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Droit du travail - relations collectives
Un accord GPEC n’exclut pas nécessairement toute consultation du CSE
En présence d'un accord GPEC, le CSE n'a pas à être consulté sur cette thématique dans le cadre de la consultation récurrente sur les orientations stratégiques. En revanche, sont soumises à consultation les mesures ponctuelles de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, quand bien même elles résulteraient de la mise en œuvre de l'accord de GPEC.
Soc., 29 mars 2023, n° 21-17.729 B
La Cour de cassation, en livrant une interprétation de la loi à la lumière du droit européen, rend un arrêt soucieux de préserver le principe constitutionnel de participation des travailleurs à la gestion de l’entreprise. Interrogée sur les compétences des élus du personnel lorsque la mesure patronale s’inscrit dans le cadre d’un accord collectif, la Cour adopte une solution équilibrée. L’accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) autorise certes une dispense de consultation du CSE dans le cadre des consultations récurrentes mais pas nécessairement dans le cadre des consultations ponctuelles.
En l’espèce, un accord relatif à la GPEC est conclu en 2019 au sein du groupe Thales. Six mois plus tard, l’un des CSE d’établissement de l’une des sociétés du groupe est informé de l’avancement d’un plan de gestion des compétences nommé « Plan équilibre ». Ce dernier vise à redéployer des salariés sur des postes de cyber sécurité et entraîne donc leur mobilité vers d’autres sites de l’entreprise ou du groupe. Le CSE central et le CSE d’établissement de la société concernée saisissent le juge judiciaire, estimant qu’ils auraient dû être consultés avant la mise en œuvre de ce projet. Ils demandent donc sa suspension jusqu’à ce qu’une procédure de consultation ait été régulièrement menée, la délivrance des informations nécessaires pour appréhender le projet et des dommages-intérêts pour violation de leurs prérogatives. La cour d’appel fait droit à ces demandes. L’employeur se pourvoit en cassation car il conteste la compétence du CSE aux motifs que le projet en cause est d’une part basé sur le volontariat d’autre part s’inscrit dans le cadre de l’accord GPEC du groupe. Or, aux termes de l’article L. 2312-14 du Code du travail, « les entreprises ayant conclu un accord relatif à la GPEC ne sont pas soumises, dans ce domaine, à l'obligation de consultation du comité social et économique ». Toute la difficulté consistait donc à interpréter la portée de l’expression « dans ce domaine ».
Pour comprendre l’arrêt, il est nécessaire de faire un rapide retour en arrière. Dans un important arrêt EDF rendu en 1998, la chambre sociale de la Cour de cassation avait estimé que dans le cadre des prérogatives d’information/consultation du CSE, il n’y avait pas lieu de distinguer les mesures patronales adoptées de manière unilatérale ou s’inscrivant dans le cadre d’une négociation collective. Ainsi, dès lors que le projet ouvert à la négociation relevait de la compétence du CSE, celui-ci devait être consulté et ce, au plus tard, avant de signer l’accord (Soc., 5 mai 1998, n° 96-13.498). En 2015, la loi dite Rebsamen est venue contrecarrer cette position prétorienne. Un nouvel article du Code du travail précise désormais que « les projets d'accord collectif, leur révision ou leur dénonciation ne sont pas soumis à la consultation du comité » (C. trav., art. L. 2323-2 devenu ensuite L. 2312-14). Certains auteurs ont alors souligné la différence entre un projet d’accord et sa mise en œuvre. Si le projet s’inscrivant dans le cadre d’une négociation n’est plus soumis à consultation, les modalités de sa mise en œuvre peuvent l’être. Cette distinction est perceptible dans un arrêt du 21 novembre 2012 où la Cour régulatrice a estimé que la mise en œuvre d’un accord de branche étendu concernant les classifications mais affectant le volume des effectifs d’une entreprise reste soumise à la consultation du CSE. (Soc., 21 novembre 2012, n° 11.10-625). Toutefois en septembre 2017, un alinéa 3 a été ajouté à l’article L. 2312-14 précisant dans une première version que « les entreprises ayant conclu un accord dans des domaines prévus par la présente section ne sont pas soumises, dans ces domaines, à l'obligation de consultation du comité social et économique » (Art. 1er de l’ordonnance n° 2017-1386). Toutefois trois mois plus tard, le texte a de nouveau été remanié par les ordonnances de décembre 2017. Désormais le texte précise que les entreprises ayant conclu un accord de GPEC sont dispensées de consultation du CSE « dans ce domaine ». La Cour de cassation est pour la première fois appelée à préciser l’étendue de cette dispense.
La GPEC est une démarche d’anticipation visant à réfléchir aux évolutions de l’emploi. Elle relève d’une démarche prospective. Aussi l’article L. 2312-24 du Code du travail précise-t-il que la consultation récurrente du CSE sur les orientations stratégiques de l’entreprise intègre la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, les orientations de la formation professionnelle et le plan de développement des compétences. Toutefois, pour inciter les employeurs à privilégier le dialogue social sur cette thématique, il est également prévu dans certaines entreprises ou groupes d’entreprises une obligation triennale de négocier sur cette thématique (C. trav., art. L. 2242-20). Il paraît donc logique d’interpréter l’article L. 2312-14 comme dispensant l’employeur d’intégrer la GPEC dans le cadre de la consultation récurrente sur les orientations stratégiques de l’entreprise. Lorsque la gestion prospective de l’emploi a été négociée et a abouti à un accord, le législateur dispense l’employeur de solliciter l’avis du CSE sur cet aspect particulier des orientations stratégiques prévues pour les prochaines années.
Reste que la mise en œuvre concrète d’un accord de GPEC implique différentes décisions de l’employeur qui peuvent affecter le volume des effectifs, les conditions d’emploi, de travail, de santé, de sécurité… Or de telles décisions relèvent cette fois du domaine de compétence du CSE au titre des consultations ponctuelles (C. trav., art. L. 2312-8). L’article L. 2312-14 al 3 autorise-t-il alors une dispense de consultation ? La Cour de cassation fait le choix de répondre par la négative en convoquant la directive 2002/14/CE établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne. Cette directive prévoit une consultation sur les décisions affectant l’emploi des salariés. Les modalités de cette consultation peuvent être aménagées par accord mais il est nécessaire de s’assurer de l’effet utile de la démarche. S’appuyant sur ces dispositions, la Cour de cassation considère que la dispense de consultation prévue par L. 2312-14 al 3 se limite aux orientations stratégiques de l’entreprise mais ne s’étend pas aux mesures ponctuelles relevant de l’article L. 2312-8 du Code du travail. En l’espèce, l’accord GPEC du groupe Thales définissait une orientation stratégique en matière d’emploi mais ses modalités concrètes de mise en œuvre se traduisaient par la mobilité d’une vingtaine de salariés d’un établissement donné. Par conséquent, le volume de l’emploi au sein de l’établissement était bien affecté. Aussi la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir condamné l’employeur à consulter le CSE. La solution peut sans doute apparaître assez éloignée du souhait initial du législateur mais elle a pour mérite de permettre aux représentants du personnel de bénéficier d’une information précise et de donner leur avis sur des mesures concrètes à un moment où les salariés sont effectivement concernés par les perspectives évoquées dans un accord de GPEC.
Références :
■ Soc., 5 mai 1998, n° 96-13.498 P : D. 1998. 608, note G. Auzero ; Dr. soc. 1998. 579, rapp. J.-Y. Frouin.
■ Soc., 21 novembre 2012, n° 11-10.625 P : D. 2012. 2809 ; ibid. 2013. 2599, obs. P. Lokiec et J. Porta.
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