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[ 23 septembre 2019 ] Imprimer

Droit pénal général

Tu ne voleras point le portrait de ton Président sauf en cas d’urgence climatique !

Le tribunal correctionnel de Lyon a relaxé le 16 septembre 2019 deux militants écologistes pour le vol en réunion du portrait officiel du Président de la République Emmanuel Macron appartenant à la mairie du 2e arrondissement de Lyon en raison de l’état de nécessité dû à l’urgence climatique.

Le 21 février 2019 des militants écologistes se sont introduits dans la mairie du 2e arrondissement de Lyon pour voler le portrait officiel du Président Macron « objet d’une valeur fortement symbolique » suspendu dans la salle des mariages et manifester ainsi leur inquiétude concernant le dérèglement climatique et leur colère face à l’inaction présidentielle. Deux d’entre eux sont accusés de vol en réunion sur le fondement des articles 311-1311-4 et 311-14 du Code pénal.

Rappelons que le vol est selon l’article 311-1 « la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui », et qu’il est notamment puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende (C. pén., art. 311-4).

En l’espèce, si l’infraction de vol est caractérisée et reconnue par le tribunal, les deux militants écologistes sont pourtant relaxés au motif que leur action a été rendue nécessaire et légitime du fait de l’urgence climatique et s’est déroulée de manière pacifique avec un trouble à l’ordre public très modéré. Le juge a donc décidé qu’il s’agissait d’un état de nécessité.

L’état de nécessité peut se définir comme « la situation dans laquelle se trouve une personne qui ne peut raisonnablement sauver un bien, un intérêt ou un droit que par la commission d'un acte qui, s'il était détaché des circonstances qui l'entourent, serait délictueux » (FORIERS, De l’état de nécessité en droit pénal, thèse, Bruxelles, 1951).

Il est consacré à l’article 122-7 du code pénal, qui dispose : « N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».

L’état de nécessité requiert ainsi plusieurs conditions pour être valable :

conditions liées au danger : le danger doit être actuel ou imminent et être inévitable,

- conditions quant à l’acte : l’acte accompli doit être nécessaire à la sauvegarde d’une personne ou d’un bien et les moyens utilisés proportionnés à la gravité du danger.

L’exemple le plus célèbre d’un cas d’état de nécessité reconnu remonte à 1898. Il s’agit de l’affaire Ménard dans laquelle une mère de famille avait volé un pain pour nourrir sa famille. Le vol était qualifié, la mère avait bien l’intention de voler mais cela était dans un noble but. 

En revanche, la Cour de cassation avait refusé de reconnaître l’état de nécessité à des faucheurs de champs de maïs en partie génétiquement modifiés (Crim. 7 févr. 2007, n° 06-80.108).

Dans l’affaire des voleurs du portrait présidentiel à Lyon, l’état de nécessité serait donc justifié par l’urgence climatique. Ainsi, le juge énonce que : « dans l'esprit de citoyens profondément investis dans une cause particulière servant l'intérêt général, le décrochage et l'enlèvement sans autorisation de ce portrait dans un but voué exclusivement à la défense de cette cause, qui n'a été précédé ou accompagné d'aucune autre forme d'acte répréhensible, loin de se résumer à une simple atteinte à l'objet matériel, doit être interprété comme le substitut nécessaire du dialogue impraticable entre le Président de la République et le peuple » ou encore « la conservation de ce portrait, qui achève de caractériser sa soustraction volontaire, n'était certes pas une suite nécessaire au marquage d'une forme d'appel adressé au Président de la République, face au danger grave, actuel et imminent, à prendre des mesures financières et réglementaires adaptées ou à défaut rendre compte de son impuissance ; que cette conservation obéit néanmoins à un motif légitime dès lors que l'usage du portrait semble s'être limité à son exhibition au service de la même cause à l'occasion de manifestations publiques ».

Le tribunal correctionnel de Lyon donne également raison à nos deux protagonistes de conserver le portrait afin de pouvoir le brandir à nouveau lors de futures manifestations de défense du climat. Pour les juges lyonnais cette conservation obéit en effet à un motif légitime évitant ainsi que d’autres portraits soient retirés.

Enfin, le tribunal ajoute que la commune de Lyon ne s’étant pas portée partie civile, il existe un doute sur la volonté de cette dernière de récupérer son portrait présidentiel qui est facilement remplaçable et qui n’a qu’une valeur symbolique.

Rappelons que la présence du portrait du Président de la République dans les mairies est un symbole, une tradition républicaine comme le sont le drapeau tricolore, la devise « liberté, égalité, fraternité », ou encore le buste de la Marianne mais que sa présence n’est en rien obligatoire. Aucun texte législatif ou réglementaire n’oblige les maires français à accrocher le portrait présidentiel (Rép. min. n° 48533 JOAN 14 juill. 2009), pas même l’article 2 de la Constitution de la Ve République qui énumère certains des symboles représentants la France.

La motivation de ce jugement ne manque pas d’audace puisque à l’heure actuelle plusieurs militants ont déjà été condamnés pour les mêmes faits à travers toute la France.

En effet, le 12 juin 2019, le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse a condamné des militants écologistes à 500 euros d’amende avec sursis. Il en a été de même à Orléans le 13 septembre dernier (200 euros d’amende avec sursis). D’autres affaires doivent encore être jugées (à Paris notamment, où une peine plus lourde a été requise) et la cour d’appel de Lyon aurait été saisie par le parquet concernant notre affaire.

Affaire à suivre donc…

T. corr. Lyon, 16 sept. 2019

Références

■ Fiches d’orientation Dalloz : État de nécessité

■ Crim. 7 févr. 2007, n° 06-80.108 P: D. 2007. 1310, note J.-P. Feldman ; ibid. 573, obs. A. Darsonville ; ibid. 2632, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; AJ pénal 2007. 133, obs. C. Saas

 

Auteur :Maëlle Harscouët de Keravel


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