs compétences respectives, le Parlement européen et le Conseil s'efforcent également d'atteindre cet objectif.
4. Si, après l'adoption d'une mesure d'harmonisation par le Parlement européen et le Conseil, par le Conseil ou par la Commission, un État membre estime nécessaire de maintenir des dispositions nationales justifiées par des exigences importantes visées à l'article 36 ou relatives à la protection de l'environnement ou du milieu de travail, il les notifie à la Commission, en indiquant les raisons de leur maintien.
5. En outre, sans préjudice du paragraphe 4, si, après l'adoption d'une mesure d'harmonisation par le Parlement européen et le Conseil, par le Conseil ou par la Commission, un État membre estime nécessaire d'introduire des dispositions nationales basées sur des preuves scientifiques nouvelles relatives à la protection de l'environnement ou du milieu de travail en raison d'un problème spécifique de cet État membre, qui surgit après l'adoption de la mesure d'harmonisation, il notifie à la Commission les mesures envisagées ainsi que les raisons de leur adoption.
6. Dans un délai de six mois après les notifications visées aux paragraphes 4 et 5, la Commission approuve ou rejette les dispositions nationales en cause après avoir vérifié si elles sont ou non un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée dans le commerce entre États membres et si elles constituent ou non une entrave au fonctionnement du marché intérieur.
En l'absence de décision de la Commission dans ce délai, les dispositions nationales visées aux paragraphes 4 et 5 sont réputées approuvées.
Lorsque cela est justifié par la complexité de la question et en l'absence de danger pour la santé humaine, la Commission peut notifier à l'État membre en question que la période visée dans le présent paragraphe peut être prorogée d'une nouvelle période pouvant aller jusqu'à six mois.
7. Lorsque, en application du paragraphe 6, un État membre est autorisé à maintenir ou à introduire des dispositions nationales dérogeant à une mesure d'harmonisation, la Commission examine immédiatement s'il est opportun de proposer une adaptation de cette mesure.
8. Lorsqu'un État membre soulève un problème particulier de santé publique dans un domaine qui a fait préalablement l'objet de mesures d'harmonisation, il en informe la Commission, qui examine immédiatement s'il y a lieu de proposer des mesures appropriées au Conseil.
9. Par dérogation à la procédure prévue aux articles 258 et 259, la Commission et tout État membre peuvent saisir directement la Cour de justice de l'Union européenne s'ils estiment qu'un autre État membre fait un usage abusif des pouvoirs prévus par le présent article.
10. Les mesures d'harmonisation visées ci-dessus comportent, dans les cas appropriés, une clause de sauvegarde autorisant les États membres à prendre, pour une ou plusieurs des raisons non économiques visées à l'article 36, des mesures provisoires soumises à une procédure de contrôle de l'Union. »
Article 168 (ex-article 152 TCE)
« 1. Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l'Union.
L'action de l'Union, qui complète les politiques nationales, porte sur l'amélioration de la santé publique et la prévention des maladies et des affections humaines et des causes de danger pour la santé physique et mentale. Cette action comprend également la lutte contre les grands fléaux, en favorisant la recherche sur leurs causes, leur transmission et leur prévention ainsi que l'information et l'éducation en matière de santé, ainsi que la surveillance de menaces transfrontières graves sur la santé, l'alerte en cas de telles menaces et la lutte contre celles-ci.
L'Union complète l'action menée par les États membres en vue de réduire les effets nocifs de la drogue sur la santé, y compris par l'information et la prévention.
2. L'Union encourage la coopération entre les États membres dans les domaines visés au présent article et, si nécessaire, elle appuie leur action. Elle encourage en particulier la coopération entre les États membres visant à améliorer la complémentarité de leurs services de santé dans les régions frontalières.
Les États membres coordonnent entre eux, en liaison avec la Commission, leurs politiques et programmes dans les domaines visés au paragraphe 1. La Commission peut prendre, en contact étroit avec les États membres, toute initiative utile pour promouvoir cette coordination, notamment des initiatives en vue d'établir des orientations et des indicateurs, d'organiser l'échange des meilleures pratiques et de préparer les éléments nécessaires à la surveillance et à l'évaluation périodiques. Le Parlement européen est pleinement informé.
3. L'Union et les États membres favorisent la coopération avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes en matière de santé publique.
4. Par dérogation à l'article 2, paragraphe 5, et à l'article 6, point a), et conformément à l'article 4, paragraphe 2, point k), le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, et après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions, contribuent à la réalisation des objectifs visés au présent article en adoptant, afin de faire face aux enjeux communs de sécurité:
a) des mesures fixant des normes élevées de qualité et de sécurité des organes et substances d'origine humaine, du sang et des dérivés du sang; ces mesures ne peuvent empêcher un État membre de maintenir ou d'établir des mesures de protection plus strictes;
b) des mesures dans les domaines vétérinaire et phytosanitaire ayant directement pour objectif la protection de la santé publique;
c) des mesures fixant des normes élevées de qualité et de sécurité des médicaments et des dispositifs à usage médical.
5. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions, peuvent également adopter des mesures d'encouragement visant à protéger et à améliorer la santé humaine, et notamment à lutter contre les grands fléaux transfrontières, des mesures concernant la surveillance des menaces transfrontières graves sur la santé, l'alerte en cas de telles menaces et la lutte contre celles-ci, ainsi que des mesures ayant directement pour objectif la protection de la santé publique en ce qui concerne le tabac et l'abus d'alcool, à l'exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres.
6. Le Conseil, sur proposition de la Commission, peut également adopter des recommandations aux fins énoncées dans le présent article.
7. L'action de l'Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. Les responsabilités des États membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l'allocation des ressources qui leur sont affectées. Les mesures visées au paragraphe 4, point a), ne portent pas atteinte aux dispositions nationales relatives aux dons d'organes et de sang ou à leur utilisation à des fins médicales. »
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