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Droit pénal général
Travail forcé et maintien en servitude de deux mineures
La CEDH condamne la France, sur le fondement de l'article 4 de la Convention européenne des droits de l'homme, pour avoir notamment failli à sa mission de protection contre le travail forcé : l'Etat n'a pas mis en place « un cadre législatif et réglementaire permettant de lutter efficacement contre la servitude et le travail forcé ».
Deux sœurs quittent le Burundi à la suite du massacre de leur famille pendant la guerre civile et se réfugient chez leur oncle et tante, en France. Logées au sous-sol de la maison, elles s'occupent des tâches ménagères de la famille de sept enfants. En 2007, le tribunal correctionnel de Nanterre déclare les époux coupables d'avoir soumis leurs nièces à des conditions de travail et d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine ; il retient la qualification de "violences aggravées" pour la tante. En 2009, la cour d'appel de Versailles confirme uniquement la culpabilité de la tante. Son pourvoi, ainsi que celui des deux sœurs, sont rejetés. Quant au procureur général, il décide de ne pas se pourvoir en cassation. Les sœurs invoquent les articles 3, 4 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme devant la CEDH.
Tout d'abord, la Cour revient (v. aff. Siliadin c/France) sur la notion de travail forcé supposant une menace et se différenciant de « l'entraide familiale ». Elle estime que l'une des sœurs, la plus âgée, a été soumise à un tel travail, sous la menace d'un renvoi dans son pays. De plus, elle constate que, compte tenu du volume de travail demandé, il ne pouvait s'apparenter à un travail d'entraide familial : en effet, à défaut, l'oncle et la tante auraient du à faire appel à un professionnel rémunéré. Ensuite, sur la question de la servitude, la Cour estime là encore que seule l'ainée en était victime car sa déscolarisation réduisait pour elle toute chance de s'émanciper un jour, contrairement à la cadette, moins isolée. La Cour se penche enfin sur le rôle de la France dans cette affaire. Reprenant de nouveau les termes de l'affaire Siliadin, elle condamne la France pour violation de l'article 4, estimant que les dispositions du Code pénal français ainsi que leur interprétation n'assuraient pas une « protection concrète et efficace » de la victime. Par ailleurs, elle déplore le fait que la Cour de cassation n'ait pu se prononcer que sur le volet civil de l'affaire, le procureur général ne s'étant pas pourvu en cassation. Là encore, il est intéressant de constater que France avait été condamnée en 2005, pour des faits identiques, la Cour reprochant déjà au procureur de ne pas s'être pourvu en cassation. Il y a donc bien violation de l'article 4, chaque État ayant « une obligation positive de mettre en place un cadre législatif et administratif permettant de lutter efficacement contre la servitude et le travail forcé ».
CEDH 11 oct. 2012, C.N. et V. c/France, n°67724/09
Références
■ Convention européenne des droits de l'homme
Article 3 - Interdiction de la torture
"Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants."
Article 4 - Interdiction de l'esclavage et du travail forcé
"1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.
2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire.
3. N'est pas considéré comme « travail forcé ou obligatoire » au sens du présent article :
a) tout travail requis normalement d'une personne soumise à
la détention dans les conditions prévues par l'article 5 de la présente Convention, ou durant sa mise en liberté conditionnelle ;
b) tout service de caractère militaire ou, dans le cas d'objecteurs de conscience dans les pays où l'objection de
conscience est reconnue comme légitime, à un autre service à la place du service militaire obligatoire ;
c) tout service requis dans le cas de crises ou de calamités qui menacent la vie ou le bien-être de la communauté ;
d) tout travail ou service formant partie des obligations civiques normales."
Article 13 - Droit à un recours effectif
"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles."
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