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Droit des successions et des libéralités
Un héritier peut réclamer personnellement le règlement de sa part de la créance indemnitaire du défunt
Causée par l'inexécution d'une obligation contractuelle indivisible, la créance indemnitaire du défunt est, quant à elle, divisible en sorte que chaque héritier peut demander au débiteur le règlement de sa seule quote-part de cette créance, correspondant à ses droits dans la succession.
Civ. 1re, 23 oct. 2024, n° 22-16.171
La locataire d’un appartement décède le 10 mars 2014. Sa fille, agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'héritière et de représentante de l'indivision successorale, assigne le bailleur de sa défunte mère en réparation du trouble de jouissance et du préjudice moral subis tant par elle-même que par la défunte, à la suite de divers dégâts des eaux survenus courant 2012 et 2013 dans le bien donné à bail.
Pour déclarer son action irrecevable, la cour d’appel relève que la créance dont l'appelante demande le paiement porte sur un droit indivis à être indemnisé formant un tout indivisible ; elle ajoute que l’action en recouvrement de la créance du de cujus porte sur une inexécution contractuelle qui constitue une faute ouvrant droit à une indemnisation qui n'est pas davantage divisible et doit profiter à l'ensemble de l'indivision successorale qu’elle est de nature à accroître tant que le partage n'a pas eu lieu. En conséquence, l’appelante ne peut agir seule pour obtenir le paiement de sa part de dommages-intérêts au titre d’un préjudice qu’il convient d’évaluer pour la globalité de l’indivision sur la totalité qui n’est ni liquidée, ni partagée depuis le décès.
Devant la Cour de cassation, l’héritière, pour contester le moyen tiré de l’indivisibilité de l’indemnisation demandée, fait valoir qu'en raison de la nature pécuniaire de son objet, une créance indemnitaire est par essence divisible en sorte que la créance d'indemnisation litigieuse constitue une créance monétaire de plein droit divisible dont elle peut demander le recouvrement dans la limite de sa part, chaque cohéritier ayant le pouvoir d'accomplir seul, avant partage, les actes d'administration de la créance. À la question de savoir si un héritier saisi peut agir en cette qualité pour obtenir, dans la limite de sa vocation successorale, la réparation d’un préjudice subi par son auteur, la première chambre civile répond par l’affirmative et casse en conséquence, au visa des articles 1217 et 1220 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, la décision des juges du fond. Elle rappelle qu’aux termes du premier texte, une obligation est divisible ou indivisible selon qu'elle a pour objet ou une chose qui dans sa livraison, ou un fait qui dans l'exécution, est ou n'est pas susceptible de division, soit matérielle, soit intellectuelle. Il en résulte que la créance de dommages et intérêts réparant le préjudice causé par l'inexécution d'une obligation contractuelle est divisible quand bien même l'obligation inexécutée ne l'était pas. Elle précise, au regard du second texte visé, que l'obligation susceptible de division doit cependant être exécutée entre le créancier et le débiteur comme si elle était indivisible. La divisibilité n'a d'application qu'à l'égard de leurs héritiers, qui ne peuvent demander le règlement de la dette ou qui ne sont tenus de la payer que pour les parts dont ils sont saisis ou dont ils sont tenus comme représentant le créancier ou le débiteur. Il s'en déduit que chaque héritier peut demander au débiteur le règlement de sa part d'une créance indemnitaire du défunt. Or pour déclarer irrecevable l'action engagée par la fille de la défunte en sa qualité d'héritière, l'arrêt a retenu que cette action porte sur l'inexécution d'une obligation contractuelle ouvrant un droit indivis à indemnisation qu'il n'est possible d'apprécier que pour le tout et qui doit profiter à l'ensemble de l'indivision successorale qu'elle a vocation à accroître tant que le partage n'a pas eu lieu. Il en a alors déduit que l’héritière ne pouvait agir seule pour demander à la débitrice de lui payer sa part de cette créance. La cassation est prononcée, au motif que le droit à indemnisation de la défunte ayant vocation à se convertir en dommages et intérêts, la demanderesse, à l’instar de tout héritier, peut réclamer individuellement le règlement de sa part de cette créance indemnitaire à la société bailleresse.
L’arrêt se prononce tout d’abord sur le caractère divisible de l’obligation de réparer un préjudice. Le caractère divisible d’une obligation dépend directement du caractère divisible de son objet, ce que l’article 1309, tel qu’issu de l’ordonnance du 10 février 2016, a simplifié en n’évoquant plus, pour les obligations indivisibles, que les obligations à prestation indivisible, lesquelles sont définies au nouvel article 1320. Ainsi en matière de bail, l’obligation du bailleur de procurer au preneur la jouissance de la chose louée se présente-t-elle comme une obligation indivisible. La question posée en l’espèce revenait à savoir si l’obligation de réparer le préjudice résultant de l’inexécution de cette obligation indivisible doit l’être également. La Cour y répond par la négative, dès lors qu’une telle obligation trouve son expression dans l’allocation de dommages et intérêts. En effet, une obligation indivisible par son objet, telle que celle qui incombait en l’espèce au bailleur de procurer au preneur la jouissance paisible de la chose louée, devient divisible lorsqu’à défaut d’exécution, elle se convertit en dommages et intérêts. C’est la raison pour laquelle la Cour souligne que l’obligation de payer des dommages-intérêts en réparation d’un préjudice causé constitue une obligation divise entre les héritiers co-créanciers même si l’obligation dont l’inexécution donne lieu à réparation est elle-même indivisible.
Cette divisibilité acquise, restait à savoir si l’héritière avait, avant le partage, le pouvoir d’agir seule en recouvrement de la créance, dans la limite de sa part. La Cour d’appel s’y était opposée au nom de l’indivision successorale, qui empêcherait l’action en recouvrement de la créance tant que le partage n’a pas eu lieu. Pour les juges du fond, l’inclusion de cette créance indemnitaire dans la masse partageable s’opposait au règlement de sa part de créance. Dès lors que la créance indemnitaire de la défunte constitue un élément de l’actif partageable, aucun des héritiers ne serait en droit de demander personnellement, avant le partage, le règlement de sa quote-part dans cette créance indivise. La demanderesse au pourvoi excipait quant à elle du caractère divis de la créance litigieuse pour justifier son exclusion de la masse indivise et son droit au règlement, avant le partage, de sa quote-part équivalente à ses droits successoraux. Ainsi la confrontation entre ces deux thèses reflétait celle entre les dispositions du droit des obligations et celles du droit des successions, concernant les créances successorales. Du côté du droit des obligations, l’article 1309 du Code civil (dans sa rédaction issue de l’ord. du 10 février 2016, mais qui reprend en substance les dispositions de l’ancien article 1220) énonce qu’au décès du créancier, la créance se divise de plein droit entre ses héritiers. Au regard du régime général, cette division doit avoir pour conséquence d’exclure la créance de la masse indivise. Mais du côté du droit des successions, l’inclusion des créances dans la masse partageable est sous-entendue par certaines dispositions (anc. art. 884 ; art. 825), qui auraient pour corollaire le caractère indivis des créances successorales. La jurisprudence a alors résolu ce conflit par une distinction reposant sur une application distributive des textes. Dans les rapports entre les héritiers, ce sont les anciens articles 883 et 884, ainsi que l’article 825 qui s’appliquent, en sorte que la créance fait partie de la masse indivise. Dans ce cadre, la créance est attribuée lors du partage, comme n’importe quel autre élément de l’actif successoral, et l’héritier qui aurait obtenu le paiement de sa part, au cours de l’indivision, devrait à la masse les deniers encaissés. En revanche, dans les rapports entre héritiers et débiteur, c’est l’article 1309 (anc. art. 1220) qui prévaut : au décès du de cujus, la créance se divise de plein droit entre les héritiers, et cette division conduit à exclure la créance de la masse indivise, celle-ci se déclinant en autant de créances distinctes qu’il y a d’héritiers. D’où la conséquence ici rappelée que chaque héritier peut demander au débiteur le règlement de sa part de la créance du défunt, même avant le partage, le paiement étant valable et libératoire quelle que soit l’issue des opérations de partage. D’un point de vue théorique, la conciliation du droit des obligations et du droit des successions revient en définitive à interpréter les articles 884, 825 et 883 comme réglant une question de propriété, et l’article 1309, comme une question de pouvoirs : les trois premiers postulent que la créance est indivise, tandis que le quatrième reconnaît à chaque indivisaire le pouvoir d’en administrer seul une quote-part.
Il en résulte que bien que la créance indemnitaire soit un élément de l’actif partageable, tout héritier saisi peut réclamer au débiteur le règlement de sa quote-part, équivalente à ses droits dans la succession. Au cas d’espèce, la fille de la défunte pouvait donc demander seule, en sa qualité d’héritière, le règlement de sa part de la créance indemnitaire, dans la limite de sa vocation successorale.
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