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Droit des obligations
Un échange de mails vaut un écrit !
Un échange de mails peut valablement établir la preuve d’un mandat puisque lorsqu'un écrit est exigé pour la validité d'un acte juridique, il est admis qu’il puisse, à certaines conditions, être établi et conservé sous forme électronique.
Un agent sportif avait assigné un club de football en paiement d'une commission qu'il estimait lui être due en vertu d'un mandat qu’il aurait reçu d’un club aux fins de négocier avec un autre club le transfert d'un joueur. La cour d’appel rejeta sa demande au motif que l'échange de courriels dont il se prévalait ne valait pas mandat régulier au motif qu'il ne regroupait pas en « un seul document » les mentions obligatoires prévues par l'article L. 222-17 du Code du sport et que, plus communément, un message électronique ne peut, par nature, valablement constituer un écrit contenant les engagements respectifs des parties.
La Cour de cassation censure cette décision, d’une part sous l’angle du droit spécial sportif, jugeant que l'article L. 222-17 du Code du sport n'imposant pas que le contrat dont il fixe le régime juridique soit établi sous la forme d'un acte écrit unique, la cour d'appel, en ajoutant à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé le texte susvisé ; d’autre part, elle ajoute concernant la validité des actes juridiques que, lorsqu'un écrit est exigé pour la validité d'un acte juridique, ce que prévoit expressément l'article 1108-1 du Code civil alors en vigueur, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1316-1 et 1316-4 du Code civil ancien, en sorte qu'un message électronique peut, sous ces réserves légales, constituer par nature l'écrit constatant les engagements respectifs des parties.
Cette décision est résolument libérale.
Elle révèle, tout d’abord, la liberté probatoire que la Cour de cassation offre aux agents sportifs, à l’appui du texte, il est vrai peu rigoureux, du code du sport figurant au visa, pour établir les mandats qu’ils prétendent avoir reçu, contrats dont les enjeux économiques sont pourtant de taille. En effet, selon la Cour, l'article L. 222-17 de ce code prévoit que le contrat en exécution duquel l'agent sportif exerce l'activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un des contrats prévus par ce texte doit être, simplement, « écrit », sans autres conditions que celles relatives aux mentions obligations prescrites par le texte (montant de la rémunération de l’agent notamment) ; autrement dit, un écrit unique n’étant pas formellement exigé, comme aucune forme particulière de l’écrit n’est expressément requise, la première chambre civile de la Cour de cassation censure déjà la cour d’appel pour avoir trop rigoureusement retenu, au vu de la lettre du texte, que les courriels échangés n’établissaient pas valablement le mandat invoqué au seul motif qu’ils ne se trouvaient pas regroupés en un seul et même document.
Elle témoigne surtout de la volonté de la Cour de ne pas affaiblir la force probante que la loi réserve, depuis près de vingt ans maintenant (Loi n° 2000-230 du 13 mars 2000), à l’écrit électronique, dont la valeur probatoire est équivalente à celle reconnue à l’écrit sur support papier. Elle rappelle en effet, dans la seconde partie de son attendu, qu’un message électronique, en l’occurrence un échange de mails, peut, par nature, constituer l'écrit contenant les engagements respectifs des parties. Cette affirmation n’a en soi rien de surprenant : l’on sait que le législateur, pour se conformer à l’évolution technologique et sociologique des échanges écrits, a accepté que l’écrit électronique puisse servir de preuve au même titre que l’écrit sur support papier (C. civ., art. 1366 nouv. : « L’écrit électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier », 1316-1 anc.). Cette assimilation est néanmoins en principe assortie d’une double condition, « que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité ».
Cette double condition d’imputabilité du contenu de l’écrit à son auteur et d’intégrité de cet écrit avait d’ailleurs été antérieurement érigée par la jurisprudence pour permettre de rapporter la preuve d’un acte juridique par télécopie (Com. 2 déc. 1997, n° 95-14.251). S’agissant de l’écrit électronique, ces exigences se traduisent par l’usage nécessaire d’une signature électronique définie à l’article 1367, alinéa 2 du Code civil (art. 1316-4, al. 2 anc.) comme un « procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache », étant précisé que la signature électronique est un « procédé » fiable d’identification dont la fiabilité est présumée, jusqu’à la preuve du contraire, « lorsque la signature est créée, l’identité du signataire est assurée et l’intégrité de l’acte garantie ». Plus précisément, elle doit remplir trois conditions : tout d’abord, être propre au signataire, ensuite, être créée par des moyens que le signataire puisse garder sous son contrôle exclusif, enfin, pouvoir garantir « avec l’acte auquel elle s’attache un lien tel que toute modification ultérieure de l’acte soit détectable » (cf art. 1er -2 du décret du 30 mars 2001).
Concrètement, la seule signature électronique qui permette de satisfaire ces conditions est celle résultant de l’utilisation d’une technologie de chiffrement asymétrique et basée sur l’utilisation d’un certificat électronique qualifié. Or en pratique, rares sont les auteurs d’e-mails les signant de cette façon, la majorité faisant simplement figurer, à la fin de leur message, leurs nom et prénom. Cette simple signature ne répond évidemment pas aux exigences légales, en raison du manque de fiabilité d’identification qu’elle présente, n’importe qui pouvant signer son mail en empruntant un nom qui n’est pas le sien, outre le fait que le lien avec le contenu du mail ne peut être davantage garanti, la modification du contenu d’un mail ne connaissant pas les mêmes entraves que la falsification de celui d’un écrit rédigé sur support papier.
Or en l’espèce, la Cour de cassation reste silencieuse sur ce point pourtant capital. Les mails échangés, dont la valeur probante est affirmée d’évidence et sans réserves par les hauts magistrats, étaient-ils assortis d’une signature électronique sécurisée ou ne prenaient-ils en fait la forme que de « simples » mails ? Le mystère reste entier, étant entendu que dans cette dernière hypothèse, ils ne pourraient pas en principe, dès lors qu’ils sont contestés, être qualifiés d’écrits électroniques recevables à titre de preuve à moins que, par libéralisme autant que par pragmatisme, la Cour de cassation entende tempérer les contraintes inhérentes au système de la preuve littérale, ce que l’étendue du domaine couvert par celui de la preuve libre (litiges commerciaux, prud’homaux, etc.), dans lequel la preuve de l’engagement ne requiert même pas la signature qui l’invoque ou le conteste, pourrait justifier.
Civ. 1re, 11 juill. 2018, n° 17-10.458
Références
■ Com. 2 déc. 1997, n° 95-14.251 P: D. 1998. 192, note D. R. Martin ; RTD com. 1998. 187, obs. M. Cabrillac
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