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Travail en prison : l’absence de contrat de travail est conforme à la Constitution
Mots-clefs : Travail en prison, Conditions, Absence de contrat de travail, Droit à l’emploi, Égalité, Dignité, Conformité à la Constitution
L’absence de contrat de travail pour les activités professionnelles exercées par les personnes incarcérées ne porte pas atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.
Le travail en prison doit-il obéir au droit commun des relations de travail ? C’est à cette question que les Sages de la rue de Montpensier viennent de répondre, par la négative, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité dont deux détenus sont à l’origine.
L’article 717-3 alinéa 3 du Code de procédure pénale mis en cause indique que « les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail ». Cette exclusion est justifiée par les spécificités du milieu carcéral, qui se prêtent mal à l’application du droit commun des relations de travail ; ainsi, par exemple, les transfèrements des détenus, comme les réductions ou les aménagements de leurs peines, seraient susceptibles de mettre un terme, inhabituel, à la relation de travail. De surcroît, les charges financières inhérentes au travail salarié dissuaderaient les entreprises de contracter avec l’administration pénitentiaire ; vue comme une entrave à l’objectif de développement du travail carcéral, l’application en prison du droit commun des relations de travail serait finalement contreproductive.
Cela étant, la question de la constitutionnalité de la disposition contestée méritait d’être posée dans la mesure où ce texte prive les détenus des bénéfices individuels (SMIC, congés payés, assurance-chômage, indemnité en cas de maladie ou accident du travail) et collectifs (droit de grève) de la législation sociale de droit commun. En ce sens, les requérants faisaient valoir que le législateur prive ainsi les prisonniers des garanties légales d’exercice des droits et libertés reconnus par les cinquième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, relatifs au droit à l’emploi et au droit de grève. Ils soutenaient, en outre, l’atteinte manifeste portée par le texte au principe d’égalité et au respect dû à la dignité des personnes.
Le Conseil en conclut néanmoins à la constitutionnalité du texte de procédure pénale mis en cause, en s’appuyant sur les articles 22 et 33 de la dernière loi pénitentiaire également applicable aux relations de travail des détenus. Ainsi, l’article 22 de cette loi précise que « l’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits ».
Mais c’est surtout son article 33, selon lequel le détenu peut bénéficier des « dispositions relatives à l'insertion par l'activité économique prévues aux articles L. 5132-1 et L. 5132-17 du Code du travail » (L. n° 2009-1436, 24 nov. 2009, art. 33, al. 2), qui fut avancé par le Conseil au soutien de sa décision. Ce texte prévoit que les activités professionnelles exercées en milieu carcéral supposent d’établir un acte d'engagement entre le chef d'établissement et l'intéressé. Or, cet acte énonce « les droits et obligations professionnelles [de la personne détenue] ainsi que ses conditions de travail et sa rémunération » (L. n° 2009-1436, 24 nov. 2009, art. 33, al. 1er) et précise notamment les modalités selon lesquelles la personne détenue, « nonobstant l’absence de contrat de travail », bénéficie des dispositions relatives à l’insertion par l’activité économique prévues aux articles L. 5132-1 et L. 5132-17 du Code du travail. À première vue, cet argument de texte est convaincant. Cependant, outre l’ineffectivité qui lui est souvent reprochée, le dispositif légal invoqué marque une très nette rupture avec le droit commun, fondé sur la contractualisation des relations de travail, dont le Conseil rappelle d’ailleurs qu’il est « loisible au législateur d’(en) modifier les dispositions afin de renforcer » la protection des droits des détenus. Néanmoins, le Conseil considère que le texte examiné ne porte en lui-même aucune atteinte aux principes énoncés par le Préambule de 1946, ni ne méconnaît le principe d’égalité ou d’autres droits ou libertés que la Constitution garantit.
Il ressort de cette décision que le Conseil n’a tout simplement pas souhaité prendre part à un débat dont il n’était pas saisi, celui qui oppose les défenseurs des droits des détenus à l’administration pénitentiaire et aux entreprises, peu favorables à l’application du droit du travail en prison. Il s’est ainsi prononcé sur le seul article du Code de procédure pénale dont il avait à juger la conformité à la Constitution, renvoyant à la compétence du législateur pour une éventuelle modification du droit applicable. Les réponses aux questions sous-jacentes à celle effectivement posée — rémunération dérisoire des prisonniers, unilatéralité des décisions de l’administration dans l’accès à l’emploi des détenus, absence de juge compétent en cas de conflit — n’ont pas été apportées. Respectant le cadre de la question soumise à son contrôle, le Conseil laisse en suspens celle des conditions de travail en prison et donc, finalement, celle de la réinsertion professionnelle des détenus. En évitant le hors-sujet, les Sages ont contourné celui qui se trouvait véritablement posé.
Cons. const. 14 juin 2013, n°2013-320/321 QPC
Références
■ Article 717-3 du Code de procédure pénale
« Les activités de travail et de formation professionnelle ou générale sont prises en compte pour l'appréciation des gages de réinsertion et de bonne conduite des condamnés.
Au sein des établissements pénitentiaires, toutes dispositions sont prises pour assurer une activité professionnelle, une formation professionnelle ou générale aux personnes incarcérées qui en font la demande.
Les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail. Il peut être dérogé à cette règle pour les activités exercées à l'extérieur des établissements pénitentiaires.
Les règles relatives à la répartition des produits du travail des détenus sont fixées par décret. Le produit du travail des détenus ne peut faire l'objet d'aucun prélèvement pour frais d'entretien en établissement pénitentiaire.
La rémunération du travail des personnes détenues ne peut être inférieure à un taux horaire fixé par décret et indexé sur le salaire minimum de croissance défini à l'article L. 3231-2 du code du travail. Ce taux peut varier en fonction du régime sous lequel les personnes détenues sont employées. »
■ Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946
« Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. »
« Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. »
■ Code du travail
« L'insertion par l'activité économique a pour objet de permettre à des personnes sans emploi, rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, de bénéficier de contrats de travail en vue de faciliter leur insertion professionnelle. Elle met en œuvre des modalités spécifiques d'accueil et d'accompagnement.
L'insertion par l'activité économique, notamment par la création d'activités économiques, contribue également au développement des territoires. »
« Un décret détermine la liste des employeurs habilités à mettre en œuvre les ateliers et chantiers d'insertion mentionnée à l'article L. 5132-15. »
■ LOI n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire
« L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue. »
« La participation des personnes détenues aux activités professionnelles organisées dans les établissements pénitentiaires donne lieu à l'établissement d'un acte d'engagement par l'administration pénitentiaire. Cet acte, signé par le chef d'établissement et la personne détenue, énonce les droits et obligations professionnels de celle-ci ainsi que ses conditions de travail et sa rémunération.
Il précise notamment les modalités selon lesquelles la personne détenue, dans les conditions adaptées à sa situation et nonobstant l'absence de contrat de travail, bénéficie des dispositions relatives à l'insertion par l'activité économique prévues aux articles L. 5132-1 à L. 5132-17 du code du travail.
Dans le cadre de l'application du présent article, le chef d'établissement s'assure que les mesures appropriées sont prises afin de garantir l'égalité de traitement en matière d'accès et de maintien à l'activité professionnelle en faveur des personnes handicapées détenues. »
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