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[ 14 novembre 2013 ] Imprimer

Droit constitutionnel

Un nouveau droit au recours pour les collectivités territoriales

Mots-clefs : Droit au recours, Liberté de la presse, Injure, Diffamation, Collectivité territoriale, Mise en mouvement de l’action publique, QPC, Conseil constitutionnel, Presse, Délit de presse

Les collectivités territoriales peuvent désormais mettre en œuvre l’action publique contre les médias en cas d’injure ou de diffamation publique a décidé le Conseil constitutionnel.

La décision du Conseil constitutionnel du 25 octobre 2013 a pour origine une affaire concernant un article intitulé « Scandale immobilier au Pré-Saint-Gervais » mis en ligne sur le site Internet du Point . Mécontente de cette publication, la commune du Près-Saint-Gervais, représentée par son maire, a cité à comparaître M. Franz-Olivier Giesbert, directeur de la publication de la société d’exploitation de l’hebdomadaire Le Point, ainsi que cette société, devant le tribunal correctionnel pour diffamation publique.

Les défendeurs ont alors invoqué l’irrecevabilité de l’action de la commune et de son maire en tant qu’il la représente pour violation des articles 47 et 48 de la loi de 1881: s’agissant du délit de diffamation envers des administrations publiques et corps constitués (auxquels appartiennent les collectivités territoriales) tel qu’il est prévu à l’article 30 de cette loi, seul le ministère public pouvait mettre en mouvement l’action publique.

Mais, la commune a formé une QPC portant sur l’article 47 et les premier et dernier alinéa de l’article 48 de la loi du 29 juillet 1881. Cette QPC a été jugée recevable par le tribunal correctionnel qui l’a transmise à la Cour de cassation qui l’a elle-même renvoyée au Conseil constitutionnel en estimant que cette question : « présente un caractère sérieux dès lors que les dispositions critiquées entraînent, pour les collectivités territoriales, personnes morales de droit public, une restriction de leur droit d’agir en justice qui pourrait être de nature à porter atteinte aux principes invoqués de libre administration des collectivités territoriales, d’égalité devant la loi et du droit au recours effectif au juge ».

Le 25 octobre 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution les mots « par les 2°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7° et 8° » figurant au dernier alinéa de l'article 48 de la loi du 29 juillet 1881, qui ont pour effet d'exclure les personnes visées au 1° de cet article du droit de mettre en mouvement l'action publique. 

Pour décider de l’inconstitutionnalité des mots précités, les sages ont justifié leur décision en se référant à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 selon lequel: « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il ressort de cette disposition qu’il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

Aux termes des dispositions de la loi de 1881 soumises au Conseil Constitutionnel, les collectivités territoriales, victimes d’une diffamation, ne peuvent obtenir la réparation de leur préjudice que lorsque l’action publique a été engagée par le ministère public, en se constituant partie civile à titre incident devant la juridiction pénale. Elles ne peuvent ni engager l’action publique devant les juridictions pénales aux fins de se constituer partie civile ni agir devant les juridictions civiles pour demander la réparation de leur préjudice. Ainsi, selon les juges du Palais-Royal, la restriction apportée à leur droit d’exercer un recours devant une juridiction méconnaît les exigences de l’article 16 de la Déclaration de 1789 et doit être déclarée contraire à la Constitution. 

Cette décision QPC permet ainsi aux collectivités territoriales de mettre elles-mêmes en mouvement l'action publique lorsqu'elles s'estiment victimes d'injure ou de diffamation, et cela, dès la publication de la décision au Journal officiel, soit à compter du 27 octobre 2013.

Cons. const. 25 oct. 2013, Cne du Près-Saint-Gervais, n° 2013-350 QPC

 

Références

■ Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse 

Article 30 

 « La diffamation commise par l'un des moyens énoncés en l'article 23 envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l'air, les corps constitués et les administrations publiques, sera punie d'une amende de 45 000 euros. »

Article 47

« La poursuite des délits et contraventions de police commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication aura lieu d'office et à la requête du ministère public sous les modifications ci-après. » 

Article 48 (version antérieure à la décision du Conseil constitutionnel du 25 oct. 2013) 

« 1° Dans le cas d'injure ou de diffamation envers les cours, tribunaux et autres corps indiqués en l'article 30, la poursuite n'aura lieu que sur une délibération prise par eux en assemblée générale et requérant les poursuites, ou, si le corps n'a pas d'assemblée générale, sur la plainte du chef du corps ou du ministre duquel ce corps relève ;

2° Dans le cas d'injure ou de diffamation envers le Président de la République, un membre du Gouvernement ou un membre du Parlement, la poursuite n'aura lieu que sur la plainte de la personne ou des personnes intéressées ;

3° Dans le cas d'injure ou de diffamation envers les fonctionnaires publics, les dépositaires ou agents de l'autorité publique autres que les ministres et envers les citoyens chargés d'un service ou d'un mandat public, la poursuite aura lieu, soit sur leur plainte, soit d'office sur la plainte du ministre dont ils relèvent ;

4° Dans le cas de diffamation envers un juré ou un témoin, délit prévu par l'article 31, la poursuite n'aura lieu que sur la plainte du juré ou du témoin qui se prétendra diffamé ;

5° Dans le cas d'outrage envers les agents diplomatiques étrangers, la poursuite aura lieu sur leur demande adressée au ministre des affaires étrangères et par celui-ci au ministre de la justice ;

6° Dans le cas de diffamation envers les particuliers prévu par l'article 32 et dans le cas d'injure prévu par l'article 33, paragraphe 2, la poursuite n'aura lieu que sur la plainte de la personne diffamée ou injuriée. Toutefois, la poursuite, pourra être exercée d'office par le ministère public lorsque la diffamation ou l'injure aura été commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. La poursuite pourra également être exercée d'office par le ministère public lorsque la diffamation ou l'injure aura été commise envers un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap ; il en sera de même lorsque ces diffamations ou injures auront été commises envers des personnes considérées individuellement, à la condition que celles-ci aient donné leur accord ;

7° Dans le cas de diffusion de l'image d'une personne menottée ou entravée prévue par l'article 35 ter, la poursuite n'aura lieu que sur la plainte de la personne intéressée ;

8° Dans le cas d'atteinte à la dignité de la victime prévue par l'article 35 quater, la poursuite n'aura lieu que sur la plainte de la victime.

En outre, dans les cas prévus par les 2°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7° et 8° ci-dessus, ainsi que dans les cas prévus aux articles 13 et 39 quinquies de la présent loi, la poursuite pourra être exercée à la requête de la partie lésée. »

 

 

Auteur :C. G.


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