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Libertés fondamentales - droits de l'homme
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Les nouvelles dispositions relatives au délit de solidarité de l’article L. 622-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes, doivent s’appliquer aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et qui n’ont pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée.
Le 18 octobre 2016, les militaires de la brigade de gendarmerie de Breil-sur-Roya constatèrent la présence de cinquante-sept étrangers, dont des mineurs, en situation irrégulière, assistés de plusieurs représentants d’associations, dans un bâtiment dépendant d'un complexe immobilier appartenant à la SNCF, situé à Saint-Dalmas-de-Tende (06). Un agriculteur de Breil-sur-Roya reconnut être à l’origine de cette occupation, déclarant notamment à la presse avoir voulu établir un lieu d’accueil humanitaire destiné aux migrants. Le responsable habilité de la SNCF porta plainte pour intrusion sans autorisation dans des locaux fermés et sécurisés. Deux jours plus tard, des agents de la PAF interpellèrent quatre personnes en situation irrégulière qui se trouvaient devant le domicile de l’agriculteur ; par ailleurs, ils constatèrent que le site de la SNCF, toujours occupé, était néanmoins en passe d’être évacué.
Une enquête fut ouverte au cours de laquelle l’agriculteur fut placé en garde à vue. Se présentant comme le porte-parole des migrants et des militants associatifs, celui-ci reconnut s’être rendu régulièrement à Vintimille pour prendre en charge des migrants, et avoir ainsi convoyé d'Italie en France environ deux cents personnes, les avoir conduites chez lui pour leur procurer un hébergement décent, et avoir occupé, par manque de place, le bâtiment de la SNCF. Il affirma avoir agi dans un but exclusivement humanitaire, sans contrepartie. Poursuivi pour aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d'environ deux cents étrangers dépourvus de titre de séjour et installation en réunion sur le terrain d’autrui sans autorisation, il fut déclaré coupable d’infractions au code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile mais relaxé pour le délit d’installation sur le terrain d’autrui (C. pén., art. 322-4-1). La cour d’appel (Aix-en-Provence, 8 août 2017, n° 17/628) confirma cette condamnation, estimant que le prévenu ne pouvait revendiquer le bénéfice des immunités prévues par le 3° de l’article L. 622-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur, puisque son action s’inscrivait dans une démarche d'action militante en vue de soustraire des étrangers aux contrôles mis en œuvre par les autorités pour appliquer les dispositions légales relatives à l'immigration.
Saisie par l’intéressé, la chambre criminelle casse et annule partiellement cet arrêt en ce qu’il a reconnu le prévenu coupable des infractions au CESEDA. Statuant au visa des articles L. 622-4, 3° du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 112-1 du Code pénal, la Haute cour relève que « l’article 38 de la loi [n° 2018-778 du 10 sept. 2018] a élargi le champ d’application de l’article L. 622-4 du CESEDA en faisant obstacle aux poursuites pénales dans le cas où l'aide à la circulation et au séjour irrégulier d'un étranger n'a donné lieu, de la part d’une personne physique ou morale, à aucune contrepartie directe ou indirecte et a consisté à fournir une aide quelconque dans un but exclusivement humanitaire ». Elle estime alors que cette disposition était d’application immédiate dès lors qu’elle élargissait les immunités prévues par l’article L. 622-4, apparaissant dès lors comme une loi nouvelle de fond plus douce que la loi ancienne.
L’article 112-1 du Code pénal, relatif à l’application dans le temps des lois pénales de fond, énonce que « Sont seuls punissables les faits constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils ont été commis ». Le texte prévoit cependant dans son troisième alinéa que « les dispositions nouvelles s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ». La loi du 10 septembre 2018 étant sur ce point moins sévère (car réduisant le champ d’application de l’incrimination par l’élargissement d’immunités), elle devait s’appliquer aux faits commis avant son entrée en vigueur mais non encore définitivement jugés à cette date, par application du principe de rétroactivité in mitius. Le prévenu ayant invoqué dès son interpellation le caractère humanitaire de sa démarche, la chambre criminelle conclut alors à la nécessité, pour le juge du fond, de réexaminer les faits au regard des nouvelles dispositions.
L’article L. 622-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit trois situations dans lesquelles l’aide à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger ne peut être poursuivie. Une immunité joue ainsi au profit : « 1° Des ascendants ou descendants de l'étranger, de leur conjoint, des frères et sœurs de l'étranger ou de leur conjoint » ; « 2° Du conjoint de l'étranger, de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui, ou des ascendants, descendants, frères et sœurs du conjoint de l'étranger ou de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui » ; et donc désormais « 3° De toute personne physique ou morale lorsque l'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et a consisté à fournir des conseils ou accompagnements juridiques, linguistiques ou sociaux, ou toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire ».
En modifiant le 3° de ce texte, la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a tiré les conséquences de la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision QPC du 6 juillet 2018 (n° 2018-717/718). Saisis notamment par le prévenu de l’affaire ici commentée, les Sages avaient conféré valeur constitutionnelle au principe de fraternité (en s’appuyant sur le Préambule de la Constitution et les articles 2 et 73-2 de la Constitution de 1958) et déduit de cette reconnaissance « la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ». Et ils avaient préconisé d’élargir le bénéfice de l’immunité prévue au 3° de l’article L. 622-4 (qui visait les conseils juridiques, les prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à conditions de vie dignes et décentes à l'étranger et les aides visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique de ce dernier), à « tout autre acte d’aide apportée dans un but humanitaire ».
Maintenant qu’il est acquis que les dispositions nouvelles sont applicables au prévenu, reste à savoir si la cour d’appel de Lyon, à qui l’affaire est renvoyée, saura lui reconnaître le bénéfice de cette immunité.
Crim. 12 déc. 2018, n° 17-85.736
Références
■ Aix-en-Provence, 8 août 2017, n° 17/349
■ Cons. const. 6 juill. 2018, M. Cédric H et autre, n° 2018-717/718 QPC : Dalloz actu Étudiant, 1er oct. 2018, obs. Ch. de Gaudemont ; Dalloz Actualité, 10 juill., obs. E. Maupin ; D. 2018. 1442 ; AJDA 2018. 1421.
■ Rép. Pén. Dalloz, vo Lois et règlements, par C. Lacroix, no 164 s. (sur la rétroactivité in mitius).
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