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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Un nouvel objectif de valeur constitutionnelle consacré par le Conseil constitutionnel
Dans sa décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel consacre un objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains.
En répondant à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe IV de l'article L. 253-8 du Code rural, le Conseil constitutionnel a consacré un nouvel objectif de valeur constitutionnel.
■ La QPC posée au Conseil constitutionnel
Les dispositions du paragraphe IV de l'article L. 253-8 du Code rural sont issues de la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous. Elles ont pour objet d’interdire en France à partir du 1er janvier 2022 la production, le stockage et la circulation des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées par l'Union européenne (herbicides, fongicides, insecticides ou acaricides), en raison de leurs effets sur la santé humaine, la santé animale ou l'environnement.
Selon les requérants, l'interdiction d'exportation, instaurée par ces dispositions, de certains produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées par l'Union européenne serait, par la gravité de ses conséquences pour les entreprises productrices ou exportatrices, contraire à la liberté d'entreprendre (DDH, art. 4). Ils estiment qu'une telle interdiction serait sans lien avec l'objectif de protection de l'environnement et de la santé dans la mesure où les pays importateurs qui autorisent ces produits ne renonceront pas pour autant à les utiliser puisqu'ils pourront s'approvisionner auprès de concurrents des entreprises installées en France.
Dans sa décision rendue le 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a considéré que ces dispositions étaient conformes à la Constitution.
En effet, le législateur a entendu prévenir les atteintes à la santé humaine et à l'environnement susceptibles de résulter de la diffusion des substances actives contenues dans les produits en cause, dont la nocivité a été constatée dans le cadre de la procédure prévue par le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil.
Ainsi, en faisant obstacle à ce que des entreprises établies en France participent à la vente de tels produits partout dans le monde et donc, indirectement, en faisant obstacle « aux atteintes qui peuvent en résulter pour la santé humaine et l'environnement et quand bien même, en dehors de l'Union européenne, la production et la commercialisation de tels produits seraient susceptibles d'être autorisées, le législateur a porté à la liberté d'entreprendre une atteinte qui est bien en lien avec les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l'environnement poursuivis ».
De plus, « en différant au 1er janvier 2022 l'entrée en vigueur de l'interdiction de production, de stockage ou de circulation des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées, le législateur a laissé aux entreprises qui y seront soumises un délai d'un peu plus de trois ans pour adapter en conséquence leur activité ».
La décision du 31 janvier 2020 consacre un nouvel objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains.
■ Les objectifs de valeur constitutionnelle (OVC)
Les objectifs de valeur constitutionnelle sont des orientations dégagées par le Conseil constitutionnel données au législateur. Ils n'énoncent pas de droits mais permettent au Conseil constitutionnel de limiter certains principes constitutionnels dans le but de rendre certains autres droits constitutionnels effectifs. Il convient de ne pas les confondre avec les principes à valeur constitutionnelle (PVC) qui sont des principes dégagés par le Conseil constitutionnel et dont le respect s'impose au législateur comme aux autres organes de l'État. Ils sont des normes juridiques à part entière. (V. par ex. le principe de fraternité : Cons. const. 6 juill. 2018, n° 2018-717/718 QPC, § 7).
Quelques OVC consacrés par le Conseil constitutionnel : la sauvegarde de l'ordre public (V. Cons. const. 27 juill. 1982, n° 82-141 DC, § 5) ; le respect de la liberté d’autrui (V. Cons. const. 27 juill. 1982, n° 82-141 DC, § 5) ; le pluralisme des courants d'opinions et de pensées (V. pour la communication audiovisuelle : Cons. const. 27 juill. 1982, n° 82-141 DC, § 5 : « la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels auquel ces modes de communication, par leur influence considérable... » ; pour la presse écrite : Cons. const. 11 oct. 1984, n° 84-181 DC, § 38 : « le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale » ; pour les partis politiques : Cons. const. 3 avr. 2003, n° 2003-468 DC, § 12 : « en respectant le pluralisme des courants d'idées et d'opinions ») ; la transparence financière des entreprises de presse (V. Cons. const. 11 oct. 1984, n° 84-181 DC, § 16) ; la protection de la santé publique (V. Cons. const. 13 août 1993, n° 93-325 DC, § 70) ; la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent (V. Cons. const. 19 janv. 1995, n° 94-359 DC, § 7) ; la recherche des auteurs d'infractions (V. Cons. const. 16 juill. 1996, n° 96-377 DC, § 16) ; l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi (V. Cons. const. 16 déc. 1999, n° 99-421 DC, § 13) ; la lutte contre la fraude fiscale (V. Cons. const. 29 déc. 1999, n° 99-424 DC, § 52) ; le pluralisme et l'indépendance des médias (V. Cons. const. 3 mars 2009, n° 2009-577 DC, § 3) ; la bonne administration de la justice (V. Cons. const. 3 déc. 2009, n° 2009-595 DC, § 4).
A cette liste non exhaustive, il convient désormais d’ajouter : la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains
Ce nouvel objectif est issu du préambule de la Charte de l'environnement de 2005 qui appartient comme la Constitution de 1958, la déclaration de 1789 et le Préambule de la Constitution de 1946 au bloc de constitutionnalité: « l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel … l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains… la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation … afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».
Ainsi, le législateur doit assurer la conciliation des objectifs protection de la santé et protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains avec l'exercice de la liberté d'entreprendre (DDH, art. 4).
Cons. const. 31 janvier 2020, n° 2019-823 QPC
Références
■ Cons. const. 6 juill. 2018, n° 2018-717/718 QPC
■ Cons. const. 27 juill. 1982, n° 82-141 DC
■ Cons. const. 11 oct. 1984, n° 84-181 DC
■ Cons. const. 3 avr. 2003, n° 2003-468 DC
■ Cons. const. 13 août 1993, n° 93-325 DC
■ Cons. const. 19 janv. 1995, n° 94-359 DC
■ Cons. const. 16 juill. 1996, n° 96-377 DC
■ Cons. const. 16 déc. 1999, n° 99-421 DC
■ Cons. const. 29 déc. 1999, n° 99-424 DC
■ Cons. const. 3 mars 2009, n° 2009-577 DC
■ Cons. const. 3 déc. 2009, n° 2009-595 DC
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