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Droit des personnes
Troisième sexe ?: rectification de l’acte d’état civil en faveur de la mention « sexe neutre »
Mots-clefs : Acte de naissance, Mention, Sexe neutre, Changement, Droit au respect de sa vie privée
Le 20 août 2015, le tribunal de grande instance de Tours a ordonné la substitution de la mention «de sexe neutre » à la mention « de sexe masculin », inscrite dans l’acte de naissance d’un intersexué.
Cette décision mérite d’être relevée car c’est une première en France.
Ainsi, une personne intersexuée (dont les organes génitaux ne correspondent pas à la distinction habituelle masculin-féminin) avait demandé, auprès du président du tribunal de grande instance (TGI), sur le fondement de l’article 99 du Code civil, la rectification de son acte de naissance. Celui-ci portait la mention « de sexe masculin », or, le requérant ne s’identifie pas à ce sexe, ni à celui féminin. Il demande donc l’inscription « de sexe neutre ».
Le ministère public, quant à lui, s’oppose à cette rectification car il estime qu’elle relève d’un débat de société appartenant au législateur et non au juge. Il ajoute que l’article 57 du Code civil impose que toutes personnes soient rattachées à un des deux sexes.
Afin de prouver son intersexualité, le requérant apporte des certificats médicaux et des témoignages puisque le sexe est un fait qui se prouve par tous moyens.
Le TGI accueille favorablement la demande du requérant. Il fait pour cela une appréciation des faits, dont il ressort que le requérant ne dispose pas biologiquement et psychologiquement de prédisposition à être plus un homme qu’une femme.
Pour prendre sa décision, le TGI de Tours se fonde sur l’article 57 du Code civil et le point 55 de la section 2 de la circulaire du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes de l'état civil relatifs à la naissance et à la filiation, qu’il va interpréter au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui assure le droit au respect de sa vie privée
L’article 57 du Code civil prévoit que l’acte de naissance indique notamment le sexe de l’enfant. Il a pour but de renseigner de l’état d’une personne par déclaration. Or cet état doit pouvoir être déterminé. C’est pourquoi le point 55 de la circulaire admet qu’il ne soit fait aucune mention du sexe dans l’acte de naissance dans les cas exceptionnels où le médecin ne peut se prononcer immédiatement sur le sexe. Cependant, l’absence de mention doit être provisoire, jusqu’à ce que le sexe puisse être déterminé suite à un traitement hormonal.
La Cour d’appel a pu juger, en se fondant sur l’article 57 du Code civil que « tout individu, même s’il présente des anomalies organiques, doit être obligatoirement rattaché à l’un des deux sexes… » (Paris, 18 janv. 1974. V. également : Versailles, 22 juin 2000, n° 1999-7799). Cette solution imposait aux parents de choisir de façon binaire en fonction des avis médicaux de l’époque et de leur préférence.
Par ailleurs, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme assure le droit à la vie privée. Or la l’intégrité physique et morale de la personne, ainsi que l’aspect de l’identité de la personne en font partie (CEDH 10 mars 2015, Y. Y. c/ Turquie , n° 14793/08). Cet article prévoit qu’il n’y peut pas avoir une ingérence de la part de l’autorité publique, dans la vie privée d’un individu, si elle n’est pas prévue par la loi et qu’elle ne constitue pas une mesure nécessaire. En l’espèce l’article 57 du Code civil, qui a pour but de renseigner de l’état de la personne, n’est pas considéré par le tribunal comme faisant obstacle à l’inscription de la mention « de sexe neutre ».
Le TGI de Tours relève qu’il n’y a pas de contrariété à l’ordre public puisque le requérant demande la rectification de son acte de naissance, pour prendre en compte sa situation véritable, et non la création d’une troisième catégorie de sexe. Cela permet également au tribunal de considérer qu’il ne viole pas l’article 5 du Code civil qui lui interdit de se prononcer de façon générale sur les causes qu’on lui soumet.
Cette décision s’inscrit dans une tendance à reconnaitre aux personnes intersexuées une possibilité de ne pas choisir entre le sexe féminin ou masculin. En effet, cette possibilité a été recommandée par le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe (Droits de l'homme et personnes intersexes, 23 juin 2015). Elle est, par ailleurs, reconnue par certains pays tiers à l’Union européenne tels que l’Australie, l’Inde ou encore l’Afrique du sud.
Toutefois, le jugement du TGI de Tours n’est pas exécutoire puisque le ministère public a interjeté appel.
Référence :
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8
« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».
■ Code civil
Article 5
« Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises. »
Article 57
« L'acte de naissance énoncera le jour, l'heure et le lieu de la naissance, le sexe de l'enfant, les prénoms qui lui seront donnés, le nom de famille, suivi le cas échéant de la mention de la déclaration conjointe de ses parents quant au choix effectué, ainsi que les prénoms, noms, âges, professions et domiciles des père et mère et, s'il y a lieu, ceux du déclarant. Si les père et mère de l'enfant ou l'un d'eux ne sont pas désignés à l'officier de l'état civil, il ne sera fait sur les registres aucune mention à ce sujet.
Les prénoms de l'enfant sont choisis par ses père et mère. La femme qui a demandé le secret de son identité lors de l'accouchement peut faire connaître les prénoms qu'elle souhaite voir attribuer à l'enfant. A défaut ou lorsque les parents de celui-ci ne sont pas connus, l'officier de l'état civil choisit trois prénoms dont le dernier tient lieu de nom de famille à l'enfant. L'officier de l'état civil porte immédiatement sur l'acte de naissance les prénoms choisis. Tout prénom inscrit dans l'acte de naissance peut être choisi comme prénom usuel.
Lorsque ces prénoms ou l'un d'eux, seul ou associé aux autres prénoms ou au nom, lui paraissent contraires à l'intérêt de l'enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, l'officier de l'état civil en avise sans délai le procureur de la République. Celui-ci peut saisir le juge aux affaires familiales.
Si le juge estime que le prénom n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant ou méconnaît le droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, il en ordonne la suppression sur les registres de l'état civil. Il attribue, le cas échéant, à l'enfant un autre prénom qu'il détermine lui-même à défaut par les parents d'un nouveau choix qui soit conforme aux intérêts susvisés. Mention de la décision est portée en marge des actes de l'état civil de l'enfant. »
Article 99
« La rectification des actes de l'état civil est ordonnée par le président du tribunal.
La rectification des jugements déclaratifs ou supplétifs d'actes de l'état civil est ordonnée par le tribunal.
La requête en rectification peut être présentée par toute personne intéressée ou par le procureur de la République; celui-ci est tenu d'agir d'office quand l'erreur ou l'omission porte sur une indication essentielle de l'acte ou de la décision qui en tient lieu.
Le procureur de la République territorialement compétent peut procéder à la rectification administrative des erreurs et omissions purement matérielles des actes de l'état civil ; à cet effet, il donne directement les instructions utiles aux dépositaires des registres. »
■Circulaire du 28 octobre 2011
Point 55
« Sexe de l'enfant - Lorsque le sexe d'un nouveau-né est incertain, il convient d'éviter de porter l'indication «de sexe indéterminé» dans son acte de naissance. Il y a lieu de conseiller aux parents de se renseigner auprès de leur médecin pour savoir quel est le sexe qui apparaît le plus probable compte tenu, le cas échéant, des résultats prévisibles d'un traitement médical. Ce sexe sera indiqué dans l'acte, l'indication sera, le cas échéant, rectifiée judiciairement par la suite en cas d'erreur.
Si, dans certains cas exceptionnels, le médecin estime ne pouvoir immédiatement donner aucune indication sur le sexe probable d'un nouveau-né, mais si ce sexe peut être déterminé définitivement, dans un délai d'un ou deux ans, à la suite de traitements appropriés, il pourrait être admis, avec l'accord du procureur de la République, qu'aucune mention sur le sexe de l'enfant ne soit initialement inscrite dans l'acte de naissance. Dans une telle hypothèse, il convient de prendre toutes mesures utiles pour que, par la suite, l'acte de naissance puisse être effectivement complété par décision judiciaire.
Dans tous les cas d'ambiguïté sexuelle, il doit être conseillé aux parents de choisir pour l'enfant un prénom pouvant être porté par une fille ou par un garçon ».
■ CEDH 10 mars 2015, n° 14793/08, Y. Y. c/ Turquie, D. 2015. 1875, note P. Reigné ; AJ fam. 2015. 542, obs. P. Reigné ; RDSS 2015. 643, note S. Paricard ; RTD civ. 2015. 331, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 349, obs. J. Hauser.
■ Paris, 18 janv. 1974, D. 1974. 196, concl. Granjon.
■ Versailles, 22 juin 2000, n° 1999-7799.
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