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Droit pénal spécial
Travail dissimulé : les déplacements professionnels entre deux clients ne sont pas des pauses !
Mots-clefs : Travail dissimulé, Temps de travail effectif, Temps de trajet
Le temps de déplacement professionnel entre les domiciles de deux clients doit être pris en compte au titre du temps de travail effectif du salarié et non du temps de pause. Le défaut de mention de ce temps de trajet sur le bulletin de paie rend l’employeur passible d’une condamnation pour travail dissimulé.
Conformément aux dispositions de l’article L. 8221-5 du Code du travail, le fait de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli est réputé être un travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié. À ce titre, la personne physique, auteur de l’infraction, encourt cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amendes ; la personne morale est, quant à elle, passible de 375 000 € d’amende.
L’article L. 3121-1 du Code du travail définit la durée du travail effectif comme « le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ». Trois conditions doivent donc être réunies pour que les heures du salarié soient comptabilisées comme temps de travail effectif. Ainsi, le salarié :
– doit être à la disposition de l’employeur (sans qu’il soit nécessaire qu’il exerce en permanence une activité productive, il suffit que l'employeur puisse à tout moment lui demander d'intervenir) ;
– doit se conformer aux directives de l’employeur (qu’elles soient explicites ou implicites) ;
– ne doit pas pouvoir vaquer à ses occupations personnelles (il n’est pas libéré de ses obligations professionnelles et ne peut, à titre d’exemple, discuter avec ses collègues, prendre un café ou lire).
En l’espèce, une société de services spécialisée dans l’aide aux personnes âgées dépendantes ou handicapées a été contrôlée par l’inspection du travail. Les inspecteurs ont relevé que les fiches de paie des salariés, qui interviennent directement au lieu d’habitation des clients, ne tenaient pas compte du temps passé par ces derniers à se déplacer d’un domicile à un autre. Invitée par deux courriers à prendre en compte et à rémunérer comme temps de travail effectif ces trajets, la société a refusé de se soumettre à ces demandes.
Poursuivie devant le Tribunal correctionnel, la société et son gérant ont été condamnés pour travail dissimulé. La décision a été confirmée par la Cour d’appel aux motifs que les interventions entre les clients se succédaient tout au long de la journée de travail avec un intervalle court entre chaque intervention et que les salariés ne pouvaient se soustraire, durant ces trajets, à l’emprise de l’employeur responsable de l’organisation de leur emploi du temps.
La société a formé un pourvoi contre cette décision soutenant qu’en application de l’article L. 3121-4 du Code du travail, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif, l’article n’opérant aucune distinction entre les déplacements effectués du domicile au lieu d’exécution du contrat de travail et les déplacements effectués entre deux lieux d’exécution des prestations professionnelles. La société estimait également que, dans la mesure où les salariés ne sont pas susceptibles de recevoir d’ordres de l’employeur et n’ont pas à rendre compte de leur activité au cours de ces trajets, ces heures ne peuvent constituer un temps de travail effectif.
La chambre criminelle de la Cour de cassation n’a pas suivi cette argumentation et écarte l’application de l’article L. 3121-4 du Code du travail à l’espèce. Elle valide le raisonnement de la Cour d’appel en relevant que « le temps de déplacement professionnel entre le domicile d’un client et celui d’un autre client, au cours d’une même journée, constitue un temps de travail effectif et non un temps de pause, dès lors que les salariés ne sont pas soustraits, au cours de ces trajets, à l’autorité du chef d’entreprise ».
La Cour de cassation confirme ici sa jurisprudence antérieure favorable à la prise en compte des temps de trajet comme temps de travail effectif même dans les cas où le salarié ne passe pas par le siège de l’entreprise entre deux lieux d’exercice de son activité (Soc. 5 nov. 2003 ; Soc. 12 janv. 2005).
Crim. 2 sept. 2014, n°13-80.665
Références
■ Soc. 5 nov. 2003, n°01-43.109, D. 2004. 391, obs. C. Wolmark.
■ Soc. 12 janv. 2005, n° 02-47.505.
■ Code du travail
« La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. »
« Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif.
Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière. Cette contrepartie est déterminée par convention ou accord collectif de travail ou, à défaut, par décision unilatérale de l'employeur prise après consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, s'il en existe. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire. »
« Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales. »
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