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[ 26 février 2019 ] Imprimer

Droit pénal général

Tromperie sur la qualité et discrimination à rebours : vers une extension de l’exception d’illégalité de l’article 111-5 du Code pénal ?

La Cour de cassation autorise, dans le cadre d’une discrimination à rebours de nature réglementaire, l’extension de l’exception d’illégalité à l’inconstitutionnalité. 

A l’occasion d’un contrôle, des inspecteurs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont constaté que la société Labeyrie incorporait, dans ses blocs de foie gras commercialisés, des produits provenant du traitement des parures d’éveinage issues du parage des foies gras entiers. Le directeur industriel des produits du terroir, le directeur général de la société ainsi que cette dernière ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel pour tromperie sur la nature, la composition et les qualités substantielles de blocs de foie gras sur le fondement des articles L. 213-1 ancien et L. 441-1 et L. 454-1 (nouveau) du Code de la consommation. Ils soulèvent, in limine litis, sur le fondement de l’article 111-5 du Code pénal, une exception d’inconstitutionnalité de l’article 13-1 du décret du 9 août 1993 relatif aux préparations à base de foie gras en ce qu’il introduirait une violation du principe d’égalité par la discrimination à rebours instituée à l’encontre des producteurs nationaux vis-à-vis des producteurs d’États membres de l’Union européenne. En effet, ce décret prévoit en son article 13-1 que « les préparations à base de foie gras légalement fabriquées ou commercialisées et conformes aux usages loyaux dans les autres États membre de l’union européenne et les pays signataires de l’accord sur l’espace économique européen peuvent être commercialisées sur le territoire français. Toutefois, pour ces préparations, il est interdit d’utiliser l’une des dénominations prévues à l’article 2 pour désigner une préparation qui s’écarte tellement, du point de vue de sa composition ou de sa fabrication, de la préparation telle que définie à l’article précité qu’elle ne saurait être considérée comme appartenant à la même catégorie de produits ». Cet article, introduit par un décret de 2000, a pour but de conformer l’état du droit français à ses engagements européens, notamment celui de l’impératif d’une clause de reconnaissance mutuelle pour les produits en provenance d’un État membre. Néanmoins, mis en perspective avec l’article 1er du décret précité, il semble qu’il introduise une discrimination à rebours qui peut être définie comme un traitement moins favorable pour les situations internes qui sont régies par le droit national en regard de ces mêmes situations d’un point de vue communautaire. En effet, cet article prévoit qu’« il est interdit de détenir en vue de la vente [...] sous les dénominations visées à l’article 2 des préparations à base de foie gras qui ne sont pas conformes aux dispositions du présent décret » sous peine de sanctions pénales sur le fondement de tromperie sur les qualités substantielles d’un produit. Si le Conseil constitutionnel avait déjà, lors d’une QPC, eu l’occasion de prononcer l’inconstitutionnalité d’une discrimination à rebours, ouvrant ainsi un champ nouveau pour le contrôle de constitutionnalité, se posait ici la question de ce même contrôle par rapport à l’office du juge au regard d’une disposition de nature règlementaire. 

Les prévenus sont condamnés devant le tribunal correctionnel pour tromperie sur les qualités substantielles d’une marchandise sur le fondement des articles L. 441-1 et L. 454-1 du Code de la consommation à diverses amendes. Sur leur appel et celui du parquet, la Cour d’appel rejette l’exception d’inconstitutionnalité du décret du 9 août 1993. Elle rappelle à cette occasion certains éléments de l’exception d’illégalité telle que prévue par l’article 111-5 du Code pénal. D’une part, celle-ci ne permet pas au juge d’annuler la disposition mais seulement de l’écarter du litige en cause. En l’espèce, la discrimination à rebours résulte du seul article 13-1 du décret et ne permet dès lors pas d’écarter le décret en son entier, notamment les articles 2, 5 et 12. Ainsi, la condition selon laquelle de l’examen de la question doit dépendre la solution du litige ne serait pas respectée dans la mesure où l’article en cause ne porte pas la définition du bloc de foie gras ni ne détermine sa composition pour bénéficier de cette appellation. D’autre part, la cour d’appel relève à titre incident que les juridictions de jugement n’ont pas compétence pour apprécier la constitutionnalité d’un texte de nature règlementaire sur le fondement de l’exception d’illégalité qui vise seulement le contrôle des actes administratifs ou de nature règlementaire vis-à-vis de la loi. 

Les prévenus, au soutien de leur pourvoi en cassation, font grief à l’arrêt d’avoir rejeté l’exception d’inconstitutionnalité alors que d’une part, de la lecture croisée des articles 1er et 13-1 du décret résulte bien une discrimination à rebours et une inégalité devant la loi pénale des producteurs nationaux et européens dont le traitement répressif est différent, à situation pourtant égale. Dès lors, de la conformité de l’article 13-1 du décret à la Constitution dépendrait bien la solution du litige en cause. Ainsi, en ce que la question de la conformité de cet article vis-à-vis de la Constitution est « susceptible de faire écarter l’application du texte réglementaire servant de base aux poursuites », elle « était nécessairement de nature à influer sur la solution du procès pénal ». 

La Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la cour d’appel au visa de l’article 111-5 du Code pénal, rappelant que « selon ce texte, les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ». La Haute cour retient que le décret en question, pris en application de l’article L. 214-1 du Code de la consommation, et qui renvoyait au pouvoir règlementaire le soin de définir les règles tenant à la composition et à la dénomination des marchandises, « ne contenait en lui-même aucune règle de fond de nature à faire obstacle à ce que la conformité du décret à des normes constitutionnelles soit examinée par la juridiction correctionnelle ». Par cette formulation, la Cour de cassation semble ouvrir l’exception d’illégalité à l’inconstitutionnalité. Par ailleurs, elle confirme l’argument selon lequel l’examen de constitutionnalité de l’article 13-1 du décret conditionnait la solution du procès pénal. En effet, « la violation du principe d’égalité devant la loi pénale par la combinaison des articles 1er et 13-1 du décret [...] était de nature, à la supposer établie, à emporter leur illégalité, de sorte que la solution du procès pénal dépendait de cet examen ». 

Cette jurisprudence s’inscrit dans la continuité de la décision QPC n° 2012-520 du 3 février 2016 ayant étendu le champ d’application du contrôle de constitutionnalité aux discriminations à rebours. C’est ainsi au tour des juridictions répressives de se voir confier l’examen des discriminations à rebours introduites par des dispositions règlementaires en regard de la Constitution. 

Crim. 29 janvier 2019, n° 17-84.366 

Références

■ Cons. const. 3 févr. 2016, Sté Metro Holding France SA, n° 2015-520 QPC : D. 2016. 311 ; Rev. sociétés 2016. 388, note G. Parleani ; Constitutions 2016. 188, Décision ; RTD eur. 2017. 39, étude A. Jauréguiberry

■ A. Jauréguiberry, « La discrimination à rebours devant le juge national », RTD eur. 2017. 39

■ D. Mayer, « Vers un contrôle du législateur par le juge pénal ? », D. 2001. 1643

 

Auteur :Chloé Liévaux

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