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[ 17 mai 2010 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Un État peut limiter le nombre d'étudiants étrangers inscrits dans certains cursus universitaires

Mots-clefs : Discrimination indirecte, Sélection universitaire, Santé publique, Objectif légitime

L'affaire Bressol et Chaverot du 13 avril 2010 soulève à nouveau la question de savoir si un État peut limiter le nombre d'étudiants étrangers accédant à son système d'enseignement et souligne la difficile articulation entre la citoyenneté européenne, la non-discrimination et la défense de la santé publique au sein de l'Union.

Constatant plusieurs années de suite une forte augmentation du nombre d'étudiants étrangers inscrits pour la première fois dans certains cursus de premier cycle de l'enseignement supérieur (notamment kinésithérapie et médecine vétérinaire), la communauté française de Belgique (compétente pour les questions touchant à l'organisation de l'enseignement pour les francophones de Belgique) a adopté en juin 2006 un décret régulant le nombre d'étudiants dans les cursus en question.

En effet, durant l'année académique 2003/2004, le nombre de détenteurs d'un diplôme de l'enseignement secondaire délivré par un autre État membre inscrits dans les cursus couverts par le décret représentait moins de 10 % des inscriptions. En 2004-2005, ce pourcentage oscillait entre 41 % et 75 %. Pour l'année académique 2005/2006, il s'est situé entre 78 % et 86 %. L'Autriche rencontre d'ailleurs les mêmes difficultés avec les étudiants allemands qui — sitôt diplômés — retournent dans leur pays d'origine.

Il résulte des dispositions du décret de 2006 que le nombre total d'étudiants non-résidents doit être limité pour chaque cursus et chaque institution universitaire à 30 % de l'ensemble des inscrits de l'année académique précédente. Dans cette limite de 30 %, les étudiants non-résidents sont sélectionnés par tirage au sort.

Saisie d'un recours en annulation de ce décret par des étudiants non-résidents et non tirés au sort ainsi que par des enseignants, la Cour constitutionnelle de Belgique a alors saisi la Cour de justice d'une question préjudicielle.

La grande chambre de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) relève d'abord que le droit de l'Union (et plus particulièrement les art. 18 et 21 TFUE), s'oppose à une réglementation nationale qui limite le nombre d'étudiants non-résidents en Belgique pouvant s'inscrire pour la première fois dans les cursus médicaux et paramédicaux d'établissements de l'enseignement supérieur.

Néanmoins, cette limitation est autorisée si elle « s'avère justifiée au regard de l'objectif de protection de la santé publique ». Il appartient à la juridiction nationale d'apprécier « tous les éléments pertinents présentés par les autorités compétentes » pour vérifier si cette limitation est justifiée. Ces éléments pertinents doivent reposer sur une analyse « objective, circonstanciée et chiffrée » (pt 71).

La CJUE ne tranche donc pas sur le fond et « botte en touche » en renvoyant aux juridictions nationales la tâche d'apprécier si la différence de traitement entre étudiants résidents et non résidents est justifiée. Elle explique toutefois longuement les méthodes que ces juridictions doivent retenir (pts 66 à 81).

Ainsi, elle considère que le décret de 2006 créé une inégalité de traitement entre les étudiants résidents et les non-résidents et que cette inégalité constitue une discrimination indirecte fondée sur la nationalité.

Or, la jurisprudence de la CJUE accepte traditionnellement les justifications tirées de raisons impérieuses d'intérêt général, ou s'ils figurent parmi la liste très étroite du Traité : ordre public, sécurité et santé publiques. Tel est ici le cas mais la juridiction nationale doit apprécier si la réglementation tirée du décret de 2006 est propre à garantir la réalisation de cet objectif légitime et si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.

CJUE, Gde ch., 13 avr. 2010, Bressol c. Communauté française de Belgique, aff. C-73/08

 

Références

■ Cour de justice de l’union européenne

« Organe juridictionnel chargé d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités. Composé de 25 juges et de 8 avocats généraux nommés d’un commun accord par les États membres et indépendants, la Cour a de nombreuses compétences (elle peut, par exemple, annuler un acte du Conseil ou de la Commission, constater le manquement par un État de l’une des obligations lui incombant, interpréter, sur renvoi préjudiciel des juridictions nationales, les traités et actes de droit dérivé…). Rendant environ 200 arrêts par an, la Cour qui siège à Luxembourg est devenue une sorte de Cour suprême européenne, surtout avec l’extension des compétences du Tribunal de première instance. Elle a exercé un rôle moteur dans la construction communautaire par une interprétation souvent extensive des compétences de l’Union, par l’unité qu’elle assure au droit communautaire et par la sanction de ses éventuelles violations. »

■ Question préjudicielle

« La question préjudicielle est celle qui oblige le tribunal à surseoir à statuer jusqu’à ce qu’elle ait été soumise à la juridiction compétente qui rendra à son sujet un acte de juridiction. On distingue les questions préjudicielles générales qui relèvent de la compétence d’un autre ordre de juridiction (question administrative, question pénale) et les questions préjudicielles spéciales dont la solution dépend d’une autre juridiction appartenant au même ordre. »

■ Discrimination indirecte

« Distinction constatée entre des groupes identifiés de personnes, au détriment de l’un d’eux, résultant de la mise en œuvre d’une règle au contenu neutre (c’est-à-dire qui ne distingue pas entre ces groupes de personnes). La discrimination indirecte se manifeste dans le registre des effets produits une règle, alors que la discrimination directe s’intéresse aux motifs d’une règle qui établit une distinction. »

Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.

 CJCE 7 juill. 2005Commission c. République d'Autriche, aff. C-147/03RTD Com. 2006. 240, M. Luby, « Non-discrimination et citoyennetés : accès à l'enseignement supérieur ».

■ Sur les débats autour de la notion de discrimination directe et discrimination indirecte, v. les pts 44 s. des concl. de l'avocat général Mme Sharpston sur cette affaire — disponible sur le site de la CJUE ; v., plus généralement, Rép. communautaire Dalloz Éducation, formation professionnelle et jeunesse.

■ Pour un ex. en droit d'établissement, v. M. Luby, « Libre établissement des sociétés et fiscalités directes : un bilan contrasté », Europe 2002, chron. n° 1.

 

Auteur :C. D.


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