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[ 7 février 2019 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Un État peut-il accorder un jour férié supplémentaire uniquement à certains travailleurs chrétiens ?

Constitue une discrimination directe fondée sur la religion une législation nationale accordant, soit un jour férié le Vendredi saint, soit une indemnité complémentaire de rémunération s’ils sont amenés à travailler ce jour-là, uniquement pour les travailleurs membres de certaines Églises chrétiennes.

En Autriche, où la majorité de la population appartient à l’Église catholique romaine, la législation (loi sur le repos et les jours fériés : ARG) prévoit que seuls les membres de quatre Églises (Églises protestantes des confessions d’Augsbourg et helvétique, Église vieille-catholique et Église évangélique méthodiste) ont droit à un jour férié payé supplémentaire le Vendredi saint. Si un membre d’une de ces quatre Églises travaille ce jour-là, il a droit à une indemnité complémentaire de jour férié.

Un travailleur autrichien, salarié d’une agence de détectives privés, et n’étant pas membre d’une des Églises visée par la législation estimait avoir été privé de manière discriminatoire d’une indemnité de jour férié pour son travail effectué un Vendredi saint et demandait le paiement de cette indemnité.

La Cour suprême d’Autriche qui avait à trancher de ce problème a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur la compatibilité de la réglementation autrichienne avec l’interdiction de discrimination en raison de la religion prévue par le droit de l’Union européenne (demande de décision préjudicielle, TFUE, art. 267).

Pour rappel, la liberté de religion appartient aux droits et libertés fondamentaux reconnus par le droit de l’Union. « La notion de « religion » devant être comprise à cet égard comme couvrant tant le forum internum, à savoir le fait d’avoir des convictions, que le forum externum, à savoir la manifestation en public de la foi religieuse » (V. en ce sens, 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, n° C157/15, § 28 ; 14 mars 2017, Bougnaoui et ADDH, n° C188/15, § 30). 

Le 22 janvier 2019, la Grande chambre de la CJUE a décidé de l’incompatibilité de cette réglementation avec le droit de l’Union et plus spécifiquement avec l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (art. 1er, 7, 16 et 24).

■ Discrimination directe en raison de la religion

Selon la CJUE, la législation autrichienne instaure une différence de traitement qui est directement fondée sur la religion des travailleurs, le critère de différenciation auquel a recours cette législation procède directement de l’appartenance des travailleurs à une religion déterminée. De plus, elle établit une différence de traitement quant à l’octroi d’un jour férié entre les travailleurs appartenant aux quatre Églises citées à l’ARG et l’ensemble des autres travailleurs. Cette législation traite donc de manière différente, en fonction de la religion, des situations comparables et instaure ainsi une discrimination directe en raison de la religion. 

Cette discrimination directe ne trouve aucune justification. En effet, la dérogation au principe d’interdiction de discrimination doit être interprétée de manière stricte (CJUE, gr. ch., 13 sept. 2011, n° C-447/09, § 55). En l’espèce, l’octroi d’un jour férié le Vendredi saint uniquement aux travailleurs membres d’une des quatre Églises précitées a pour objectif de tenir compte de l’importance particulière des célébrations religieuses pour ces personnes. Mais ces mesures discriminatoires ne sont pas nécessaires à la protection de religion des travailleurs en question.

■ Un jour férié pour tous

Ainsi, tant que le législateur national n’est pas intervenu, les employeurs doivent assurer une égalité de traitement à tous les travailleurs qu’ils appartiennent ou non à l’une des quatre Églises précités et donc accorder à tous soit le droit à un jour férié le Vendredi saint si les travailleurs en ont fait la demande soit le droit d’obtenir le versement d’une indemnité lorsque l’employeur a refusé de faire droit à la demande de ne pas travailler cette journée.

CJUE, gr ch., 22 janvier 2019, Cresco Investigation GmbH, n° C-193/17

Références

■ Fiches d’orientation Dalloz : Renvoi préjudiciel (Droit de l'Union européenne)

■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Article 267

« La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel:

a)      sur l'interprétation des traités,

b)     sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.

Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.

Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.

Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais. »

■ Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

Article 21

« Non-discrimination.   1. Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.

  2. Dans le domaine d'application des traités et sans préjudice de leurs dispositions particulières, toute discrimination exercée en raison de la nationalité est interdite. »

■ CJUE, gr. ch., 13 sept. 2011, n° C-447/09, § 55 : AJDA 2011. 2339, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; JT 2011, n° 135, p. 13, obs. L.T. ; RTD eur. 2012. 407, obs. F. Benoît-Rohmer ; Rev. UE 2013. 313, chron. E. Sabatakakis ; ibid. 2016. 6, étude A. Meyer-Heine

■ CJUE, gr. ch., 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, n° C157/15, § 28 : AJDA 2017. 551 ; ibid. 1106, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère, C. Gänser et P. Bonneville ; D. 2017. 947, note J. Mouly ; ibid. 2018. 813, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2017. 450, étude Y. Pagnerre ; ibid. 2018. 663, étude Y. Pagnerre et S. Dougados ; RDT 2017. 422, obs. P. Adam ; Constitutions 2017. 249, chron. A.-M. Le Pourhiet ; RTD eur. 2017. 229, étude S. Robin-Olivier ; ibid. 2018. 467, obs. F. Benoît-Rohmer ; Rev. UE 2017. 342, étude G. Gonzalez

■ CJUE, gr. ch., 14 mars 2017, Bougnaoui et ADDH, n° C188/15, § 30 : AJDA 2017. 551 ; ibid. 1106, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère, C. Gänser et P. Bonneville ; D. 2017. 947, note J. Mouly ; ibid. 2018. 813, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2017. 450, étude Y. Pagnerre ; RDT 2017. 422, obs. P. Adam ; Constitutions 2017. 249, chron. A.-M. Le Pourhiet ; RTD eur. 2017. 229, étude S. Robin-Olivier ; ibid. 2018. 467, obs. F. Benoît-Rohmer ; Rev. UE 2017. 342, étude G. Gonzalez

 

Auteur :Christelle de Gaudemont


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